Khalid Adnane

AU-DELÀ DES ÉLECTIONS

Khalid Adnane

Économiste à l'école de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke

À peine déposée, la politique économique du Québec a été étiquetée par plusieurs comme le dernier morceau de la plateforme électorale du PQ. Il est vrai que le caractère de l'annonce faite lundi était quelque peu électoraliste. Néanmoins, au-delà de ces considérations, la stratégie dévoilée hier vient, d'abord et avant tout, répondre à un contexte économique relativement difficile. La conjoncture économique au Québec s'est détériorée dans les derniers mois, si bien que les prévisions en termes de croissance économique ont été réajustées à la baisse: cela veut dire moins de création d'emplois et surtout, moins de recettes fiscales dans les coffres de l'État. Devant pareille situation, comment le gouvernement pouvait-il demeurer passif, surtout que depuis la reprise des travaux à l'Assemblée nationale, les partis d'opposition l'attaquent régulièrement sur son bilan économique? Qu'on critique la recette choisie, qu'on relativise la portée des mesures envisagées, bref, qu'on remette en question le réalisme de cette stratégie en partie ou dans sa totalité, tout ça relève parfaitement de la légitimité et du bon sens. Mais on ne doit quand même pas critiquer un gouvernement parce qu'il a choisi l'action à la place de l'immobilisme.

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Khalid Adnane

LA RÉVÉLATION

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser

Je ne voudrais pas faire mon rabat-joie, mais s'il suffisait d'essaimer les subventions pour relancer la croissance économique, on le saurait depuis longtemps. Cela fait des dizaines d'années que les gouvernements québécois annoncent des programmes de stimulation économique censés nous rendre riches et prospères. Et puis? Rien! Notre économie traîne toujours de la patte par rapport au reste du Canada et des États-Unis. Aujourd'hui, bien que nous soyons les plus taxés en Amérique du Nord, nous peinons à atteindre l'équilibre budgétaire et nous croulons sous une dette de plus de 250 milliards de dollars. Qu'importe, notre ministre des Finances, Nicolas Marceau, l'a clairement expliqué à la télévision: «Le problème qui se pose, c'est celui des revenus. Ce n'est pas celui des dépenses.» Alors, dépensons! Annonçons des dépenses publiques de 2 milliards de dollars. Étayons notre politique économique d'un lot de promesses floues, mais attrayantes. Oui, voilà le grand secret qui nous a été révélé hier: le Québec est pauvre parce qu'il ne dépense pas. Hum... il faut que j'en parle à mon ignare de banquier, pour qu'il augmente ma marge de crédit.

VIRAGE VERT

Karel Mayrand

Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki

Plusieurs des éléments mis de l'avant par le gouvernement du Québec dans sa politique économique sont de nature à accélérer le virage vers une économie verte, c'est-à-dire une économie efficiente, concurrentielle, à valeur ajoutée et sobre en carbone. Les mesures concernant l'électrification des transports, l'utilisation des surplus d'électricité pour attirer des industries vertes et créatrices de richesse au Québec, le verdissement du secteur manufacturier et la rénovation verte favorisent un tel virage. Le Québec peut aller encore plus loin dans cette direction si cette vision se concrétise dans les décisions et les politiques publiques qui seront dévoilées au courant des prochaines semaines dans le domaine des transports, de la lutte aux changements climatiques, de l'énergie et du secteur manufacturier. À court terme, le gouvernement devra mettre les bouchées doubles pour faire évoluer les pratiques d'aménagement du territoire et augmenter substantiellement le financement des transports collectifs à l'échelle du Québec, s'il veut atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation de pétrole.

PHOTO FOURNIE PAR KAREL MAYRAND

Karel Mayrand

LA PLUS-VALUE POLITIQUE ?

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal

Ce gouvernement n'est qu'incohérences. Elle est flagrante dans sa gestion des ressources comme dans sa stratégie d'emplois, qui prétendent réinventer les lois de l'offre et de la demande. En présence d'important surplus d'énergie électrique, ce gouvernement interrompt les projets des petites centrales, mais subventionne l'éolien, lève le gel sur la tarification du bloc patrimonial, s'apprête à imposer une hausse des tarifs pour augmenter ses dividendes et annonce simultanément des tarifs préférentiels pour les entreprises énergivores. La suite défie tout autant la logique. Un jour, le gouvernement décide d'asphyxier universités, puis lance un programme de près de 600 millions $ pour la recherche et le développement. Nous nous privons du gaz de schiste pour nous lancer dans l'aventure du pétrole. Il faut taxer les riches, affirmait-on, et aujourd'hui, on accorde des crédits d'impôts aux propriétaires qui investissent dans des rénovations «vertes». Enfin, à qui servira la route de la Baie James, si ce n'est aux entreprises minières que nous avons fait fuir?

Je ne vois qu'une raison à l'exercice de lundi. La stagnation économique menaçant la stabilité financière et l'emploi, le gouvernement se doit de réagir. Une série d'annonces, même peu crédibles, peut-elle contribuer à changer le climat et à créer la plus-value politique vers l'atteinte de la majorité?

