Nous avons demandé à nos panélistes du débat du jour quelles devraient être les priorités du nouveau maire de Montréal.

Remettre la ville en marche

Louis Bernard

Consultant

La première tâche de Denis Coderre sera de remettre en marche la Ville de Montréal. La métropole doit être un moteur économique et social, une source d'idées nouvelles et de projets structurants, un ferment de dynamisme et d'innovation culturelle et communautaire. Montréal a pris un sérieux retard et il faut rattraper le temps perdu. L'administration municipale est à rebâtir. Elle manque de leadership, est encrassée dans une lourde bureaucratie et son expertise s'est affaiblie. Des secteurs névralgiques comme l'urbanisme et la planification ont été relégués dans l'ombre et doivent revenir en force. L'éthique, battue en brèche aux plus hauts niveaux, doit être restaurée. Tolérance zéro. Il faudra y mettre le temps, mais on doit procéder rapidement, fixer immédiatement les objectifs et recruter sans tarder les gestionnaires de haut calibre dont on a besoin. Enfin, le nouveau maire devra rétablir avec le gouvernement du Québec une relation plus cordiale et mieux équilibrée. Une relation de véritables partenaires pour le progrès du Québec tout entier.

Redonner la fierté

Jacques Duquette

Avocat à la retraite

Comme ancien Montréalais ayant grandi à St-Lambert, à quelques pieds des eaux du St-Laurent, je crois que l'une des priorités de la nouvelle administration serait de redonner aux Montréalais la fierté de leur ville. Qu'ils recommencent à trouver belle leur ville, comme cela a déjà été dans le passé. Le site géographique de Montréal est presque unique au monde. Y a-t-il quelque chose de plus beau que cette ville vue de la Rive-Sud? Je vis loin de Montréal, que j'ai quitté alors que j'avais 25 ans. Mais quand j'y retourne, je suis à chaque fois impressionné par ce paysage qui nous apparaît en traversant le fleuve. Peut-être faut-il s'éloigner de cette ville pour en apprécier toute sa beauté? Après avoir fait un bon ménage dans l'administration, les dirigeants de la Ville devraient aussi penser à mettre en valeur cette grande beauté. Montréal a perdu bien des plumes depuis quelques années, mais la beauté de son site, personne ne pourra la lui enlever.

Les caisses de retraite

Paul-Daniel Muller

Économiste

La campagne électorale aura été l'occasion de faire miroiter aux électeurs des projets tous plus alléchants les uns que les autres. Maintenant, il faudra bien trouver de l'argent pour les réaliser. Le premier obstacle sera de combler l'énorme déficit des caisses de retraite des employés municipaux. Un trou qui résulte non seulement de causes externes (chute boursière de 2008 et baisse des taux d'intérêt), mais aussi de décisions irresponsables des administrations précédentes. Comme de consentir des bonifications aux prestations de retraite sans les provisionner adéquatement. Comme de choisir des hypothèses trop optimistes pour «faire arriver» les calculs actuariels. Denis Coderre pourrait faire comme ses prédécesseurs et pelleter le problème en avant: suffit de demander au gouvernement le droit d'étaler le remboursement du déficit encore plus dans le temps. C'est l'approche «Après-moi-le-déluge» que nous connaissons trop bien. Ou alors, il pourrait prendre exemple sur le maire Labeaume à Québec et s'y attaquer sérieusement. Il n'appartient pas exclusivement aux contribuables et aux employés actuels de la ville de Montréal de régler le problème. Les retraités de la ville doivent aussi faire leur part en renonçant aux composantes non essentielles de leur rente, comme l'indexation.

Paul-Daniel Muller

Plus de concurrence

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.

Ce n'est pas bien original que de dire que la priorité du nouveau maire de Montréal devrait être de combattre efficacement la corruption. Mais le défi sera d'accomplir cela sans par ailleurs paralyser tout le processus décisionnel et sans faire exploser les coûts en ajoutant des paliers bureaucratiques et des contrôles à l'infini. En effet, rien d'utile n'aura été accompli si l'on élimine la corruption tout en faisant augmenter de façon importante le coût des ouvrages publics. Il faut garder à l'esprit que, dans la plupart des cas de collusion, favoritisme ou appels d'offres truqués au municipal, le problème vient du court-circuitage d'un garde-fou primordial: soit le processus de concurrence. La priorité de Denis Coderre devrait être d'introduire des réformes qui favoriseront un maximum de concurrence dans les travaux publics, en identifiant les politiques et pratiques qui nuisent, justement, à la libre concurrence. On doit mettre davantage en concurrence services publics et services privés, comme on le fait déjà dans une certaine mesure en santé et en éducation. Par exemple en lançant des appels d'offres, tous les cinq ans, pour des services comme l'entretien d'une partie des rues. Les syndiqués municipaux pourraient soumissionner et se mesurer à des entreprises privées pour obtenir le contrat au meilleur rapport qualité-prix pour la ville. Cette formule a été testée en Grande-Bretagne et dans certaines villes américaines, avec comme résultats des économies pour les contribuables.

