Le 19 juillet dernier, un commentateur de droite a mis en ligne un extrait d'un discours prononcé par une fonctionnaire du ministère de l'Agriculture des États-Unis. L'extrait laissait croire que cette fonctionnaire, une Noire, avait refusé d'aider un fermier parce qu'il était blanc. Quelques heures plus tard, l'administration Obama a obtenu la démission de la fonctionnaire en question, Shirley Sherrod.

Le lendemain, on a appris que l'extrait mis en ligne faussait le sens des propos de Mme Sherrod. L'incident raconté dans son discours s'était produit 24 ans plus tôt, avant qu'elle ne travaille pour le ministère de l'Agriculture. Non seulement était-elle bel et bien venue en aide au fermier en question; elle et lui s'étaient depuis liés d'amitié.

Le président Barack Obama a dû s'excuser et offrir à Mme Sherrod de reprendre son emploi. De dire M. Obama, «ce qui s'est passé est l'effet du cycle des médias 24 heures par jour, 7 jours par semaine, qui parfois génère des fausses controverses. Il faut tirer une leçon de cet incident: assurons-nous de connaître les faits avant d'agir».

Au Canada ces jours-ci, une autre vidéo excite les médias et la classe politique. Celle-ci, entrecoupée des commentaires de son auteur, semble montrer deux femmes portant le niqab passer un contrôle d'identité d'Air Canada, juste avant d'embarquer, sans avoir à se dévoiler. Le film étant très court et ayant fait l'objet d'un montage, on ignore dans quelle mesure il est fidèle à la réalité. Cela n'a pas empêché certains médias de sauter aux conclusions et, à leur suite, deux ministres du gouvernement Harper d'exprimer leur consternation. Notre collègue Marie-Claude Lortie a dénoncé hier, avec raison, l'empressement des ministres Baird et Kenney à exprimer leur inquiétude alors que la piètre qualité de la vidéo aurait exigé davantage de prudence.

Cela dit, il faut reconnaître que dans de telles circonstances, la pression médiatique est forte. Le gouvernement ne réagissant pas dans l'heure ou faisant preuve de circonspection est vite accusé de mollesse, d'incompétence.

Dans un livre dont Le Devoir a souligné hier la parution (Trop vite!, chez Albin Michel), le journaliste Jean-Louis Servan-Schreiber déplore que de nos jours, les élus sont condamnés à «gouverner en direct». L'information circule si vite que les politiciens comme les commentateurs doivent réagir à chaud. L'opinion publique se forge souvent bien avant que tous les faits soient connus. Interviewé par le quotidien, M. Servan-Schreiber ajoute: «Avec l'électorat toujours sur les talons, le politicien n'a plus le temps de réfléchir.»

Propulsé par une information toujours plus rapide, le lourd convoi de la démocratie s'est emballé. À ce stade, il serait illusoire de penser qu'on pourra en freiner la course. Reste donc à trouver des façons de limiter les effets pervers de cette vitesse excessive sur notre système politique.