Tout le monde connaît la théorie selon laquelle si on place une grenouille dans une casserole d'eau bouillante elle en sortira au plus vite, tandis que si on la met dans une casserole d'eau froide qu'on chauffe ensuite lentement, le batracien ne réagira pas et finira ses jours ébouillanté. D'un point de vue scientifique, ça ne tient pas. N'empêche, l'allégorie illustre merveilleusement l'incapacité de certains groupes et personnes à réagir à une situation problématique avant qu'il ne soit trop tard. Pensons à l'insouciance des Québécois face à l'impact prévisible du choc démographique.

Une analyse des économistes de Desjardins, publiée jeudi, confirme ce qui a été annoncé par bien d'autres auparavant, mais que la plupart des gens refusent d'entendre: le vieillissement de la population québécoise et la diminution de la main-d'oeuvre qui s'ensuivra donneront un sérieux coup de frein à la croissance économique. Au cours des deux prochaines décennies, celle-ci diminuera lentement pour n'atteindre que la moitié de ce qu'elle est aujourd'hui. Les entreprises d'ici auront de plus en plus de mal à trouver des travailleurs, en particulier des jeunes. Pour les attirer, elles devront payer de meilleurs salaires et auront par conséquent du mal à soutenir la concurrence venant de pays où la main-d'oeuvre est plus abondante.

 

Le mini baby-boom constaté depuis 2006 et la hausse du nombre d'immigrants sont des phénomènes trop marginaux pour avoir un effet significatif sur les tendances lourdes. Autrement dit, on ne peut pas faire grand-chose pour prévenir le vieillissement de la population.

Le choc sera particulièrement «brutal» pour les finances publiques. «Le Québec se dirige inévitablement vers une impasse financière majeure», soutiennent ces économistes. Comme une bonne partie des fonds du gouvernement du Québec vient de l'impôt sur le revenu des particuliers, la baisse du nombre de travailleurs aura pour effet de diminuer les rentrées d'argent. Simultanément, les pressions à la hausse sur les dépenses en santé seront considérables, toujours en raison du vieillissement.

Au cours de la dernière décennie de prospérité, l'État québécois n'est pas parvenu à alléger le fardeau de sa dette. Il se trouve maintenant sans marge de manoeuvre aucune et la situation ne pourra que s'aggraver. Jusqu'à ce que l'élastique casse.

Les économistes de Desjardins dressent un pronostic des plus sombres: «Une vague de réformes encore plus douloureuses que celles de la dernière décennie sera incontournable.»

Certains ne manqueront pas de dénoncer cette nouvelle «attaque néo-libérale contre le modèle québécois». Quant à nous, ce n'est pourtant pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit de trouver le courage de faire les choix qui préserveront les missions gouvernementales essentielles et y concentreront nos ressources limitées. Vivre solidairement, certes, mais selon nos moyens.

Il vaut mieux prendre ces décisions de manière réfléchie et démocratique que de se les faire imposer en catastrophe par ses créanciers. Réagir quand l'eau est tiède plutôt qu'attendre le point d'ébullition.

apratte@lapresse.ca