Philippe Faucher

BON POUR LES RÉGIONS

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

C'est assez simpliste et même démagogique de ne faire que la division bête du total investi par le nombre d'emplois obtenus; 46 512 $ investis pour chaque emploi... J'entends déjà certains libéraux et caquistes dire que le jeu n'en vaut pas la chandelle, que c'est trop cher payé pour ce que ça rapporte. Toutefois, ce calcul ne tient pas compte de la différence que ça fait pour une famille, dans la réalité du quotidien, d'avoir un père ou une mère qui travaille. Ce calcul ne prend pas en considération que l'investissement est ponctuel mais que l'emploi est durable (on l'espère du moins). Analyser le plan économiquement, c'est une chose. L'analyser socialement en est une autre. On voit bien que les industries ferment en région et que les dollars convergent vers les grands centres. Or, les individus ne suivent pas nécessairement et, comme une tache d'huile, la pauvreté touche ainsi de plus en plus de familles en région. Le gouvernement a le devoir de faire la part des choses entre la vitalité de l'économie de la province, qui favorise inéluctablement la migration des capitaux ainsi que des individus vers les grandes villes, et la revitalisation socio-économique des régions, qui évite le développement de problématiques aussi variées qu'inquiétantes.

INTERVENIR DE PLUS EN PLUS

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO 

Quelle différence avec ce que le gouvernement Marois nous disait il y a peine un mois! Il mettait alors l'emphase sur le fait que les statistiques montraient une hausse de 62 200 emplois par rapport à l'an dernier. Il cherchait à minimiser la perte de 45 000 emplois depuis le début de l'année. Lundi, ce même gouvernement, après avoir  révisé à la baisse ses prévisions de croissance économique, lance un nouveau programme de 2 milliards de dollars avec pour objectif de créer un montant additionnel de 43 000 emplois. Ce programme ferait en sorte que l'augmentation totale des emplois de 2012 à 2016 serait de 115 000. Ce qui me plaît dans ce programme, c'est qu'on tente d'avoir une vision globale et intégrée pour plusieurs années. Ce qui me plaît moins: 1) la multiplication des mesures gouvernementales (du côté des dépenses, de la taxation et de la tarification), un peu comme si pour avoir une croissance économique acceptable, il fallait de plus en plus de coups de pouce du gouvernement; 2) on ne sait pas comment ce programme va s'intégrer dans le plan budgétaire du gouvernement; (3) on ne présente pas une bonne analyse des raisons du ralentissement de la croissance économique et de la perte d'emplois.

MODÈLE EN FIN DE VIE

Caroline Morgan‬

Traductrice

Comme ses prédécesseurs, le gouvernement Marois n'ose pas remettre en question les vaches sacrées du modèle québécois: taxation et réglementation lourdes, subventions gargantuesques aux entreprises, imposant panier de services publics, appareil d'État pléthorique. Comment peut-on lui en faire le reproche, puisque toutes les tentatives de ses prédécesseurs ont été bloquées par l'opposition, la population et les médias?

Il n'y a pas que du mauvais dans ce plan Marois, puisque des sommes seront affectées à la modernisation des écoles, qui en ont bien besoin. Notons aussi quelques mesures en faveur du virage écologique, un objectif qui mérite davantage que des voeux pieux.

Néanmoins, ce plan ne fera rien de plus que de remettre de l'essence dans un modèle économique énergivore et inefficace, alors qu'il faudrait réviser ce modèle en fin de vie. Mais pour ça, il faudra attendre que le Québec atteigne le fond du baril et ne puisse plus se financer à crédit comme il le fait maintenant. Vous pensiez que les débats sur la laïcité étaient « divisifs »? Attendez de voir ceux sur la réforme des finances publiques... Divisifs ou non, ces débats n'en sont pas moins nécessaires.

Caroline Morgan

SUITE APRÈS LA PAUSE

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT

Dès son arrivée au pouvoir, ce gouvernement a mis le Québec en mode Pause. Pour le Plan Nord, ce fut plutôt «reset». Le Québec est passé du 2e au 5e rang pour la production minérale au Canada, mais on impose les contraintes les plus sévères du pays. Dans les domaines de la construction et du génie, l'implacable Loi 1 retardera le retour à la normale pour au moins une autre année. Déficit zéro oblige, mode «rewind». Compressions dans les universités, dans le Fond de recherche du Québec, dans les commissions scolaires, tout au plus les mesures annoncées permettront de retrouver le niveau de financement initial, cinq ans plus tard. Au passage, la R&D a été mieux servie sous l'ère libérale que sous l'ère péquiste. Pour le métro, on annonce le prolongement de la ligne bleue et jaune. Mais n'attendez rien avant 2020. Idem pour le SRB sur Pie IX, le transport routier dans la région de Montréal et le rêve de la voiture électrique. La baisse controversée du tarif d'électricité pour le secteur industriel créera moins d'emplois que ceux coupés chez Hydro-Québec. Croyez-nous, la fin du film prévue pour 2017-2020 sera heureuse. Un café en attendant?