Éviter le désastre

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser

Dans l'ivresse de la course à la mairie, on promet l'impossible. Le lendemain de l'assermentation, on dégrise. Maintenant que le cirque électoral est terminé, il faut revenir sur terre et gérer Montréal. Une ville qui, avouons-le, affiche une triste mine. Une métropole affaiblie par les scandales de corruption. Une ville administrée par des employés surpayés et où le coût des régimes de retraite accapare 12% du budget de fonctionnement. Une ville aux infrastructures vétustes où des chantiers de reconstruction majeurs (Champlain et Turcot) perturberont les allées et venues pendant encore une décennie. Une ville aux prises avec un exode de ses citoyens et de ses entreprises vers les banlieues. Que fera Denis Coderre pour mettre fin au déclin de Montréal? On n'en sait trop rien. Les campagnes électorales sont surtout l'occasion de cultiver l'ambiguïté. Une période où les divers candidats rivalisent de promesses accrocheuses sans trop expliquer comment ils vont les mettre en oeuvre. On nous a promis que Montréal reprendrait sa place de grande métropole; une métropole culturelle à la fois intègre, mobile, intelligente et numérique. Soit. Mais disons que la priorité du nouveau maire devrait être de faire l'impossible pour éviter à Montréal le désastre vécu par plusieurs grandes villes américaines.

Rétablir la confiance

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM

La priorité de Denis Coderre est sans nul doute de rétablir la confiance des citoyens, fortement ébranlés par les révélations de la corruption de certains édiles municipaux. Si la campagne électorale a permis de mesurer la complexité des problèmes qu'il aura à affronter, et la difficulté de trouver des consensus pour les résoudre, il reste que la méfiance des citoyens envers l'administration de la ville reste entière. Conscients de cette réalité, tous les partis ont pris des mesures pour assurer une certaine transparence dans leur financement et dans les finances de leurs chefs, à défaut de changer de personnel politique. Certains arrondissements ont adopté des budgets participatifs et citoyens. Mais on est encore loin d'une action décisive contre la corruption qui passe par une action concertée des fonctionnaires et des élus. En agissant de façon exemplaire, M. Coderre devra non seulement être le fer de lance de cette mobilisation contre la corruption, mais il devra aussi rendre des comptes régulièrement aux contribuables que nous sommes, dans le cadre d'une gouvernance démocratique, pour éviter que l'on se retrouve dans la situation où personne ne se sent responsable de ce qui advient. L'avenir de Montréal passe aujourd'hui par la case grand nettoyage, car aucun projet d'envergure ne peut se réaliser tant que l'hypothèque de la corruption n'est pas durablement levée.

Un transport efficace

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT

Dans un ouvrage qui sera publié bientôt, nous avons analysé l'impact à moyen terme de plusieurs mesures qui réduisent la consommation à Montréal. La plus importante est l'utilisation de la technologie la plus efficace pour tous les modes de transport, incluant les modes hybrides et électriques. Le covoiturage dans une voiture efficace l'emporte quand le transport en commun est déficient. La comparaison de l'utilisation du transport en commun et actif avec des agglomérations en Europe de densité comparable montre que la grande faiblesse de Montréal ne se situe pas dans le centre. Faute de transport en commun efficace, l'utilisation de la voiture monte abruptement dans les arrondissements environnants, même si la densité justifierait le transport en commun. Le développement en étoile autour de la station Berri-UQAM est loin de satisfaire les besoins transversaux de transport. Pour réduire le plus possible la consommation de pétrole et les émissions de polluants, M. Coderre doit d'abord agir pour augmenter l'offre du transport en commun hors du centre-ville, ainsi qu'établir des programmes de covoiturage dans des véhicules performants. Par ailleurs, réduire les délais de construction des infrastructures est profitable autant pour l'économie que pour l'environnement.

