Donald Trump, incontestablement, est un politicien populiste. Mais que dire de Doug Ford? Et la CAQ, elle? Est-elle un parti populiste, comme certains de ses rivaux l'ont soutenu?

S'entendre sur une définition du populisme servirait à rehausser le débat et à éviter les amalgames malhonnêtes.

Le politologue allemand Jan-Werner Müller, qui était de passage la semaine dernière au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal, propose une définition éclairée et éclairante du populisme.

D'où l'idée de cet éditorial, inspiré de ses conclusions. Objectif : évaluer plus facilement si les politiciens du Québec et d'ailleurs, lorsqu'ils prononceront les mots ci-contre, doivent être qualifiés de populistes. Car ces mots font souvent partie du vocabulaire des populistes... mais pas toujours.

Découvrez, derrière chacun, les indices qui vous aideront, à l'avenir, à démasquer les véritables populistes. Ceux dont les discours politiques doivent être fermement dénoncés, car ils représentent souvent une menace pour nos sociétés démocratiques.

Élites

«La critique des élites est un critère nécessaire, mais en rien suffisant lorsqu'il s'agit de décider si l'on a affaire ou non à une rhétorique populiste», a écrit Jan-Werner Müller. Suggestion : si vous entendez un politicien critiquer «les élites», dites-vous premièrement qu'il est terriblement hypocrite. Les politiciens sont souvent eux-mêmes issus des élites (oui, surtout toi, Donald Trump!). Dites-vous par ailleurs que ceux qui dénoncent les élites sont potentiellement des populistes... mais pas à coup sûr. Car il est tout à fait normal de dénoncer ceux qui font partie des élites lorsqu'ils le méritent. 

Experts

Au Québec, les services éducatifs offerts en CPE sont de meilleure qualité que dans les autres garderies, ont constaté les experts. Plusieurs études l'ont démontré. Mais un député de la CAQ n'est pas de cet avis. «Je veux bien qu'une étude qui me dise j'ai tort, vos enfants ont été mal servis, mais ce n'est pas vrai, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise», a déclaré récemment Éric Caire. La critique des experts fait partie de l'arsenal des populistes. Mais dénoncer les conclusions d'experts ne fait pas automatiquement de vous un populiste. Éric Caire semble plutôt avoir eu une crampe au cerveau. Ça non plus, ça ne fait pas de vous un populiste.

Immigration

«L'essentiel chez les populistes n'est pas l'anti-élitisme. C'est l'anti-pluralisme. La tendance à exclure les autres», a expliqué Jan-Werner Müller lors de son passage à Montréal. Ce qui ne veut pas dire que vouloir débattre de l'immigration fait de vous un populiste. Loin de là. Répétons-le : les débats à ce sujet sont parfaitement légitimes. Cela dit, les populistes «ayant besoin d'un critère moral» pour expliquer «qui fait véritablement partie du peuple authentique» et qui en est exclu peuvent bien sûr vouloir diaboliser les migrants, les réfugiés et les minorités en général.

Peuple

C'est incontestablement un mot clé du vocabulaire des populistes. Un populiste fait croire aux électeurs qu'il est le seul à être en mesure de représenter «le peuple véritable» d'un pays. L'une des raisons pour lesquelles les populistes représentent un danger pour les régimes démocratiques, c'est qu'ils cherchent à exclure de ce soi-disant «peuple» tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Incluant leurs adversaires politiques et les autres acteurs qui les critiquent, même si ces critiques sont valables. Ils se retrouvent systématiquement discrédités et jugés illégitimes. Les populistes les accusent de leur mettre des bâtons dans les roues et, par conséquent, de s'opposer au peuple. 

Médias

Donald Trump a déjà qualifié certains reporters d'«ennemis du peuple». Pour lui, la liberté de presse n'est pas un principe fondamental d'une démocratie, c'est une épine dans le pied. Il n'est pas différent de Vladimir Poutine en Russie ou de Recep Tayyip Erdogan en Turquie. C'est dangereux. Mais ça s'explique aisément : si les populistes estiment qu'eux seuls peuvent représenter le peuple, tout journaliste qui remettra en question leurs agissements sera accusé «d'agir contre les intérêts de la nation». Bon nombre de politiciens vont s'en prendre aux journalistes et ne seront pas populistes pour autant. Mais les populistes attaqueront en général les médias avec une vigueur dérangeante. Méfiez-vous de ceux qui décrient les «fake news»!

Manifestants 



Pourquoi débattre avec ses opposants lorsqu'on peut carrément les discréditer? C'est une des méthodes privilégiées par les populistes. Elle a été mise en oeuvre aux États-Unis par Donald Trump, mais aussi par d'autres ténors républicains. Ils ont notamment soutenu que certains manifestants ayant protesté de façon légitime contre les décisions prises à Washington étaient de faux militants, car ils avaient été rémunérés. Ce n'était pas vrai, mais le mal était fait. Quand on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage! La même méthode est utilisée en Russie par Vladimir Poutine. Il s'agit d'un déni des valeurs démocratiques qui nous sont chères et qu'il faut chercher à défendre.

Majorité silencieuse

Aux États-Unis, l'expression a été popularisée par le président républicain Richard Nixon dès la fin des années 60. Presque tous les populistes l'ont utilisée, signale Jan-Werner Müller. Parler de la «majorité silencieuse» permet aux populistes de prétendre, s'ils sont vaincus, que la majorité n'a pas pu s'exprimer. Souvenez-vous comment Donald Trump a prévenu ses partisans, en 2016, que s'il perdait contre Hillary Clinton c'est que l'élection était truquée! Les populistes n'acceptent pas le verdict des urnes s'ils ne triomphent pas. C'est inquiétant.

Voix



En Autriche, le politicien populiste Heinz-Christian Strache a déjà fait campagne avec des affiches où on pouvait lire le slogan : «Il pense ce que Vienne pense.» Le politologue Jan-Werner Müller, qui rapporte cette anecdote, explique qu'un populiste va généralement prétendre qu'il n'est qu'un simple «porte-voix». C'est terriblement habile. Et archifaux. «Je suis votre voix», a pour sa part lancé Donald Trump à l'été 2016. Comme si les autres politiciens étaient là pour défendre leurs propres intérêts alors que les populistes, eux, seraient du côté du «peuple». Il suffit d'analyser les décisions prises par Donald Trump pour se rendre compte que les populistes ne sont pas plus vertueux que les autres politiciens. Bien au contraire...

Qu'est-ce que le populisme? Définir enfin la menace de Jan-Werner Müller. Éditions Premier Parallèle, 2016.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion