La lecture des notes de service du ministère américain de la Justice autorisant les techniques d'interrogatoire de la CIA donne froid dans le dos. Ces notes, émises en 2002 et en 2005, ont été rendues publiques jeudi dernier, sur ordre du président Obama.

Les juristes y consacrent des dizaines de pages à écarteler les textes de loi pour justifier l'injustifiable : le recours à des méthodes violentes et dégradantes dans l'espoir de soutirer des informations de présumés terroristes d'Al Qaeda.

Les notes décrivent les méthodes en question avec une minutie et une monotonie toutes bureaucratiques, comme s'il s'agissait de règlements de zonage. Ainsi, la noyade simulée ne peut être employée pendant plus de 5 jours dans un mois, deux fois par jour. Durant chaque séance, la noyade ne peut être simulée plus de six fois, pour une durée maximale à chaque simulation de 40 secondes.

Lorsqu'un détenu est arrosé, la température de l'eau ne doit pas être inférieure à 41 degrés Fahrenheit. Si un détenu est dévêtu aux fins de l'interrogatoire, il ne doit pas faire moins de 68 degrés Fahrenheit dans la pièce.

On peut projeter un prisonnier contre un mur flexible, conçu pour accentuer le bruit du choc, «peut-être 20 à 30 fois» durant un interrogatoire. La «gifle faciale» et la «gifle abdominale» sont également décrites en détail. De même pour le confinement dans des pièces juste assez grandes pour permettre au détenu de se tenir debout ou assis.

Les avis favorables du ministère de la Justice reposent sur la condition que la CIA «respectera soigneusement toutes ces lignes directrices». Or, cette condition est naïve à l'extrême. Comme l'écrivait Michael Ignatieff, qui avant de se lancer en politique s'est longuement penché sur la question, «je ne vois pas comment on peut gérer institutionnellement des techniques coercitives d'interrogatoire pour empêcher qu'elles ne dégénèrent en torture.»

On pourrait discuter longtemps de la nature des méthodes décrites dans les notes de service: s'agit-il de torture ou non? Peu importe: il est inévitable que, une fois la porte entrouverte, les agents aillent plus loin, plus fort que ce qu'ont autorisé les dociles juristes du ministère de la Justice. On apprenait d'ailleurs hier que la noyade simulée a été utilisée à 183 reprises contre un détenu et 83 fois contre un autre.

La décision de Barack Obama de publier ces troublants documents a été applaudie. Plusieurs sont cependant déçus du fait que la Maison-Blanche a écarté toute poursuite contre les agents ayant eu recours à ces méthodes coercitives et contre leurs supérieurs. Cette décision est pourtant compréhensible. Si le président avait ouvert la voie aux poursuites, il aurait exposé son pays à d'interminables procédures judiciaires et à une terrible guerre politique entre démocrates et républicains.

Cela dit, les Américains devraient s'assurer que le recours à la torture ne dépende pas seulement des convictions (ou absences de scrupules) d'une administration donnée. À cette fin, une enquête permettant de tracer un portrait complet des techniques telles qu'employées dans les cellules de la CIA (plutôt que dans les lignes directrices de l'agence), de même que de leur efficacité réelle pourrait être fort utile.