Le premier ministre Jean Charest a rapidement fait savoir qu'il n'était pas question de radier Guy Lafleur de l'Ordre national du Québec, bien que l'ancien joueur ait été reconnu coupable d'avoir rendu des témoignages contradictoires au cours du processus judiciaire concernant son fils Mark.

«Il a eu une contribution exceptionnelle au Québec, ce n'est pas vrai que la vie de Guy Lafleur se résume à un seul événement», a expliqué le porte-parole du premier ministre. On ne saurait mieux dire. Souhaitons que les responsables de l'Ordre du Canada et du Temple de la renommée du hockey feront preuve d'autant de discernement.

 

Le crime qu'a commis M. Lafleur ne devrait pas être banalisé. Les tribunaux sont des piliers de la démocratie et de la société de droit. Mentir devant un juge a pour effet d'entraver la bonne marche de la justice. C'est aussi faire injure à cette institution fondamentale.

Guy Lafleur n'a pas commis sa faute par appât du gain ou autre motif condamnable; il voulait sortir son fils de prison. Mais un crime est un crime; un cambrioleur n'est pas moins coupable de vol parce qu'il souhaite donner l'argent à sa vieille mère. Le juge prendra en compte les circonstances atténuantes (et aggravantes) lorsqu'il déterminera la peine à imposer.

Cela dit, il n'y a aucune raison d'ajouter à la peine que la justice imposera. Seul un crime d'une grande gravité peut effacer l'oeuvre de toute une vie. Si l'Ordre national du Québec, l'Ordre du Canada et le Temple de la renommée du hockey récompensaient uniquement les personnes parfaites, leur panthéon serait vide.

Guy Lafleur a reçu l'Ordre du Canada en 1980 parce que «tout au long de sa carrière, il a su s'attirer l'admiration de tous par sa détermination et son jeu exemplaire». Au lendemain de la décision du juge Claude Parent, la carrière du numéro 10 reste tout aussi remarquable.

La constitution de l'Ordre du Canada prévoit que son conseil consultatif «envisage» la révocation d'un membre si celui-ci a été condamné au criminel. Il n'y a donc pas d'automatisme. Le conseil consultatif et la Gouverneure générale, Michaëlle Jean - qui détient le pouvoir ultime en ces matières -, conviendront qu'il n'y a aucune commune mesure entre les témoignages contradictoires qu'on reproche à Guy Lafleur et les gestes commis par les trois personnes qui se sont vu retirer l'Ordre dans le passé, Allan Eagleson (fraudes), David Ahenakew (déclarations racistes) et l'avocat T. Sher Singh (faute professionnelle grave).

Quant au Temple de la renommée du hockey, les membres sont choisis pour «leur talent, leur esprit sportif, leur personnalité, de même que la contribution qu'ils ont apportée au succès de leur équipe et au hockey en général.» Encore là, on ne voit pas en quoi les récents événements viennent diminuer la valeur des exploits de Guy Lafleur.

M. Lafleur a commis une erreur grave. Toutefois, pour une vaste majorité de Canadiens, il demeure un grand athlète, un homme aimable et généreux qui mérite aujourd'hui autant qu'hier les nombreux honneurs qui lui ont été conférés.