Gaëtan Lafrance

Réduire les coûts d'administration

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

Que l'on parle des petites villes ou des grandes, que ce soit Montréal, Mont-Tremblant ou Mont-Joli, la priorité des priorités doit être de réduire concrètement la taille des appareils de gestion. On doit absolument réduire les coûts d'administration des villes. Ceci étant dit, compte tenu des conventions collectives en vigueur et des frais fixes, le seul moyen de parvenir à une réduction tangible des frais de gestion est d'abolir des postes. Il faut réduire le nombre de conseillers, il faut cesser d'engager (et d'avoir besoin...) de directeurs de service. Il faut que les villes comptent moins de chefs et aussi moins d'Indiens. Ça prend moins de fonctionnaires, moins de secrétaires, moins de commis, moins de paperasserie, moins de véhicules de fonction, moins de notes de frais, moins d'indemnités pour les frais de voyage, moins de factures de restaurants à rembourser, moins de frais de télécommunication, moins de tout. Je crois à la philosophie du «zero base budgeting». On doit reconstruire les administrations municipales à partir du principe que personne n'est engagé a priori. On n'engage du personnel que si nous en avons vraiment besoin. On déleste tout le superflu, tout le bois mort. Pour ceux qui restent, on exige qu'ils travaillent avec la même rigueur financière que celle à laquelle doivent s'astreindre les familles à revenu moyen qu'ils représentent.

Faire connaître Montréal

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

Montréal est une ville unique, elle est à la fois passionnante, intrigante, secrète et turbulente. Montréal devrait assumer sa personnalité, avec ses forces et ses faiblesses. Denis Coderre devrait se donner comme mission de mieux faire connaître Montréal prioritairement aux citoyens québécois qui ne voient souvent que le côté sombre de la métropole, comme la congestion automobile, la pollution, la corruption et la mafia. Montréal, c'est plutôt une ville créative avec ses pôles de développement artistiques, comme le siège social mondial du Cirque du Soleil et le Quartier des spectacles, plaque tournante festive au coeur du centre-ville. Montréal est aussi un centre mondial de création des jeux vidéo. Enfin, la métropole est un carrefour universitaire de formation et de recherche de calibre mondial avec ses quatre grandes universités, tant francophones qu'anglophones. Le maire devrait susciter des échanges entre Montréal et les autres grandes villes du Québec, afin de créer un réseau de créativité internationale sur tout le territoire de la province. Ainsi le nouveau maire de Montréal sortirait sa ville de son isolement politique et pourrait établir un réseau de fierté montréalaise pour faire contrepoids aux politiques provinciales et fédérales qui souvent freinent son leadership créatif de niveau international.

Gestion et vision

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

Il y a tant de choses à réaliser à Montréal! La priorité: mettre de côté les dissensions préélectorales et profiter des bonnes idées de tous les élus. Développer des stratégies pour obtenir les travaux publics de qualité au meilleur prix, surveiller de près les contrats, ainsi que l'exécution des ouvrages, prévoir l'entretien et les réparations par la compagnie responsable du contrat. Montréal, déjà attrayante par le fleuve et la montagne, le deviendrait encore plus si les chaussées étaient convenables, si on gardait les espaces publics propres et si on permettait de stationner sur la rue gratuitement durant les fins de semaine, par exemple. Il faudra renoncer au péage sur les ponts, à moins de vouloir contribuer au développement de la banlieue, et aller plutôt chercher une fraction de la taxe provinciale en tapant sur la table à l'Assemblée nationale, si nécessaire. Améliorer le transport collectif, mais oublier le tramway, projet coûteux et perturbateur en cours de construction; favoriser plutôt les autobus électriques et les voies réservées. Aménager les berges du Saint-Laurent, verdir les terrains vagues. Travailler à simplifier l'administration chaotique de Montréal et de ses arrondissements. Écouter les citoyens. Se comporter en gestionnaire rigoureux doublé d'un visionnaire, voilà le défi de M. Coderre. 

Une cure de jouvence

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

J'aime Montréal, c'est une très belle ville, qui attire les touristes de partout dans le monde en raison de son côté européen. Mais, ces dernières années, elle a perdu de sa superbe, parce que des politiciens, des bureaucrates et certains entrepreneurs en ont abusé. Nul besoin de revenir sur ce qui a été fait et sur les torts qui lui ont été causés sur la scène internationale. Montréal a besoin d'une cure de jouvence et cette cure ne sera pas sans conséquence. Les quotidiens nous ont rapporté qu'elle cache possiblement un déficit de 12 milliards de dollars. Ce déficit devrait être la priorité de Denis Coderre. Ce dernier devra être d'une transparence sans faille, car les Montréalais en ont ras le bol des mensonges, des entourloupettes et des non-dits de leurs politiciens municipaux. Le nouveau maire devra faire preuve d'un leadership hors du commun et avoir le courage de s'attaquer aux vrais problèmes. Il devra décider non en fonction des prochaines élections, mais dans le but de sortir Montréal du bourbier dans lequel elle est enlisée. Les contribuables n'ont pas à faire les frais des erreurs du passé. La lune de miel de M. Coderre sera de courte durée. Au travail monsieur le maire !

