Les milliers d'athlètes et leurs supporteurs du monde entier qui visiteront Sotchi dans quelques jours feront l'objet d'une surveillance de tous les instants. Les caméras vidéo seront omniprésentes, comme le seront aussi l'interception des communications électroniques, les contrôles d'identité, le recours aux informateurs et les agents de l'État discrètement mêlés un peu partout aux touristes ordinaires.

La Russie est bien loin, se dit-on, et ce qui s'y passe n'a rien pour nous inquiéter. Et pourtant, nous savons, depuis les révélations d'Edward de Snowden, que l'establishment nord-américain de la sécurité et du renseignement se livre lui aussi, depuis plusieurs années, à une surveillance systématique de la population.

Cette population ne semble pas s'être émue outre mesure des révélations Snowden. Serait-ce qu'en cette ère des médias sociaux, où plusieurs choisissent de tout étaler au grand jour, il n'y aurait plus rien dans nos vies à protéger du regard de l'État? Ou serait-ce que n'ayant rien à nous reprocher, nous croyons n'avoir rien à craindre de cette surveillance bienveillante des autorités?

Les avancées technologiques permettront bientôt à des machines qui ne se reposent jamais de reconnaître n'importe quel visage à distance, d'analyser toutes vos communications et tous vos déplacements et d'effectuer tous les recoupements possibles entre tous les aspects de votre vie, tant dans le monde physique que dans le monde virtuel. Si l'État le désire, plus rien dans nos vies n'échappera à son regard.

Pourquoi s'en inquiéter? La surveillance, réelle ou appréhendée, est un puissant instrument de contrôle social et une personne qui craint d'être épiée peut perdre la capacité d'agir de façon pleinement libre, redoutant humiliation, opprobre ou répression, alors même que ses actions n'auraient rien d'illégal.

Il y a aussi lieu de s'inquiéter de l'étendue des moyens que l'État pourrait juger bon de déployer afin d'obtenir certaines informations jugées critiques, car tout peut sembler justifié - les délations forcées, l'intimidation et la torture même - lorsque l'enjeu est perçu comme étant suffisamment important.

Enfin, il faut craindre l'utilisation que l'État est susceptible de faire des informations amassées à notre sujet: la crainte du communisme aux États-Unis au début des années 50 a donné lieu aux abus du maccarthysme. Sommes-nous immunisés à tout jamais contre de tels dérapages?

Il faut permettre aux autorités d'exercer une certaine vigilance, mais où se trouve le juste équilibre? La surveillance de l'État devient oppressive lorsque de générale et impersonnelle, elle devient insistante et focalisée, que les paroles, actions ou informations visées soient ou non de nature privée.

Nous sommes en effet en droit de nous attendre à ce que l'État, contrairement à un voisin curieux, se désintéresse totalement des opinions, des croyances, des paroles, des allées et venues, des fréquentations et, de façon générale, de toutes les informations privées ou publiques relatives aux citoyens respectueux des lois, que ce soit dans le monde physique ou le monde virtuel. Plus insistant se fera le regard de l'État par rapport à tous les aspects - privés ou non - de la vie de quelqu'un, plus importants et probants devraient être les motifs invoqués par l'État pour s'intéresser à cette personne.

Notre liberté, tant collective qu'individuelle, requiert une conviction que l'État, à moins d'avoir des motifs suffisants pour le faire, ne s'intéresse pas de trop près aux gens ordinaires et respectueux des lois. Il s'agit d'un pacte fondamental entre l'État et ses citoyens, et un débat de société s'impose quant à l'étendue de la surveillance à laquelle nous devrions permettre que les autorités nous soumettent.

Le texte qui précède réfère à un article publié par l'auteur en 1995 dans la Revue juridique Thémis, volume 29, numéro 1 sous le titre: «Réglementation de la surveillance étatique: les avantages de l'article 7 par rapport à l'article 8 de la Charte canadienne» et en reprend plusieurs idées.

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