Comment rendre plus sûr le transport de marchandises dangereuses en zone urbaine? Pour transporter le pétrole, vaut-il mieux avoir recours aux oléoducs qu'aux trains?

L'émotion est mauvaise conseillère

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.

Le tragique événement de Lac-Mégantic dépasse l'imaginaire. Qui aurait pu penser qu'un train fou, sans conducteur et transportant des matières inflammables, exploserait au beau milieu d'une municipalité? Si un producteur de film catastrophe avait proposé un tel scénario, on lui aurait probablement reproché son manque de réalisme. 

Lorsqu'un tel drame se produit, il est normal qu'on s'interroge sur des moyens de prévention pour éviter qu'un tel événement se répète. Les pompiers n'avaient pas encore réussi à approcher du brasier que certains avaient identifié les causes: notre dépendance au pétrole, les normes de sécurité sur le transport des matières dangereuses. D'autres proposaient déjà des solutions: la construction d'un oléoduc et l'adoption du principe de précaution pour mettre un terme à toute nouvelle activité représentant un risque social. Tout n'est pas si simple. 

Par définition, les catastrophes sont la plupart du temps impossibles à anticiper. On aura beau mettre un moratoire sur tout nouveau développement, on réalisera très vite que le statu quo n'est pas sans risque. Il faut éviter de tirer des conclusions sur le coup de l'émotion. Il faut d'abord s'occuper des victimes et, ensuite, se donner le temps de réfléchir. Les périodes de catastrophes sont mauvaises conseillères.

Évitons de généraliser

Louis Bernard

Ex-haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.

La tragédie de Lac-Mégantic semble avoir été produite par des circonstances tout à fait exceptionnelles. Le train n'avait pas de conducteur, serait parti tout seul et se serait emballé. Comment cela a-t-il pu se produire? Voilà la première question à se poser. Et c'est peut-être la seule qui importe. 

Pourquoi parler de remettre en question tout le transport ferroviaire des hydrocarbures ou le parcours des chemins de fer au coeur des villes si l'accident de Lac-Mégantic est dû à des causes particulières qui sont peu susceptibles de se reproduire, pourvu que des mesures soient prises pour en empêcher la répétition? 

Devant une tragédie qui nous émeut, nous avons souvent le réflexe d'en généraliser les causes, même si elles sont entièrement singulières. Ne devrait-on pas, tout simplement, s'assurer que les moteurs des locomotives soient obligatoirement arrêtés lorsqu'un train est immobilisé pour un long arrêt (on a parlé de deux heures) pour permettre le changement d'équipage? Une telle règlementation existe-t-elle déjà et pourquoi n'aurait-elle pas été respectée? Autant de questions à éclaircir avant de conclure à une remise en question de nos systèmes de transport.

Minimiser les risques

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.

Pour l'instant, nous ignorons la cause exacte de l'accident tragique qui s'est produit à Lac-Mégantic. Toutefois, indépendamment des circonstances précises de ce drame, il faut reconnaître que les conditions y étaient propices: la voie ferrée traversant un centre-ville densément peuplé et le nombre de wagons contenant le pétrole. Les chemins de fer passent typiquement par les agglomérations pour accommoder les voyageurs. 

Le transport des matières dangereuses devrait-il posséder ses propres lignes? Devrait-on réduire la quantité des produits transportés par chaque convoi? Posons ces questions aux vrais experts! L'oléoduc présenterait-il moins de risques? Les bris se produisent là aussi, avec des effets moins spectaculaires, mais nocifs par la contamination de l'environnement. 

On devra par ailleurs diminuer le besoin du transport de pétrole en utilisant les sources plus proches d'énergie: les panneaux solaires, la géothermie, les éoliennes. Et évidemment, restreindre notre utilisation du pétrole, l'objectif sur lequel tout le monde s'accorde et pour lequel il y a si peu de gestes concrets accomplis. Même s'il s'avère difficile d'éviter tout accident, il est impératif de déployer toute expertise pour en minimiser les risques. Courage, les Méganticois!

Laisser la poussière retomber

Michel Kelly-Gagnon

Président de l'Institut économique de Montréal, l'auteur s'exprime à titre personnel.

Tirer des conclusions formelles ou finales en matière de politiques publiques ou de recommandations à suivre alors que nous sommes encore sous le choc est chose hasardeuse. Il faudra laisser retomber la poussière et analyser le tout calmement en temps opportun pour en tirer les leçons qui s'imposent.

Ceci dit, on peut observer que le transport du pétrole se fait, et va continuer à se faire (par train, par bateau, par camion-citerne, etc.), et ce avec ou sans l'autorisation des controversés oléoducs. Ainsi, quand sera débattue la pertinence de ceux-ci, il faudra le faire en comparant les avantages, inconvénients et risques de ce mode de transport du pétrole par rapport aux avantages, inconvénients et risques des autres modes. 

Trop souvent, on s'enferme dans des discussions théoriques ou idéologiques en ces matières. Les oléoducs ne sont certes pas parfaits, mais, comme on le constate ici, les autres modes de transports peuvent parfois (rarement?) donner lieu à de terribles tragédies.

Le syndrome du pas dans ma cour

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

Le transport des matières dangereuses est une question qui revient à l'avant-scène dès qu'une catastrophe survient. Des enquêtes sont menées, des conclusions sont tirées et des coupables sont montrés du doigt. Mais on semble ne pas vouloir s'occuper du réel problème qui est la protection des citoyens et de l'environnement. Nos politiciens devraient saisir la balle au bond en étudiant le fond du problème et nous proposer des solutions durables.

Un principe fondamental : toute matière dangereuse, toxique et inflammable, ne devrait jamais transiter via villes et villages, non plus le long des cours d'eau. Parmi ces matières, il y a les déchets toxiques destinés à des sites d'enfouissement et des matières de première nécessité, comme le pétrole, dont le transport pourrait très bien se faire via oléoducs. Mais encore là, que sait-on vraiment de la sécurité de ce mode de transport ? Il est certain qu'il nous faut envisager, voire privilégier ce mode de transport pour le pétrole, mais tout devra se passer en périphérie des villes et en observant une zone tampon entre les bassins de réception et de stockage et les limites de la vie urbaine.