Le ministre des Finances, Raymond Bachand, avait annoncé une «révolution culturelle» dans le contrôle des dépenses de l'État québécois. Le budget qu'il a présenté hier amène en effet une révolution, mais celle-ci porte moins sur le contrôle des dépenses que sur les façons dont seront financés les services publics. Le gouvernement cesse de faire croire aux Québécois qu'ils peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre: s'ils tiennent aux généreux programmes sociaux qu'ils se sont donnés au fil des ans, ils vont devoir payer davantage.

Surtout, contrairement à ce qui fut le cas dans le passé, le gouvernement ne se contente pas d'augmenter les impôts et de tout envoyer au fonds consolidé. Il prélèvera plutôt des contributions spécifiques, versées à des fonds réservés (santé, universités, infrastructures de transports, réduction de la dette). Les contribuables paieront plus, mais ils sauront où va leur argent.

Le prélèvement d'une «contribution santé» est particulièrement révolutionnaire dans le contexte québécois. Depuis plusieurs années, les coûts du système de santé croissent d'au moins 5% par année alors que les revenus du gouvernement augmentent de moins de 4%. Dorénavant, l'écart entre ces deux courbes sera comblé par une contribution directe des citoyens, contribution qui sera versée à un Fonds pour le financement des établissements de santé. D'ici trois ans, chaque adulte québécois, sauf s'il est particulièrement démuni, paiera un montant atteignant 200$ par année en 2012. Il est écrit dans le ciel que par la suite, cette contribution augmentera chaque année, peu importe le parti au pouvoir. Les contribuables deviendront forcément plus conscients du coût pharaonique du système de santé.

Les Québécois veulent des infrastructures de transport de qualité. La taxe sur l'essence sera haussée de 4¢ le litre sur quatre ans. Les 480 millions ainsi recueillis chaque année seront intégralement versés à un fonds consacré aux infrastructures.

La rencontre économique de Lévis, en janvier dernier, a dégagé un consensus clair: l'éducation, en particulier la formation universitaire, doit être la priorité du Québec. Le budget Bachand annonce donc une augmentation des droits de scolarité universitaire à compter de 2012, augmentation dont les modalités restent à déterminer, mais qui sera sans doute substantielle.

Tous les économistes affirment que l'État québécois doit absolument diminuer sa dette. À cette fin, le gouvernement prévoit que le prix du bloc patrimonial de l'électricité, gelé depuis une décennie, augmentera de 36% sur cinq ans à compter de 2014. La facture d'électricité d'un particulier augmentera en moyenne de 3,7%, en plus des hausses annuelles habituelles. Le gouvernement encaissera ainsi 1,6 milliard qu'il investira dans le Fonds des générations, consacré à la réduction de la dette.

De diverses manières au cours des derniers mois, les Québécois ont fait savoir qu'avant de leur en demander davantage, le gouvernement devait faire le ménage dans sa cour. Le budget Bachand s'engage résolument dans cette voie, même si les mesures concrètes que prendront les ministères et organismes publics ne sont pas encore connues. La croissance des dépenses du gouvernement sera limitée à 2,8% à compter de l'an prochain, comparativement aux 4,8% enregistrés au cours des dernières années. Les dépenses administratives, notamment pour les voyages et la publicité, seront réduites de 25%. Cela ne suffira pas à atteindre la cible; si le gouvernement garde le cap, des programmes devront être sacrifiés.

Selon Québec, 60% de l'effort nécessaire pour rétablir l'équilibre budgétaire sera fait par le gouvernement et 40% par les contribuables. Le fait que cette portion fasse plus mal dans l'immédiat ne signifie pas que l'autre partie de l'équation est insignifiante. Contraindre à ce point la croissance des dépenses publiques relèvera du tour de force.

Les Québécois de classe moyenne seront furieux d'avoir à verser quelques centaines de dollars de plus par année au gouvernement. La réalité implacable, pourtant, c'est qu'à moins d'être prêts à se priver de certains services, ils devront se résigner à payer davantage.

Le vent va souffler fort au cours des prochaines semaines. L'opposition ne se privera pas de dénoncer la «taxe Charest sur la santé» (PQ) et «les deux mains dans les poches des Québécois» (ADQ). Québec doit tenir bon, de sorte que la province prenne enfin ce virage historique en matière de finances publiques. Tous ceux qui, au nom d'une vision lucide de l'avenir, avaient proposé une telle politique ont aujourd'hui le devoir d'appuyer le gouvernement.