Deux nouvelles concernant le géant de l'assurance AIG ont montré à quel point l'intervention massive du gouvernement américain dans le monde de la finance, pour inévitable qu'elle soit, est susceptible d'entraîner des effets pervers. Dans ce cas comme dans d'autres, la culture politique entre en collision avec la culture financière. Ces deux cultures étant à la fois très différentes et très malsaines, le choc pourrait causer beaucoup de dégâts.

On a appris qu'AIG, qui a reçu 173 milliards d'aide de Washington, a transféré une part substantielle de cette somme à des institutions étrangères, notamment 20 milliards à des banques européennes et 1,1 milliard à la Banque de Montréal. Pourquoi les contribuables américains devraient-ils venir à la rescousse de firmes étrangères? se sont demandé plusieurs observateurs.

 

Il a aussi été révélé qu'AIG avait payé la semaine dernière 165 millions en primes de rétention à 418 employés de sa division des produits financiers, division responsable de la débâcle de l'entreprise. Soixante-treize de ces employés ont chacun reçu une prime de plus d'un million. Depuis la publication de cette information, la colère des contribuables américains a pris des proportions considérables, au point que le président Obama a senti le besoin d'exprimer lui-même son indignation.

Le président d'AIG, Edward Liddy, a subi hier les foudres des élus lors d'une comparution devant un comité du congrès. M. Liddy, il faut le rappeler, a été placé à la tête d'AIG par le gouvernement. Sa principale tâche est de fermer la division des produits financiers, ce qui exige de se départir de façon ordonnée d'actifs d'une complexité inouïe totalisant 1600 milliards.

Ses explications donnent à réfléchir. Ces primes, négociées avant son arrivée, laissent certes un «goût amer», a-t-il admis. Toutefois, si la firme avait refusé de les verser, les employés en question auraient tout simplement quitté, sachant qu'en fin de processus, ils n'auront de toute façon plus d'emploi. Personne n'aurait été en mesure de gérer la fermeture de la division. Celle-ci aurait «explosé», avec des conséquences catastrophiques pour l'économie américaine.

Les congressmen ne voulaient rien entendre, trop heureux de surfer sur le mécontentement, compréhensible mais peut-être mal avisé, de la population. M. Liddy a demandé hier matin aux employés de la division des produits financiers de remettre au moins 50% de la prime reçue. «Mais je crains que le mal ne soit déjà fait. Ils vont nous remettre la prime... en même temps qu'une lettre de démission.»

Et voilà le choc des cultures. D'un côté, des cracks de Wall Street ne ressentant aucun malaise à recevoir des centaines de milliers de dollars en primes en de telles circonstances. De l'autre, des politiciens qui mettent de l'avant des solutions aussi populaires que simplistes. Par exemple, celui-ci qui suggérait à M. Liddy de congédier sur-le-champ les employés ayant touché une prime. Or, qui irait les remplacer dans une division qui fermera dans quelques mois?

Coincé entre ces deux mondes, M. Liddy cherche des solutions réalistes là où il n'y en a pas d'élégantes.