Selon le ministre des Affaires municipales, les nombreux problèmes d'éthique qui ont fait surface dans l'administration de la Ville de Montréal constituent des «cas isolés». «On ne fera pas de grande enquête là-dessus», a tranché M. Laurent Lessard.

Des cas isolés? On a plutôt l'impression, à voir les scandales éclater les uns après les autres, à voir aussi la Sûreté du Québec multiplier les enquêtes et les perquisitions, qu'une frange de l'industrie de la construction a érigé en système les tentatives de corruption d'officiers municipaux. Peut-on croire que seulement un conseiller municipal, que seulement un fonctionnaire se sont vu offrir un séjour en bateau ou un voyage en Italie? Se peut-il vraiment que cette façon de faire n'ait eu cours qu'à Montréal?

 

Rappelons quelques faits:

> à Montréal, cinq enquêtes policières sont en cours sur de graves irrégularités relatives à divers contrats et transactions;

> la Sûreté du Québec mène une enquête de grande envergure sur des pratiques illicites dans le milieu de la construction;

> l'Agence de revenu du Canada soupçonne des entreprises appartenant à l'entrepreneur Tony Accurso d'évasion fiscale pour la somme de 4,5 millions;

> nombreux sont ceux qui prétendent qu'il en coûte sensiblement plus cher de construire au Québec qu'ailleurs en Amérique du Nord (affirmation validée par des statistiques);

> on entend dire depuis des années, de sources diverses, que des entreprises déjouent le processus d'appels d'offres en se partageant les contrats;

> quant aux liens entre l'industrie et le crime organisé, le président de l'Association de la construction du Québec, Gilbert Grimard, estime qu'«on peut difficilement dire où cela commence et où cela finit.»

Voilà le problème: à une époque marquée par les fraudes de toutes sortes, les Québécois se demandent jusqu'à quel point la corruption a envahi le domaine des travaux publics. Personne n'est rassuré quand on leur dit qu'il s'agit de «cas isolés». C'est pourquoi certains réclament la mise sur pied d'une «commission Cliche pour notre temps» (Yves Boisvert). Le gouvernement Charest a jusqu'ici écarté cette idée, préférant laisser les enquêtes policières suivre leur cours.

Il est vrai que la priorité doit aller à la chasse aux criminels. Vrai aussi que le mandat d'une telle commission ne serait pas facile à délimiter. Par contre, une enquête publique permettrait de dresser un portrait exhaustif de la situation, ce qui nous paraît de plus en plus nécessaire.

Chose certaine, le gouvernement Charest doit faire preuve dans ce dossier d'un leadership beaucoup plus vigoureux. Les comportements mis au jour par les médias sont extrêmement troublants. Si ce n'était que la pointe de l'iceberg, des pans importants de l'économie et de la politique québécoises se révéleraient gangrenés par la copinage.

Compte tenu de l'importance des enjeux, Québec doit s'empresser de faire savoir:

- qu'il fait de ce dossier une priorité;

- que si la SQ a besoin de plus de ressources pour mener à bien ses enquêtes, elle les obtiendra;

- qu'il envisage sérieusement la tenue d'une enquête publique sur les liens entre l'industrie de la construction, le crime organisé et les tentatives de corruption d'officiers municipaux.