Neuf mois après l'émeute qui a secoué Montréal-Nord et ébranlé le Québec entier, l'enquête publique du coroner sur la mort de Freddy Villanueva s'amorce enfin aujourd'hui. À l'issue des travaux du juge Robert Sansfaçon, on devrait savoir exactement ce qui s'est passé en ce 9 août 2008 alors que l'homme de 18 ans a péri sous les balles d'un policier.

Les proches de la victime et les autres jeunes impliqués ont décidé de boycotter l'enquête, sauf pour les témoignages que le coroner leur imposera de livrer. Il en est de même pour divers groupes de pression, notamment la Ligue des Noirs et la Ligue des droits et libertés. La semaine dernière, 15 personnalités ont pressé le gouvernement de mettre sur pied une enquête au mandat plus vaste. Il appert que toutes ses personnes ont déjà rendu leur verdict au sujet de l'événement: le groupe de Villanueva a été victime de profilage ethnique et le jeune homme lui-même d'abus policier. «Pourquoi, lorsqu'un geste est fait par certains citoyens, il peut rester impuni?» a lancé le chanteur Luck Merville. L'enquête du coroner est une opération de «camouflage», selon Gérald Larose, parce qu'elle ne permettra pas d'aller «au fond des choses».

Mais qu'est-ce que le fond des choses? Avant de sauter aux conclusions d'abus policier et de racisme, il faudrait savoir comment au juste Villanueva est mort. Et si le jeune homme avait sa part de responsabilité, comme le laisse croire l'enquête réalisée par la Sûreté du Québec? À l'inverse, faut-il croire la version des policiers selon laquelle leur vie était menacée? Avaient-ils une raison valable d'interpeller ce groupe de jeunes? Ont-ils inutilement eu recours à la manière forte?

Le coroner Sansfaçon a pris une sage décision en refusant de s'engager, avant même le début de son enquête, à aborder des questions comme le profilage ethnique. Il n'exclut pas de se pencher sur de telles problématiques, mais le fera seulement s'il y a un lien entre celles-ci et le décès. Si un tel lien existe, il sera crucial, en effet, que le juge creuse le sujet à fond.

Les partisans d'une enquête plus large voudraient que soient étudiés les problèmes sociaux du quartier et les comportements des policiers. Ces questions, certainement importantes, ont déjà fait l'objet des «chantiers de Montréal-Nord» lancés par le maire Gérald Tremblay. Le rapport final des «chantiers», fruit d'une consultation réalisée auprès de dizaines d'intervenants et de 500 citoyens, a été publié en avril et comptait plusieurs recommandations, dont certaines sont en voie de réalisation. Une commission d'enquête qui amorcerait ses travaux aujourd'hui sur les causes profondes de l'émeute de l'été dernier arriverait trop tard pour être utile.

Les 15 personnalités qui ont interpellé le premier ministre craignent que le cadre étroit auquel s'astreint le juge Sansfaçon n'accentue «la perception de graves injustices commises à l'endroit des minorités». À notre avis, ce sont plutôt ceux qui condamnent l'enquête avant qu'elle n'ait eu lieu qui encouragent cette perception.