Quelle seringue a piqué le ministre fédéral de la Santé pour qu'il lance une charge aussi virulente contre le site d'injection de drogues supervisé de Vancouver, un projet endossé par une foule de spécialistes en toxicomanie, par le ministre de la Santé de Colombie-Britannique et par la police de Vancouver?

C'est à l'occasion du congrès de l'Association médicale canadienne, lundi, que Tony Clement a sorti l'artillerie lourde, consacrant les trois quarts de son discours au projet Insite. Comme s'il s'agissait du principal problème de santé au Canada!

Insite est ouvert depuis cinq ans dans un secteur du centre-ville de Vancouver où on retrouve une forte concentration de toxicomanes. À cet endroit, ceux-ci peuvent s'injecter leur drogue avec des seringues et de l'eau propre et sous la supervision d'infirmières. On leur propose un suivi médical, des conseils et, éventuellement, un programme de désintoxication.

Ce genre de projet suscite nombre de dilemmes éthiques, scientifiques et politiques, comme en témoigne la décision du ministre québécois de la Santé, Yves Bolduc, de ne pas aller de l'avant avec un projet similaire à Montréal. Par conséquent, il est certainement légitime pour le ministre fédéral de la Santé de poser des questions et d'exprimer des inquiétudes. Ce qui n'est pas acceptable, c'est de caricaturer la réalité afin de soulever l'indignation de la population à des fins partisanes. Ce qui est encore plus inadmissible, c'est d'attaquer l'éthique des médecins qui se dévouent corps et âme pour aider les toxicomanes les plus mal en point. En agissant de la sorte, M. Clement s'est montré indigne de son portefeuille.

Le ministre conservateur a notamment soutenu que le projet «aide les gens à s'injecter de l'héroïne et de la cocaïne» et «encourage le crime et la violence» dans le quartier environnant. Or, M. Clement sait très bien qu'un comité d'experts mis sur pied par son propre ministère est arrivé à la conclusion qu'Insite joue un rôle utile dans la lutte à la toxicomanie et n'a provoqué ni augmentation de la criminalité ni hausse de la consommation de drogues.

Selon M. Clement, les fonds consacrés à Insite «détournent» des dollars qui seraient mieux investis dans des programmes de désintoxication. Le problème, c'est que la clientèle d'Insite, composée des plus marginalisés des toxicomanes, n'est pas rejointe par les services de santé ordinaires. Si le site d'injection supervisé ferme, ces gens-là n'arrêteront pas de se droguer. Simplement, ils le feront dans des conditions beaucoup plus dangereuses pour leur santé et pour celle des autres.

Tony Clement estime que l'existence d'Insite contribue à «transmettre à nos enfants des messages ambigus au sujet des drogues». Il est ahurissant qu'un ministre de la Santé adhère à une thèse aussi simpliste, parente de celle dénonçant la promotion du condom sous prétexte que celle-ci encourage ainsi une sexualité précoce.

«L'enjeu est profondément moral», a dit le ministre aux membres de l'Association médicale canadienne. Le chat est sorti du sac: lundi, M. Clement a succombé à une surdose d'idéologie conservatrice.

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