Le premier ministre Charest a modifié les règles visant à empêcher ses ministres de se placer en situation de conflit d'intérêts. Les nouvelles directives permettent à un membre du conseil des ministres de détenir des parts dans une société privée qui fait affaire avec le gouvernement et même avec son propre ministère.

Le gouvernement libéral soutient qu'il s'agit tout simplement d'adapter les règles à un cas particulier. On ne sait pas, à l'heure de mettre sous presse, de quel ministre il s'agit ou dans quelle compagnie il a investi. «Le gouvernement préfère s'adapter aux conflits d'intérêts plutôt que de les empêcher, a ironisé la chef de l'opposition officielle, Pauline Marois. Et, dans le fond, si la loi est trop sévère, ce n'est pas grave, on va changer la loi.» Le leader parlementaire du Parti québécois, Stéphane Bédard a parlé de «limbo éthique».

 

On ne peut porter un jugement sur cette affaire tant qu'on n'en connaît pas les tenants et aboutissants. Cependant, la démarche du gouvernement suscite une inquiétude légitime.

Il est vrai que la nouvelle directive impose des conditions à un ministre se trouvant dans une telle situation. Par exemple, il lui sera interdit de discuter avec ses collègues et avec ses fonctionnaires de dossiers liés aux affaires entre l'État et l'entreprise dans laquelle il détient des intérêts. De plus, le premier ministre pourrait exiger qu'il dépose ces intérêts dans une fiducie sans droit de regard ou qu'il s'en départisse. Cependant le fait que ces mesures supplémentaires relèvent de la discrétion du chef du gouvernement inquiète plus qu'il ne rassure.

Selon M. Charest, «les règles qui existent ici, au Québec, sont les mêmes règles qui existent en Ontario, qui existent au niveau fédéral». Cette affirmation est inexacte. Les lois fédérale et ontarienne interdisent à un ministre de détenir des parts dans une entreprise faisant affaire avec le gouvernement sauf si le Commissaire à l'éthique juge que la situation ne pose pas de problème. Autrement dit, à Ottawa comme à Toronto, l'existence ou non d'un conflit d'intérêts potentiel est déterminée par un arbitre neutre. Ce dernier est forcément plus crédible en ces matières que le gouvernement et l'opposition, dont le jugement est forcément faussé par la partisanerie.

Cette affaire met en évidence l'urgence de doter les élus de l'Assemblée nationale d'un code d'éthique complet arbitré par un commissaire à l'éthique dont l'indépendance saurait rassurer la population. Cela signifie, notamment, que ce commissaire devrait être nommé par un vote des deux tiers des députés, comme l'est le vérificateur général.

Jean Charest s'est engagé à créer un tel poste il y a sept ans, alors qu'il était chef de l'opposition. Le soir de son élection, en avril 2003, il promettait un gouvernement «de respect, d'intégrité et de transparence». Les choses traînent depuis ce temps.

Les députés de tous les partis devraient pourtant comprendre qu'une telle mesure est non seulement dans l'intérêt public, mais dans leur propre intérêt: il en va du peu de réputation qui leur reste.

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