La semaine dernière, le site de Statistique Canada a été paralysé pendant 45 minutes, « saisi par l'enthousiasme » de tous ceux qui se précipitaient pour participer au recensement, a expliqué l'agence.

Au cours des derniers jours, photos et commentaires sur les réseaux sociaux ont confirmé l'engouement.

Plusieurs ont publié des selfies où ils posent fièrement avec la lettre, reçue par la poste, incluant les directives du recensement.

Plusieurs autres ont fait part de leur déception, car ils n'avaient pas eu à remplir le questionnaire long (les trois quarts des foyers reçoivent le court). « J'ai presque pleuré », a écrit une Ontarienne sur Twitter.

L'ancien premier ministre canadien Stephen Harper s'est fait extrêmement discret depuis sa défaite en octobre dernier. Espérons qu'il prend néanmoins bonne note de cette vague d'allégresse presque surréaliste.

Car cette jubilation traduit en fait une dénonciation du gâchis qu'il avait créé, il y a cinq ans. Il avait décidé que les Canadiens ne seraient plus obligés de remplir le questionnaire long du recensement.

L'initiative avait rapidement été dénoncée d'un océan à l'autre par une multitude d'experts, qui prédisaient un fiasco. Et c'est ce qui est arrivé. Parce que moins de 70 % des Canadiens ont rempli le questionnaire long en 2011 (alors que le taux de réponse avait été de 94 % cinq ans plus tôt). Et parce que certains groupes, notamment les autochtones et les immigrants, n'ont pas répondu à ce questionnaire autant que les autres.

Tel qu'on l'avait prévu, les données recueillies étaient déficientes. Et comme elles sont essentielles pour la planification de toute une gamme de services offerts tant par les gouvernements que par divers organismes, l'impact a été majeur. Des décisions étaient, depuis, prises « à l'aveugle », avait confirmé l'an dernier l'Institut de la statistique du Québec.

Souvenons-nous que ce n'est pas la seule décision de ce genre qui avait été prise au cours des 10 ans de règne de Stephen Harper. Le journaliste et auteur albertain Chris Turner a qualifié de « guerre contre l'expertise » l'attitude générale du gouvernement conservateur.

Selon lui, le premier ministre aura laissé en héritage un dédain « à travers l'appareil gouvernemental pour tout ce qui concerne la recherche de faits ». Un héritage qui a « substantiellement amputé » la capacité, pour le gouvernement, « d'expliquer aux Canadiens qui ils sont, ce qui se passe dans leur pays et quel est l'impact des politiques de leur gouvernement sur leur vie et leur monde ».

Il faut se féliciter du retour du questionnaire long obligatoire et de l'enthousiasme généralisé à l'égard du recensement. Mais il faut aussi rappeler que cela ne sera pas suffisant pour réparer les dégâts faits par les conservateurs, qui ont aussi mis à la porte, poussé vers la sortie et démoralisé bon nombre d'experts travaillant au sein du gouvernement.

Pour renverser la vapeur, il faudra aussi que le gouvernement libéral, méthodiquement, s'applique à embaucher ou à former des experts là où les besoins se font sentir. Il devra, parallèlement, convaincre tous les experts au sein de la fonction publique que leur travail est valorisé, notamment en leur donnant les moyens de contribuer à la prise de décisions basées sur des données vérifiables et non sur l'idéologie.

C'est lorsque tous ces pots cassés seront réparés que l'ère de la célébration de l'ignorance à Ottawa sera véritablement chose du passé.

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