«Incendies», de Denis Villeneuve, n'a malheureusement pas remporté d'Oscar hier soir. Cela n'enlève rien à l'exceptionnelle qualité du film. Être retenu parmi les cinq finalistes (sur 66 productions) pour le meilleur film en langue étrangère était déjà un exploit.

On a beaucoup souligné le travail extraordinaire qu'a accompli le réalisateur pour transformer la pièce de Wajdi Mouawad, déjà forte, en un film encore plus puissant. On a dit avec quelle subtilité il a su montrer, faire ressentir l'horreur sans dégoûter. L'attention que lui vaut sa nomination aux Oscars permettra de faire circuler d'un bout à l'autre de la planète le message d'inquiétude et d'espoir que porte la pièce de Mouawad: «Il faut casser le fil.»

On l'a vu au Liban, dans l'ex-Yougoslavie, au Soudan, en Afghanistan et dans tant d'autres pays au cours des dernières années: même les personnes les plus douces peuvent être emportées par la «terrible machine», la guerre. OEil pour oeil, dent pour dent. Le fils adoré devient bourreau. «Pourquoi les réfugiés ont-ils brûlé la maison? Pour se venger des miliciens qui avaient détruit un puits d'eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont détruit le puits? Parce que des réfugiés avaient brûlé une récolte du côté du fleuve au Chien. (...) L'histoire peut se poursuivre encore longtemps, de fil en aiguille, de colère en colère, de peine en tristesses, de viol en meurtre, jusqu'au début du monde.»

Il faut casser le fil. Mais comment? Une voie nous est proposée par un autre homme de lettres d'origine libanaise, chassé de son pays par la guerre civile. Il s'agit, écrit Amin Maalouf dans Les identités meurtrières, d'«apprivoiser la bête identitaire». Il s'agit de comprendre et d'admettre que chacun, à commencer par soi, a des appartenances multiples, que les membres d'une autre communauté ne se résument pas en un mot, qu'ils sont aussi différents les uns des autres qu'ils le sont de nous. Qu'ils sont humains. «C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer.» Chacun, s'il ne s'impose pas l'effort de sortir d'une identité étroite, peut se sentir menacé au point de devenir bourreau. «En chacun d'entre nous existe un Mr Hyde; le tout est d'empêcher que les conditions d'émergence du monstre ne soient rassemblées.»

Incendies se termine sur une note d'espoir, mais celle-ci est à peine audible tellement il est difficile, presque surhumain de casser le fil. S'extirper de la spirale de la vengeance comme l'a fait «la femme qui chante» exige une force morale et un courage hors du commun. Pourtant, il faut être à cette hauteur, le sort de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants en dépend. «Ne haïr personne, jamais, la tête dans les étoiles, toujours.» Merci, M. Villeneuve.