Bien sûr qu'il faut se réjouir du réchauffement historique entre les deux Corées! Mais il faut aussi éviter de faire preuve d'un excès de naïveté.

Au cours des dernières décennies, ce sont les sceptiques et les pessimistes qui, hélas, ont généralement eu raison au sujet de la Corée du Nord. Cette fois, le dégel est peut-être réel. Mais pour l'instant, il faudrait éviter de prendre les mythes pour la réalité et de recycler de vieux clichés.

Donald Trump mérite le prix Nobel de la paix

Scène improbable samedi dernier lors d'un rassemblement républicain au Michigan : des partisans de Donald Trump ont scandé «Nobel, Nobel, Nobel»! Ils estiment que le président américain mérite le prix Nobel de la paix pour avoir contribué au rapprochement entre les deux Corées.

Euh... Il faudrait leur expliquer poliment que la crise n'a pas été désamorcée. Et qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Sans compter que l'impact de la stratégie de Donald Trump est loin d'être clair. C'est vrai, son intransigeance et les efforts pour des sanctions plus strictes semblent avoir encouragé Kim Jong-un à négocier. Mais sans le président sud-coréen Moon Jae-in, les avancées des derniers mois n'auraient probablement pas été possibles.

«Le président Trump peut avoir le prix Nobel. Tout ce dont nous avons besoin, c'est la paix», a-t-il déclaré hier d'une façon fort diplomate. Ce chef d'État a peut-être, mieux que quiconque, compris comment amadouer à la fois Donald Trump et Kim Jong-un.

La Corée du Nord démantèlera son site d'essais nucléaires

Kim Jong-un a dit qu'il allait fermer le site d'essais nucléaires qui se trouve dans le nord-est de son pays. Il l'aurait promis à son homologue sud-coréen vendredi lors du sommet historique entre les deux pays.

C'est fort possible. Mais ce n'est peut-être pas très significatif, car le site pourrait avoir été endommagé par des glissements de terrain, ont estimé des sismologues chinois. Ils pensent qu'il est inutilisable depuis septembre (date du dernier essai nucléaire).

Rappelons par ailleurs qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Le président George W. Bush pourrait en parler à Donald Trump. En 2008, la Corée du Nord a accepté de démanteler un de ses réacteurs nucléaires et de détruire sa tour de refroidissement. On s'est rapidement rendu compte que le régime n'avait fait que jeter de la poudre aux yeux du monde entier.

Le président nord-coréen est un tyran fou

Le président nord-coréen est un tyran, c'est irréfutable. Mais il n'est pas fou. Plus le temps passe, plus on se rend compte à quel point son comportement est rationnel. Parmi ceux qui peuvent en témoigner en toute connaissance de cause : l'historienne et journaliste française Juliette Morillot. Coauteure du livre Le monde selon Kim Jong-un, elle a séjourné en Corée du Nord à plusieurs reprises. «Il y a une logique parfaite derrière toutes les actions du régime depuis des années. Tout est calculé», nous a-t-elle confié.

Tout... même le dégel actuel. «Je pense que tout ce qui se passe aujourd'hui n'est pas un hasard. Tout était prévu. Maintenant que Kim Jong-un a l'arme nucléaire, il est en position de force et peut mener le jeu diplomatique.» Reste à espérer qu'il n'est pas en train de jouer une partie de poker avec la ferme intention de bluffer tous les autres joueurs.

Il existe une solution militaire à la crise

Donald Trump a lui-même menacé, en septembre dernier, de «détruire totalement» la Corée du Nord. Mais on sait très bien à la Maison-Blanche qu'attaquer le pays provoquerait des pertes humaines épouvantables en Corée du Sud. L'ancien stratège en chef du président, Steve Bannon, avait fait preuve d'une saine franchise à ce sujet avant d'être mis à la porte. «Jusqu'à ce que quelqu'un me démontre que 10 millions de personnes ne seront pas tuées à Séoul dans les 30 premières minutes par des armes conventionnelles [...], il n'y a pas de solution militaire. Ils nous tiennent», avait-il confié à un journaliste. Il avait entièrement raison. C'est pourquoi l'intérêt soudain de Donald Trump et de son entourage pour une solution diplomatique à cette crise est une excellente nouvelle.

Kim Jong-un va renoncer à ses ambitions nucléaires

Ce n'est pas impossible, mais c'est loin d'être une certitude. Car le leader nord-coréen n'a absolument aucun intérêt à démanteler son arsenal nucléaire au grand complet. Si on le prend désormais au sérieux et si on le craint tant, c'est justement parce qu'il a réussi à se doter de l'arme nucléaire.

Par ailleurs, il sait très bien que certains tyrans ayant renoncé ces dernières années à développer des armes de destruction massive ont connu une fin atroce. «Forcément, les dirigeants nord-coréens veulent la survie de leur régime. Ils ne veulent pas terminer comme [Mouammar] Kadhafi ni comme [Saddam] Hussein», indique l'historienne et journaliste Juliette Morillot.

La balle est dans le camp de Donald Trump, qui tentera de conclure le mois prochain ce qui pourrait bien être le «deal» le plus important de toute sa carrière. S'il y parvient, attendons-nous à entendre ses partisans scander le mot «Nobel» avec encore plus de fougue et de passion.

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