C'est la question qui tue. Celle que poserait Guy A. Lepage, s'il était à Philadelphie, à tous les partisans de Bernie Sanders. Allez-vous voter pour Hillary Clinton en novembre prochain sachant que, dans le cas contraire, vous risquez fort d'aider Donald Trump à triompher ? On la pose. Sheree Harden prend une courte pause. Elle semble réfléchir pendant un moment aux conséquences d'une victoire du candidat républicain. « Ça fait peur », s'exclame cette Afro-Américaine de 60 ans, originaire du New Jersey.

Pourtant, elle est prête à courir le risque.

Elle est artiste et on la rencontre sur la rue à l'issue d'une manifestation pro-Bernie Sanders. Elle a tapissé son t-shirt noir d'autocollants du sénateur du Vermont. Elle dit ne pas pouvoir faire confiance à Hillary Clinton. 

« Je le sens dans mes tripes, lance-t-elle. Hillary est comme cette fille au secondaire qui, pensiez-vous, était votre amie, mais qui vous a planté un couteau dans le dos aussitôt qu'elle en a eu la chance. Et qui vous a volé votre petit ami ! » 

Décidément, la confiance règne...

« Elle prouve continuellement qu'on ne peut pas lui faire confiance, renchérit Ann [elle refuse de dévoiler son nom de famille, car elle dit travailler avec des partisans de Donald Trump]. Elle couche avec les grandes corporations. » 

Car ce n'est pas qu'une question d'instinct ou de « tripes ». Au fil des ans, de multiples polémiques, décisions controversées et mensonges ont donné du grain à moudre à ceux qui aiment douter de sa bonne foi. Et ceux-ci ont la mémoire longue. 

Ann se souvient par exemple qu'en 2008, Hillary Clinton avait dit avoir été ciblée par des tirs lors d'une visite en Bosnie 12 ans plus tôt. Tout, incluant une vidéo de l'événement, porte à croire que la candidate avait romancé cette histoire. 

Ce n'est pas un cas unique : la politicienne démocrate a joué avec la vérité à de nombreuses reprises au cours de sa longue carrière.

On se rend compte aujourd'hui que, ce faisant, elle jouait avec le feu. De nombreux Américains ont l'impression d'avoir été bernés plus d'une fois.

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La grogne de plusieurs partisans de Bernie Sanders réunis à Philadelphie a grimpé d'un cran depuis la diffusion ce week-end de milliers de courriels volés aux responsables du Parti démocrate par, selon toute vraisemblance, des pirates informatiques russes.

Dans certains de ces courriels, des employés du parti, incluant la présidente Debbie Wasserman Schultz, critiquent le sénateur du Vermont (et ses conseillers). Alors que la course à la direction du parti faisait rage, ils ont même discuté, dans au moins un échange, d'une idée pour lui nuire.

Même si les responsables démocrates avaient été entièrement impartiaux, ça n'aurait rien changé au résultat de cette course, a admis le directeur de la campagne de Bernie Sanders, Jeff Weaver. Par ailleurs, Hillary Clinton n'a, semble-t-il, pas participé à ces échanges. Ce n'est pas elle qui a berné Sanders. Elle se retrouve néanmoins éclaboussée par ces accusations de favoritisme.

D'autant plus qu'ils rappellent le scandale des serveurs privés qu'elle utilisait pour ses courriels lorsqu'elle était secrétaire d'État. Et les mensonges racontés pour atténuer cette controverse. Elle avait notamment affirmé, à tort selon le FBI, qu'aucun de ces messages ne contenait des informations secrètes.

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De tout ce qu'on reproche ces jours-ci à Hillary Clinton, rien ne justifie les allégations des républicains, qui soutiennent que la candidate démocrate devrait être en prison. Ils espèrent visiblement faire diversion. Leur propre candidat a prononcé un si grand nombre de mensonges qu'on a déjà perdu le compte.

La plupart des partisans de Bernie Sanders l'ont d'ailleurs compris. Environ 90 %, selon le Pew Research Center, vont suivre la recommandation de leur politicien préféré : ils voteront pour la candidate démocrate en novembre.

Joan Kosloff est de ceux-là. Âgée de 76 ans, membre de la Granny Peace Brigade (littéralement : grand-mères pour la paix), elle raconte comment elle a perdu un beau-fils en Irak lors de la guerre. Et comment elle en veut encore à Hillary Clinton d'avoir voté en 2002 pour donner à George W. Bush l'autorisation de déclencher ce conflit.

Mais elle redoute encore plus ce qui pourrait se produire si Donald Trump devient président. Du bout des lèvres, elle donne son appui à la candidate démocrate. « Je vais probablement voter pour elle. Mais je vais le faire en me pinçant le nez. »

On l'a dit, celle qui pourrait en novembre devenir la première femme présidente n'est pas une candidate parfaite. Mais ses défauts ne doivent pas faire oublier ses nombreuses qualités, qui lui permettent de se démarquer de son rival républicain.

« Il n'y a jamais eu d'homme ou de femme plus qualifié pour ce poste qu'Hillary Clinton », a récemment affirmé Barack Obama. La politicienne démocrate et ses alliés doivent en faire la démonstration d'ici la fin de la convention. Il leur faut aussi énumérer, exemples à l'appui, les raisons pour lesquelles les Américains peuvent lui faire confiance.

Faute de quoi Hillary Clinton aura du mal à persuader une majorité d'électeurs de remettre leur sort entre ses mains.

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