La Conseil de la langue française vient de recommander au gouvernement d'étendre la portée de la loi 101 aux écoles primaires privées non subventionnées. Cette recommandation fait suite à un (mauvais) jugement rendu par la Cour suprême l'automne dernier. La Cour y invalidait la loi 104, loi qui empêche les parents francophones ou immigrants d'envoyer leurs enfants dans une école privée anglaise pendant une courte période de façon à ce qu'ils puissent ensuite fréquenter l'école publique anglaise malgré les prescriptions de la Charte de la langue française.

Le tribunal a jugé légitime que le gouvernement du Québec veuille interdire ce subterfuge, mais a conclu que la solution trouvée était trop radicale. Les juges estiment que Québec devrait plutôt examiner la situation de chaque enfant concerné pour déterminer s'il suit à l'école anglaise «un parcours authentique». Ce concept tarabiscoté mènerait les fonctionnaires à évaluer, cas par cas, «le parcours (de l'élève), la nature et l'histoire de l'institution et le type d'enseignement qu'on y donne».

Selon le Conseil de la langue française, un système fondé sur des décisions aussi subjectives sèmera la confusion quant à la portée de la loi 101, nous ramenant au chaos produit par les tests linguistiques introduits par la loi 22. D'où cette idée d'attaquer le mal à la racine en soumettant les écoles privées non subventionnées à la Charte de la langue française. Le Parti québécois fait la même suggestion, ajoutant que pour être certain d'être à l'abri de futures contestations judiciaires, le gouvernement devrait avoir recours à la clause nonobstant.

L'idée du Conseil est séduisante par sa simplicité et par la clarté du message qu'une telle mesure enverrait. Cependant, les effets potentiellement néfastes d'une telle politique ne nous semblent pas avoir été suffisamment considérés.

La dernière fois que le gouvernement québécois a eu recours à la clause nonobstant dans le domaine linguistique (lorsque le gouvernement Bourassa a adopté la loi 178 sur l'affichage), la décision a soulevé un tollé au Canada anglais, tollé qui a contribué à l'échec de l'Accord du lac Meech. De plus, privés de recours devant les tribunaux canadiens, les mécontents pourraient faire appel aux instances des Nations unies. En effet, certains textes de droit international pourraient être interprétés comme garantissant aux parents le droit d'inscrire leurs enfants à une école privée de leur choix. Une décision défavorable au Québec ferait du tort à notre réputation dans le monde.

Le gouvernement Charest doit évaluer s'il est faisable, autrement que par une mesure simple, mais risquée, de limiter jusqu'à l'insignifiance le recours aux écoles privées non-subventionnées pour contourner la Charte de la langue française. Si cela n'est pas possible, Québec devra se résoudre à étendre la portée de la loi 101 à ces établissements.