Les propos tenus hier par l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare sont plus précis que ce qu'il avait dit précédemment, et donc plus graves. La réaction en soirée du gouvernement Charest n'est pas rassurante. En menaçant de poursuivre M. Bellemare, le premier ministre semble davantage vouloir faire taire son ancien ministre que faire la lumière sur les accusations qu'il porte.

M. Bellemare soutient avoir été témoin, à deux reprises, d'échanges d'argent comptant entre un bailleur de fonds et un employé du Parti libéral du Québec. Il affirme aussi avoir été l'objet de pressions de la part du même bailleur de fonds pour nommer des juges, pressions auxquelles il s'est plié «parce que c'était une commande des grands collecteurs du parti». L'ancien politicien affirme avoir discuté de cette question avec le premier ministre, Jean Charest. Ce dernier était «très bien informé» de ces pratiques, dit-il.

 

Le comportement de Marc Bellemare dans cette affaire soulève de nombreuses questions. Pourquoi, alors qu'il était ministre de Justice, n'a-t-il pas dénoncé à la police des pratiques qu'il soupçonnait illégales? Aujourd'hui, l'avocat affirme qu'il a quitté la politique parce qu'il était dégoûté par ce dont il avait été témoin; il n'a pourtant rien dit à ce sujet au moment de sa démission, ni pendant les six années qui ont suivi.

M. Bellemare affirme avoir été témoin d'échanges d'argent. En soi, cela ne démontre rien. Les dons en argent comptant sont permis par la loi en autant qu'ils ne dépassent pas 200$. N'empêche, les allégations de M. Bellemare sont suffisamment étayées pour soulever des doutes sur l'intégrité du gouvernement en matière de financement, et en particulier sur l'intégrité du premier ministre lui-même.

En outre, c'est la crédibilité du processus de nomination des juges, donc de l'administration de la justice, qui est mise en cause par ses propos. À une époque où le cynisme est de mise, ces soupçons supplémentaires sont la dernière chose dont nos institutions avaient besoin.

Compte tenu du mal qui a déjà été fait par les insinuations de M. Bellemare, compte tenu aussi du climat de suspicion provoqué par les révélations sur la corruption possible de la classe politique par l'industrie de la construction, rien ne serait pire que de faire taire l'accusateur. Au contraire, il faut lui offrir un forum public pour qu'il puisse vider son sac. Si ses allégations ne sont pas appuyées par des faits, si le gouvernement a une version plus solide, la population en jugera. Mais si, comme cela semblait être le cas hier soir, le gouvernement Charest persiste dans ses tentatives de discréditer son ancien ministre, les soupçons persisteront. La crédibilité de toute la classe politique en souffrira. Et ce gouvernement, en particulier, n'aura aucune crédibilité pour imposer à la population des sacrifices qu'elle a déjà beaucoup de mal à accepter.