Plusieurs représentants de l'Église catholique ont exprimé en fin de semaine l'espoir que la canonisation du frère André rallume la flamme de la foi au sein de la population québécoise. Le pape Benoît XVI, dans son homélie d'hier, a souhaité que «l'exemple du frère André inspire la vie chrétienne canadienne». Or, il y a des choses que même un saint ne peut accomplir. Il nous paraît très improbable que l'événement célébré hier place Saint-Pierre ramène les Québécois à une pratique religieuse qu'ils ont massivement délaissée au fil des ans.

L'histoire du frère André est émouvante. Cet homme parti de rien, illettré, malade chronique est parvenu à soulager les maux et les misères de milliers de personnes. Peu importe que ce fut par son humanité ou grâce à l'intervention divine ; miracles ou pas, Alfred Bessette méritait d'être honoré par l'Église qu'il a si ardemment servie. «On partait de Californie pour venir voir le thaumaturge. On était souvent fort surpris de se trouver en présence de ce petit homme malingre qui disait simplement : "Ayez confiance en Dieu et priez saint Joseph, je prierai pour vous"», raconta le journal Le Canada le lendemain de sa mort.

Sans rien lui enlever, on doit constater que le frère André appartient à une époque révolue. Un tel personnage ne peut avoir beaucoup de résonance dans le monde techno, individualiste, matérialiste d'aujourd'hui.

Les milliers de guérisons qu'on lui a attribuées lui ont valu, même en son temps pieux, d'être qualifié de charlatan. Qu'en penser un siècle plus tard? Selon un sondage Léger Marketing publié samedi par Le Devoir, 35% des Québécois croient qu'Alfred Bessette a bel et bien réalisé des guérisons miraculeuses. Soit. Mais combien pensent que c'est Joseph, père de Jésus, qui agissait par son entremise? Dans ce siècle où le médicament est dieu, qui fait confiance aux prières et à l'huile d'olive bénie pour guérir ses blessures, infirmités et maladies?

De plus, la philosophie de vie prônée par «le thaumaturge du mont Royal» trouve peu d'échos de nos jours. «Ne cherchez pas à vous faire enlever les épreuves, demandez plutôt la grâce de bien les supporter», disait-il. L'homme mangeait et dormait peu, il travaillait comme un forcené. Nous voilà à des années-lumière de l'égocentrisme moderne.

Les Québécois ne sont pas tous athées, loin de là. Plusieurs croient en l'existence d'un Dieu, «en quelque chose» ou sont en recherche spirituelle. Toutefois, rien ne laisse prévoir un rapprochement avec l'Église catholique. Celle-ci n'a pas suivi la marche du temps, refusant obstinément des évolutions qui l'auraient mise au diapason de la société québécoise d'après la Révolution tranquille. Le fossé est aujourd'hui immense et la canonisation d'Alfred Bessette n'y changera rien. Ce miracle-là ne se produira pas.