Les syndicats de policiers, l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) et la Ligue des droits et libertés vont la boycotter. Le Parti libéral juge que c'est « une perte de temps monumentale». La commission d'enquête sur les manifestations du printemps érable a-t-elle sa raison d'être ?

Francine Laplante

Femme d'affaires



DÉPENSE INDÉCENTE

Selon les dernières évaluations, cette commission d'enquête coûtera au bas mot plus de 400 000 $ aux contribuables. À mon avis, si nous prenions cette somme et si nous la jetions aux ordures, nous obtiendrons les mêmes résultats! Cet argent dépensé sans raison valable est indécent en cette époque où nous grattons les fonds de tiroir à la recherche du moindre dollar. Aucun des trois principaux groupes impliqués ne veut y participer, alors qui y sera entendu? Les chauffeurs de taxi? Les commerçants? Les restaurateurs? Que vont-ils dire que nous ne sachions déjà? Que c'était l'enfer, qu'ils ont frôlé la faillite, que le bordel régnait dans la ville? On sait déjà tout ça! Alors, qu'allons-nous faire de leurs témoignages à part les noter dans un beau rapport qui sera présenté aux médias et remisé sur une tablette? Il faut être bien naïf pour croire que des informations crédibles et utiles ressortiront de cette démarche. J'ai la mauvaise impression que cette commission ne servira qu'à augmenter les revenus annuels des trois principaux commissaires! D'ailleurs, je déplore que ces trois personnes très crédibles aient accepté ce mandat;  elles auraient dû dire au gouvernement que c'est une pure perte de temps! L'instauration de cette commission découle d'un manque de jugement flagrant et d'un non-respect des fonds publics.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

COMPRENDRE UNE CRISE PARFAITE

Toutes les conditions étaient réunies pour favoriser le débordement des manifestations lors du printemps érable et, ne serait-ce que pour mieux les comprendre, je crois que la commission d'enquête a sa raison d'être. J'identifie cinq conditions préalables à cette crise parfaite. Tout d'abord, le manque de leadership dans la gouvernance de nos institutions, tant au niveau universitaire que gouvernemental. Malheureusement, les recteurs et le gouvernement du Québec ont compris trop tard l'ampleur du dérapage, ce qui amena indirectement l'implosion de la CREPUQ et la défaite du gouvernement aux élections. Les étudiants ne sont pas en reste: l'absence d'une tradition forte de démocratie étudiante a permis à des groupuscules extrémistes de prendre le contrôle de certains campus et surtout d'attiser le climat de violence lors des manifestations. De plus, l'absence d'encadrement de celles-ci était flagrante, ce qui a amené plusieurs leaders étudiants à déclarer qu'ils avaient perdu le contrôle lors de leur propre manifestation. Enfin, l'épuisement et la frustration du corps policier, fort compréhensible, ont provoqué également plusieurs débordements brutaux lors de l'arrestation de certains manifestants. Que faire maintenant ? Rétablir le dialogue entre tous les intervenants en leur offrant une tribune pour exprimer leurs frustrations. La Commission pourrait d'ailleurs entreprendre ses travaux en organisant un forum où des représentants de tous les groupes concernés pourraient s'exprimer. Cela démontrerait un signe d'ouverture et un début de réconciliation.

Jana Havrankova

APOLITIQUE ET PUBLIQUE 

Il serait fort pertinent d'examiner les événements du printemps érable de manière aussi neutre que possible pour en tirer des leçons pour l'avenir. Pour cela, il faudrait laisser la politique de côté. Lorsque Pauline Marois déclare qu'il s'agit de « la pire crise sociale que le Québec n'a jamais connue à cause de l'entêtement du chef du gouvernement de l'époque », on comprend que la conclusion du gouvernement actuel est déjà connue. C'est la faute aux libéraux!  La composition de la commission et sa tenue à huis clos posent des problèmes d'apparence de neutralité et de transparence. Maintenant, Serge Ménard, qui mérite la confiance, tente de redresser ce véhicule qui est parti en dérapant. Comme les acteurs clés du printemps 2012, les corps policiers et les associations d'étudiants en particulier, refusent de participer, la commission n'arrivera à rien et gaspillera un demi-million $. Le gouvernement péquiste nous a habitués à des reculs. Pour une fois, un recul serait salutaire. Il permettrait d'étoffer la commission de participants non liés au PQ ou aux syndicats et rendre la commission aussi publique que possible. Cela implique que le gouvernement veuille réellement éclairer les événements du printemps 2012 et qu'il soit disposé à recevoir les conclusions non partisanes.

Jana Havrankova

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



MAUVAISE ALLOCATION DE RESSOURCES

Un concept de base de la science économique et, pour tout dire, de la logique élémentaire, veut que nous vivons dans un monde de ressources limitées. Je ne fais pas référence ici au fait que les finances publiques de l'État québécois disposent d'une marge de manoeuvre extrêmement restreinte, bien que c'est par ailleurs le cas, mais simplement à une réalité physique. Le temps et les ressources, à un moment précis, sont effectivement limités, et ce même pour la personne la plus riche du monde ou pour l'État le plus prospère de la planète. Quand on choisit de faire quelque chose, cela présuppose, par définition, que l'on est en train de renoncer à faire autre chose. Une fois ceci bien assimilé, il faut alors se demander comment cette allocation de temps et d'argent se compare à toutes les autres priorités et besoins? Et non pas: est-ce que quelque chose d'intéressant ou d'instructif pourrait, peut-être, ressortir de cette commission? Une fois que l'on formule la question en ces termes, et que l'on fait cet arbitrage d'allocations de ressources, il me semble qu'il en ressort clairement qu'aller de l'avant avec cette commission constitue, en effet, une mauvaise allocation de ressources.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