Jean Gouin

Le ménage d'abord

Caroline Morgan

Traductrice

Avant même de se lancer dans quelque projet que ce soit, le nouveau maire doit faire une révision en profondeur du fonctionnement de l'administration montréalaise. Cette révision doit toucher l'attribution des contrats, évidemment, mais aussi les structures, les services et les conditions de travail des employés.

Méfions-nous des rêves de grandeur; Montréal est endetté et grevé par un appareil d'administration dysfonctionnel depuis la saga des fusions-défusions. Le nouveau maire doit avoir le courage de rouvrir le dossier avec Québec pour réduire le nombre d'élus, obtenir plus de pouvoir face aux employés et augmenter son assiette fiscale.

Avant de pouvoir rêver, il faut s'en donner les moyens. Du Stade olympique à la prolongation du métro de Montréal, en passant par les difficultés du Bixi, les Montréalais ont été échaudés par les projets cahoteux aux augmentations de coûts incontrôlables. Mieux vaut donc commencer par «faire le ménage» dans ce qui existe déjà avant de lancer quoi que ce soit de nouveau. Le régime de retraite des employés de la Ville est un des dossiers les plus délicats; espérons que le nouveau maire saura faire preuve de fermeté, et surtout mettre le gouvernement du Québec de son côté. 

Caroline Morgan

Baisser les taxes des commerces

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

La priorité de Denis Coderre devra, sans aucun doute, être la vérification systématique des dépenses en matière de contrats accordés aux entrepreneurs en construction. Il faudra aussi que la nouvelle administration de la plus grande métropole du Québec examine sérieusement la possibilité d'alléger le fardeau fiscal des industries et des commerces sur son territoire. Dans certains cas, les gens d'affaires de Montréal doivent payer jusqu'à quatre fois plus, en taxes de tout genre, que le propriétaire d'une maison unifamiliale. Cela empêche probablement certains commerçants de s'établir à Montréal car, en plus d'être victimes d'un taux de taxation exorbitant, ils peinent à attirer la clientèle à cause des problèmes de stationnements. La banlieue devient donc plus attirante à la fois pour les commerçants et pour les consommateurs.

Une meilleure gestion

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

Avant de se lancer dans mille et un projets, Denis Coderre doit prendre la première année de son mandat pour mettre en place un meilleur système de gestion. Premièrement, il doit  définir les valeurs et le code d'éthique que l'ensemble de l'administration municipale suivra. Deuxièmement, il doit voir à ce qu'il y ait en place des contrôles de gestion pour s'assurer que son administration fonctionne à l'intérieur de ce cadre. Troisièmement, il doit instaurer un système d'information et de reddition de comptes, de façon à ce que les gestionnaires, le conseil municipal et les citoyens soient bien informés. Quatrièmement, il doit développer des liens pour assurer une meilleure coopération avec les autres entités administratives, incluant le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, qui sont impliqués dans la gestion de Montréal et de la grande région métropolitaine. Cinquièmement, il doit définir un plan stratégique de développement pour une période de cinq à dix ans et chercher à obtenir le support de la population de Montréal et de ces entités administratives externes en faveur de ce plan. Après être passé à travers ces étapes, il pourra commencer à se lancer dans mille et un projets.  

Devenir un vrai chef

Francine Laplante

Femme d'affaires

Les dés sont jetés, la population a fait son choix et la récréation est terminée: il est temps de livrer la marchandise! Tout est tellement à faire qu'il n'y a plus de temps à perdre. Montréal ne fonctionne plus depuis trop longtemps. Montréal a l'âme tourmentée et a besoin de retrouver la sérénité et la vivacité qui lui reviennent. Montréal a perdu sa colonne vertébrale qui la faisait rayonner d'un océan à l'autre et pour se tenir debout, Montréal a besoin de retrouver sa droiture et sa réputation de grande ville positive. Au-delà des grands enjeux sur lesquels on s'entend tous, la priorité est d'établir un sentiment de leadership puissant. La population a envie (et besoin) d'être guidée par un vrai chef qui n'aura qu'une seule chose en tête: Montréal, Montréal, Montréal et Montréal!