Le débat tenu hier soir entre les chefs des quatre principaux partis fédéraux a été vigoureux, ordonné, respectueux. Les électeurs anglophones ont pu constater que, quoi qu'on en dise parfois, les leaders politiques de ce pays sont des personnes de qualité, capables de discuter d'enjeux importants avec à la fois brio, passion et civilité.

Le chef conservateur, Stephen Harper, a bien expliqué pourquoi il estime important d'obtenir un mandat majoritaire. Selon lui, un autre gouvernement minoritaire mènerait le pays à des scrutins répétés que les Canadiens ne souhaitent pas. En cela, il n'a pas tort, mais il exagère les conséquences économiques d'un tel scénario. Comme lui-même aime le répéter, le Canada est l'un des pays du monde qui se sont le mieux sortis de la récession. Or, cela est arrivé alors que le gouvernement, celui de M. Harper justement, était minoritaire.

Comme c'est inévitable, le premier ministre sortant s'est retrouvé la cible des tirs groupés de ses adversaires. M. Harper n'a pas trébuché. Surtout, il a gardé pour lui la hargne partisane qui le caractérise et qui est à l'origine des inquiétudes de plusieurs relatives à un gouvernement conservateur majoritaire.

Les Canadiens qui croyaient que Michael Ignatieff était un universitaire froid et désincarné ont découvert un homme sensible et passionné. M. Ignatieff a dénoncé le mépris pour la démocratie parlementaire dont ont parfois fait preuve les conservateurs. «Ce que M. Harper appelle la chicane, c'est un débat, c'est la démocratie!» a-t-il rappelé. Le leader libéral a aussi défendu efficacement le registre des armes longues.

Comme c'est son habitude, Gilles Duceppe ne s'est pas laissé intimider par sa situation paradoxale, chef d'un parti présent seulement au Québec s'adressant à des Canadiens anglophones qu'il n'a aucune chance ou volonté de convaincre. Le chef bloquiste a fait ressortir l'hypocrisie de la position de M. Harper en ce qui a trait à une éventuelle coalition. Son plaidoyer sur l'importance, pour l'avenir du Québec français, de s'assurer que les immigrants s'intègrent à la culture majoritaire de la province était éloquent.

Enfin, Jack Layton a été égal à lui-même, c'est-à-dire sympathique, proche des gens et idéaliste. Il est le seul qui a asséné à un de ses rivaux une forme de K.-O., laissant M. Ignatieff déstabilisé lorsqu'il lui a reproché d'avoir manqué de nombreux votes aux Communes. Il a poussé le bouchon trop loin lorsqu'il a prétendu que le Canada n'avait pas besoin de prisons supplémentaires puisque «les bandits semblent heureux au Sénat».

Ce débat n'a pas permis à un chef en particulier de renverser la dynamique de la campagne. Mais les électeurs anglophones savent mieux aujourd'hui quel est le choix qui s'offre à eux. Souhaitons que les francophones auront droit ce soir à une discussion aussi instructive.