Gaëtan Lafrance

PROMESSE ÉLECTORALE‬‬‬‬

Jean Bottari‬‬

Préposé aux bénéficiaires

Qu'on veuille l'admettre ou pas, cette annonce ressemble étrangement à une promesse électorale. Création de 43 000 emplois pour la modique (!) somme de 2 milliards. Pas un seul mot sur la façon dont Mme Marois entend financer cette promesse. Je suis devenu, au fil du temps et des mensonges, cynique et méfiant face aux belles promesses avant une élection. Je me demande où le gouvernement prendra ces milliards sinon dans nos poches. Ma frustration augmente à chaque période préélectorale où notre argent est utilisé non pas pour assurer notre bien-être, mais plutôt pour garantir le pouvoir aux personnes qui en sont assoiffées. Il va de soi qu'un gouvernement qui se respecte fera tout en son pouvoir afin d'en arriver au plein emploi tout au long de son mandat. Pas seulement en campagne électorale. J'imagine qu'on mesure déjà au PQ l'impact de cette annonce afin de décider si on lance ou non un scrutin cet automne. Scrutin au cours duquel nous serons sollicité par une majorité de personnes nous prenant pour des dupes. Certains jugeront mes propos trop durs envers l'élite politique. Qu'à cela ne tienne, je les assume!

UNE VISION INCOMPLÈTE

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux


Je salue l'effort du gouvernement pour aider les entreprises du Québec à être plus compétitives, sur les plans de la modernisation de leurs équipements, de l'exportation de leurs produits ou de la recherche et de l'innovation. Toutefois, je me pose encore de sérieuses questions sur la compétence éthique de nos entrepreneurs. Puisqu'une bonne partie de l'aide accordée à court terme ira encore au domaine de la construction, soit à la rénovation de résidences, d'écoles et d'infrastructures sportives et touristiques, ne pourrait-on pas demander aux firmes soupçonnées de corruption de financer de tels travaux en retour d'une loi d'amnistie? La loi sur l'intégrité dans le domaine de la construction ne concerne que les grands travaux de 40 millions et plus, donc elle ne touche pas les plus petits projets qui émergeront dans le cadre de ces nouveaux programmes gouvernementaux. Par ailleurs, les grandes villes au Québec possèdent un trésor encore sous-exploité, soit leurs nombreux terrains contaminés. Pourquoi le gouvernement ne favorise-t-il pas la création d'un nouveau programme du type Revi-sol? Ce programme avait permis de mettre en chantier des centaines de terrains qui pourraient servir justement à construire des écoles et des infrastructures sportives et touristiques. Une telle mesure est non seulement rentable économiquement à court terme, mais aussi rentable socialement à long terme.

PERPÉTUER LE DÉCLIN

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec

Pour emprunter les mots célèbres d'un président américain, je résumerais ainsi la politique économique des libéraux et des péquistes: «Si ça bouge, taxons-le. Si ça bouge encore, réglementons-le. Si ça cesse de bouger, subventionnons-le.».  Voilà pourquoi le Québec arrive au 60e rang sur 60 des juridictions nord-américaines en termes de liberté économique et pourquoi nous ne cessons de nous appauvrir par rapport aux autres. Oui, on verra certains emplois créés suite aux mesures annoncées par Mme Marois. Mais ce que l'on ne verra pas, ce sont les dizaines de milliers d'emplois détruits ou non créés parce que le gouvernement a taxé les entreprises et les ménages qui ne peuvent donc pas investir, épargner ou dépenser l'argent qu'ils n'ont plus. L'État ne créée pas d'emplois. Au mieux, il en déplace. Au pire, il en détruit car ces «malinvestissements» se feront aux dépens d'autres projets plus rentables et de la production d'autres biens et services qui représentent plus de valeur aux yeux des consommateurs et qui auraient été choisis par eux en l'absence de subventions. Taxer plus et dépenser plus ne fera que perpétuer le lent déclin du Québec amorcé depuis 40 ans.

OÙ EST LA COLONNE DES REVENUS ?

François Bonnardel

Député de Granby pour la Coalition avenir Québec

La nouvelle politique économique du gouvernement péquiste ne contient aucune mesure visant à donner un répit aux familles et à la classe moyenne du Québec. Après 13 mois du PQ au pouvoir, c'est un ramassis de mesures mal attachées et qui tirent dans toutes les directions avec une totale absence de vision. Où Pauline Marois prendra-t-elle les 2 milliards de dollars nécessaires à la réalisation de sa politique? Dans les poches des contribuables par le biais de hausses d'impôts et de tarifs, alors que les familles et la classe moyenne sont déjà surtaxées? La première ministre n'a toujours pas compris que la création de la richesse et d'emplois de qualité passe par les investissements dans le secteur privé. Elle nous sert la même vieille recette utilisée depuis trop longtemps par le PQ et le PLQ et qui a contribué au déclin tranquille du Québec et à la situation économique précaire que l'on connaît actuellement.

photo archives La Voix de l'Est

Le député caquiste de Granby, François Bonnardel.