LA COULEUVRE

Lorsqu'on veut faire avaler une couleuvre, il ne faut pas la choisir trop grosse. Voilà le principe que le gouvernement Marois devra retenir. Alors que la population a encore en mémoire un Parti québécois arborant le carré rouge et une première ministre tapant la casserole, cette commission d'enquête ne pouvait qu'être suspecte. En y nommant des commissaires partisans et en leur confiant le mandat de traiter d'une question partiale, elle n'avait plus aucune crédibilité. C'est connu, à trop vouloir piper les dés, plus personne ne veut jouer avec vous. Il fut une époque où organiser un simulacre de commission d'enquête pour flouer une population mal informée aurait pu être politiquement efficace. À l'ère de l'information instantanée, il est toutefois plus difficile de prendre les citoyens pour des ignares et de leur faire gober n'importe quoi. Encore plus si l'enjeu concerne des groupes d'intérêt bien organisés qui ont les moyens de faire dérailler le train de la propagande. Le gouvernement s'est fait prendre à son propre jeu. Il doit maintenant composer avec une commission qui, loin de rehausser son image, est en voie de le ridiculiser. Comment notre gouvernement va-t-il s'en sortir? À suivre...

Pierre Simard

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

PERTE DE TEMPS

C'est une perte de temps, d'énergie et de ressources. Les parties prenantes n'en veulent même pas, imaginez ceux qui n'ont pas pris part directement à la crise... On sait que les policiers ont été pris de court et que les agissements de certains de ceux-ci ont été douteux, mais la tension et surtout la durée de la crise expliquent (sans toutefois les justifier) certaines bavures. On sait également que le mouvement étudiant a été infiltré par des casseurs qui n'avaient rien à voir avec la crise étudiante et ce sont ces derniers qui ont causé la plus grande partie des méfaits. Par surcroît, cette crise, qui a commencé par un mouvement étudiant, s'est graduellement transformée en crise sociale alimentée par le mouvement Occupy Wall Street ; les manifestations étaient remplies d'individus qui manifestaient pour des causes très variées, mais qui se rejoignaient dans la rue pour exprimer un ras-le-bol populaire aussi bruyant que dérangeant. Je suis certain que des étudiants universitaires en socio, en anthropo et en politique rédigent déjà des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat pour élucider l'ensemble du phénomène, et ce, sans que ça nous coûte un rond. Dans deux ou trois ans, on pourra lire tout ça et comprendre la globalité de cet événement social d'importance. Dans 10 ou 15 ans, on pourra peut-être même estimer la portée de ce mouvement. Soyons donc patients et sauvons quelques millions...

Stéphane Lévesque

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



UN CIRQUE

Nos sociétés occidentales se fondent sur le principe que tous doivent respecter la loi et pour faire respecter la loi, l'État a recours à la force policière et aux tribunaux criminels.  Un gouvernement qui veut éviter la paralysie et la descente vers le chaos social se doit d'appuyer publiquement ses forces de l'ordre et leur donner les outils, les budgets, l'autorité et la crédibilité requis pour leur permettre de faire un travail de terrain dans des conditions difficiles plutôt que de pointer du doigt en jouant aux gérants d'estrade du lundi matin, ce qui risque d'éroder publiquement leur crédibilité quand ils en ont le plus besoin. Évidemment, un tel appui ne veut pas dire donner l'absolution aux corps policiers qui abusent de la force, mais il y a déjà plusieurs instances pour examiner et, le cas échéant, sanctionner les abus, pas plus qu'il ne devrait mettre en péril la liberté d'expression. Pendant que Rome brûle, cessons donc jouer du violon et de gaspiller l'argent des contribuables avec ce cirque mis en place pour acheter l'appui des associations étudiantes et des syndicats et adressons-nous plutôt aux problèmes du vrai monde.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



SE DONNER BONNE CONSCIENCE 

Je me demande bien à quoi servira cette commission si la Fraternité des policiers et l'ASSÉ ne vont pas y témoigner. Ce sont pourtant des acteurs clés impliqués de près dans les manifestations du printemps érable. La formation de cette commission par le gouvernement Marois semble n'être qu'une façon facile de se débarrasser d'une patate chaude qui hante son passé. Souvenons-nous de Pauline Marois, qui était à l'époque chef de l'opposition et marchait, chaudron à la main, côte à côte avec les étudiants et leurs leaders syndicaux. Comment pourrait-elle aujourd'hui sanctionner, s'il y a lieu, un seul manifestant? Plutôt que d'encenser ou dénoncer certains actes considérés illégaux, Mme Marois se donne bonne conscience en instaurant cette commission qui recommandera ses solutions au gouvernement. Ainsi, le parti au pouvoir ne portera pas l'odieux des décisions qu'il prendra suite aux délibérations de ce tribunal improvisé de toutes pièces. D'autant plus que les jours d'un gouvernement minoritaire sont comptés, la tenue de cette commission lui fera gagner un temps précieux. Les médias s'en donneront à coeur joie et laisseront temporairement de côté les autres préoccupations.

Jean Bottari