Dans d'autres circonstances, la photo d'Ivanka Trump et de son fils de 2 ans, diffusée sur Twitter il y a quelques jours, aurait été jugée charmante. Mais le moment était mal, très mal choisi.

Ivanka Trump n'est pas que la fille du président américain, elle est aussi sa conseillère. Il était évident qu'elle allait soulever, en faisant publiquement l'étalage de son bonheur, une intense controverse. Pas pour ce que cette photo raconte, mais bien pour ce qu'elle cache.

Car ce moment de bonheur est commandité par une administration dont la politique migratoire se révèle tragique pour des centaines de familles qui cherchaient à obtenir leur part du rêve américain. Elles vivent actuellement un cauchemar.

Le ministre de la Justice de Donald Trump, Jeff Sessions, a annoncé au début du mois de mai que les demandeurs d'asile qui posent le pied sur le sol américain seront systématiquement détenus et séparés de leurs enfants, si ceux-ci les accompagnent.

L'idée est de décourager le plus grand nombre possible de migrants d'entrer sur le territoire américain (qu'ils soient persécutés dans leur pays d'origine ou pas). Il n'y a pas de méthode idéale pour les en dissuader, évidemment, mais celle choisie par la Maison-Blanche est incontestablement cruelle.

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Le réseau CBS rapportait hier qu'entre le 6 et le 19 mai, 658 enfants ont été séparés de leurs parents. Et ça risque fort de se poursuivre à ce rythme effréné au cours des prochains mois. «C'est la pratique la plus atroce que j'ai vue en plus de 25 ans», a affirmé un avocat de l'American Civil Liberties Union sur les ondes de ce réseau. Le même juriste, interviewé par MSNBC, a dit que des mères racontent avoir entendu leur enfant crier : «Maman, maman, ne les laisse pas m'emmener!»

Cet avocat est ébranlé, mais ce n'est pas d'hier qu'on rapporte des histoires de migrants à fendre l'âme en provenance des États-Unis. La détention de migrants mineurs, par exemple, est fréquente et a été autorisée sous le républicain George W. Bush, soulignait le Washington Post. La pratique n'a pas cessé sous Barack Obama.

Mais entre détenir des enfants - ce qui est troublant - et les arracher à leurs parents, il y a un fossé que Donald Trump n'a pas hésité à franchir avec enthousiasme.

Et ce qui est encore plus pitoyable, c'est qu'il n'a pas eu le courage de ses opinions. Sur Twitter, il a accusé les démocrates d'être responsables de cette pratique, ce qui est faux.

On comprend donc pourquoi une banale photo d'Ivanka Trump a mis le feu aux poudres. Hélas, la polémique ne poussera probablement pas la Maison-Blanche à changer de cap ou à assouplir sa politique. Mais elle pourrait pousser... le Canada à faire plus rapidement le ménage dans sa propre cour.

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Évidemment, quand on se compare, on se console. Au Canada, on ne sépare pas de force les parents de leurs enfants. Cela dit, la situation n'est pas entièrement reluisante.

Chaque année, de nombreux enfants migrants sont détenus sur le sol canadien.

Une situation régulièrement dénoncée par de nombreux groupes allant du Barreau du Québec à l'Académie canadienne de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.

La situation prend du mieux. Selon les chiffres de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), 162 mineurs ont été détenus pour l'année 2016-2017. Entre 2010 et 2015, la moyenne était plutôt de 242 enfants annuellement. Et Ottawa dit vouloir faire encore mieux.

Le gouvernement fédéral a annoncé une stratégie, à la fin de l'année 2016, visant à améliorer les infrastructures de détention utilisées pour les migrants. À l'ASFC, on expliquait hier que l'objectif est de «minimiser le plus possible l'hébergement d'enfants dans des installations de détention».

Il sera crucial de suivre de très près la mise en place de solutions de rechange à la détention pour les mineurs. Entre-temps, toutefois, il est permis de pousser un soupir de soulagement en constatant que nos institutions disent avoir «toujours comme priorité l'intérêt supérieur de l'enfant». Car celles de nos voisins, pour leur part, font preuve d'une insensibilité encore plus stupéfiante que celle d'Ivanka Trump.

AFP

À la fin du mois d'avril, 150 migrants centraméricains sont arrivés à Tijuana, au Mexique, à la frontière avec les États-Unis. Les images de la caravane de migrants, qui comptait originalement plus de 1000 personnes, avaient soulevé l'ire du président Trump.

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