La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys installera 895 caméras dans ses 80 écoles pour combattre l'intimidation et la violence. Croyez-vous à l'efficacité de cette mesure? Est-ce une dépense justifiée?

« DÉPLACEMENT » DE LA VIOLENCE

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

Je travaille dans une école secondaire où on l'a fait. On a placé des caméras un peu partout et je dirais que les résultats sont corrects, sans plus. L'intimidation se manifeste généralement par des gestes sournois et hypocrites. L'installation de caméras a donc permis de faire comprendre aux jeunes qu'on les a à l'oeil, que la violence au grand jour sera sanctionnée. Toutefois, l'effet pervers de ces mesures de surveillance accrues est le «déplacement» de la violence. Maintenant, les cas de menace et d'intimidation se font surtout sur les réseaux sociaux, à l'abri des caméras et du regard des adultes. Les jeunes ne comprennent pas toujours la portée publique des propos qu'ils tiennent sur Facebook ou Twitter et plusieurs s'en donnent à coeur joie. Or, la violence virtuelle est aussi répréhensible que celle présente dans les rangées de casiers ou dans la cour d'école. Les caméras doivent donc être là, mais une lutte efficace à la violence implique une batterie de moyens autant physiques que virtuels. Il faut combattre ce fléau sur tous les fronts à la fois, même dans le contexte actuel de compression et d'abolition de services, sinon on ne fait que déplacer le problème.

LA SEULE FAÇON

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

Nous vivons dans une société où la violence est élevée au rang de culte dans certaines couches de la population. L'industrie cinématographique n'en finit plus de produire des films où la violence est omniprésente. Il en est de même pour les séries télévisées qui font leurs choux gras en plaçant la violence au premier plan et, dans certaines de ces séries, la violence est extrême. On guerroie partout sur la planète. Le terrorisme tente d'imposer sa loi en utilisant la violence. Nos enfants, dans certains quartiers, se font enrôler dans des gangs de rue pour qui le respect de la nature humaine n'existe pas. Alors, si la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys s'affaire à installer quelque 895 caméras dans ses 80 écoles pour justement combattre cette violence maudite et son corollaire qu'est l'intimidation, et toute autre forme de harcèlement psychologique, je ne puis qu'être d'accord avec cette mesure. Nous sommes entourés de caméras. Les automobilistes en savent quelque chose. Les commerçants les utilisent, tout comme les policiers et les villes, qui en font un moyen de dissuasion justement pour enrayer la violence. Oui, cette dépense est amplement justifiée. On n'a pas à lésiner sur ce moyen et c'est possiblement la seule façon d'avoir des yeux tout autour de la tête.

Jean Gouin

D'ABORD À LA MAISON

Donald Riendeau

Avocat et directeur général de l'Institut de la confiance dans les organisations

Il y a près d'un an, l'ensemble des écoles du Québec démarrait leur premier plan d'intervention contre l'intimidation. Il est tôt pour évaluer les résultats des écoles de la CS Marguerite-Bourgeoys, mais l'ajout de ces caméras est une mesure additionnelle jugée nécessaire pour diminuer l'intimidation dans les espaces scolaires. Cependant,  l'intimidation se transportera en dehors des murs et dans les médias sociaux. Oui, l'on dit souvent que les enfants peuvent être méchants entre eux et que l'école doit trouver des solutions, mais les racines du problème se retrouvent souvent à la maison. Il faut poser la question si les parents, qui exigent de leurs enfants d'être des champions à tout prix ou qui les écrasent sous la pression, ne créent par une nouvelle race d'intimidateurs. Certains parents sont fiers que leur enfant soit le plus fort et n'interviennent pas ou ferment les yeux lorsque celui-ci est l'intimidateur. C'est un peu le reflet de notre société où tout semble permis pour gagner et où l'on essaie davantage de prendre de l'autre que de donner. Nous n'avons qu'à regarder le triste spectacle de la commission Charbonneau pour le constater. Une société de confiance se construit sur le respect, l'ouverture et la recherche de l'engagement commun.

UNE MESURE PRÉVENTIVE

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

J'appuie l'initiative de la commission scolaire. L'intimidation est un fléau dans les écoles, beaucoup de citoyens au Québec ont été confrontés à cette réalité lorsqu'ils étaient jeunes. Aujourd'hui, les gangs de rue recrutent souvent dans les écoles secondaires où ils y distribuent de la drogue tout en instaurant un climat de violence. Les professeurs et les directions d'école sont démunis face à ce fléau n'ayant pas été formé à affronter de telles situations. L'école doit être un lieu sécuritaire d'apprentissage et d'éducation surtout à l'adolescence et au niveau secondaire. Pour y parvenir, il faut prendre les moyens de dissuasion disponibles pour combattre ce fléau. L'implantation d'un réseau de caméras de surveillance est un moyen parmi d'autres s'il est utilisé de manière efficace et intelligente. Cette mesure doit être accompagné d'une tournée d'information auprès des élèves et des enseignants en leurs expliquant qu'il s'agit d'une mesure préventive pour contrer l'intimidation et comme le dit l'adage, mieux vaut prévenir que guérir. J'espère que le gouvernement du Québec encouragera l'implantation d'une telle mesure dans toutes les commissions scolaires du Québec et que cet outil de surveillance sera utilisé pour les bonnes raisons.

PURE FOLIE

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial

Les caméras sont devenues l'oeil du gouvernement, des institutions, du contrôle routier, du va-et-vient de tout le monde. Partout, on est suivi à la trace. S'il se passe quelque chose, une équipe spécialisée étudiera votre comportement, viendra vous interroger au cas ou, vous photographiera à partir de la bande du film, vous « zoomera » afin de trouver des indices, grossir un détail significatif. Au lieu d'enseigner aux jeunes comment se conduire  - Heidegger disait que l'enseignant devrait être le berger de l'être - on intimide les gens. On leur fait croire qu'ils sont bien protégés parce qu'on les filme constamment.

Sans compter le coût de l'opération caméras de cette commission scolaire - on devrait acheter des livres et obliger les jeunes à lire une heure par jour - on ne calcule pas l'impact sur la vie intime des êtres qui déambulent. Les caméras? Dépense inutile.

À force d'avoir peur de se faire voir par un oeil dissimulé dans un mur, un plafond, le stylo dissimulé, les gens vont en venir à se cantonner chez eux. À Londres, 10 000 caméras surveillent les endroits publics. On sait tout; on voit tout; malgré cela, on ne prévoit pas tout. Quelle planète!

RIEN NE VAUT LA SURVEILLANCE HUMAINE

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires 

La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys aura beau installer toutes les caméras du monde, à quoi bon si personne ne regarde les images en direct? Les images seront visionnées uniquement s'il se passe un événement hors du commun. Or comment cette mesure empêchera-t-elle un illuminé voulant s'en prendre à nos enfants? C'est probablement l'effet contraire qui se produira. Un potentiel tueur recherche souvent la glorification. Quoi de mieux que de voir les images de son carnage en boucle à la télé? À mon avis, rien ne vaut la présence et la surveillance humaines ainsi que la sensibilisation des parents qui, à leur tour, doivent aussi éduquer leurs jeunes. Les 1,6 million de dollars que coûtera cette soi-disant surveillance seraient mieux investis si on embauchait du personnel dédié uniquement à la surveillance, présent physiquement au moment où un évènement fâcheux se produit.