Le Parti québécois n'est plus le seul parti apte à mener le Québec vers l'indépendance, a affirmé l'ex-premier ministre péquiste Bernard Landry au congrès de la Convergence nationale. Qu'en pensez-vous ?

Antonin-Xavier Fournier

Professeur de sciences politiques au cégep de Sherbrooke

UN PARTI USÉ

Après plus de 40 ans d'existence, le PQ n'a toujours pas réussi son principal objectif: réaliser l'indépendance du Québec. Cette réalité incontournable a fait du PQ un parti de pouvoir qui ressemble en tous points aux autres formations politiques. Ainsi, le seul objectif du PQ est de conquérir le pouvoir et d'administrer les affaires courantes de l'État plutôt que de proposer un véritable projet de société. Certes, le PQ n'est pas le seul responsable de cette situation intenable. Les Québécois, éternellement ambivalents, ont de la difficulté à assumer leurs choix politiques, préférant en bout de piste reconduire un PQ usé plutôt que de provoquer un réalignement politique salutaire. C'est sans doute dans ce contexte que l'ancien premier ministre Bernard Landry a fait sa déclaration dans le cadre du Congrès de la Convergence nationale. Rêvant d'une grande coalition souverainiste, Bernard Landry pense pouvoir remporter une majorité en faisant l'analyse que les votes entre Québec solidaire, Option nationale et le PQ sont superposables. Pourtant, il existe  des différences fondamentales entre ces trois partis politiques et rien n'indique qu'une telle convergence se matérialisera en une victoire majoritaire lors des élections générales ou lors d'un référendum.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



IDÉE GÉNIALE

Peu importe ma position personnelle, on doit reconnaître l'ingéniosité démontrée par les penseurs du mouvement de Convergence nationale. L'idée d'organiser des «primaires souverainistes» avant les prochaines élections est géniale. On opposera le PQ, Québec solidaire et Option nationale dans une «pré-élection» et les perdants devront se rallier au vainqueur, ce qui évitera une division du vote souverainiste. Donc, on se retrouverait potentiellement avec un gouvernement de coalition, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi. J'ai toujours détesté le principe du respect forcé de la ligne de parti puisqu'il oblige parfois les élus à voter contre leur conscience. Pour ceux qui s'en sentent incapables, on les oblige à s'absenter lors des votes, ce qui va contre le principe de représentation qui constitue la base même de notre système démocratique. Dans une coalition, un tel système plus ou moins biaisé est plus dur à mettre en place. On parle depuis bien longtemps déjà d'attendre les conditions gagnantes avant le prochain référendum. Pour la première fois, je considère qu'on provoque quelque chose dont pourrait découler l'apparition de ces conditions gagnantes. On les attendait passivement mais, avec la mise en place d'un tel processus, le mouvement indépendantiste est réellement proactif pour une des premières fois.

Stéphane Lévesque

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT

UNE ÉQUIPE NON CRÉDIBLE

Ce n'est pas suffisant d'être majoritairement sympathique à la souveraineté pour qu'un référendum soit gagnant. Un tel projet ne peut être mené à terme que par un gouvernement majoritaire compétent, représentant une majorité d'écoles de pensée de la société. Il ne faut pas banaliser les difficultés sociales, juridiques et économiques de se séparer du Canada. En ce sens, l'équipe de René Lévesque en 1981 et celle de Parizeau/Bouchard/Dumont en 1995 pouvaient inspirer confiance. En d'autres mots, si un nouveau référendum avait lieu demain matin, le oui serait fonction de la ferveur indépendantiste, mais aussi de l'appréciation de l'équipe qui propose le projet. Pour l'instant, le PQ demeure la locomotive du mouvement souverainiste, comme l'a souligné Pauline Marois. Mais compte tenu de la gouvernance plutôt chaotique de ce gouvernement, compte tenu des préjugés négatifs et des propos souvent insultants de plusieurs ténors souverainistes envers l'industrie et la classe affaires, étant donné que leur pensée politique ne représente qu'une personne sur trois, qui serait prêt à accorder un mandat d'indépendance à l'équipe Marois/David/Aussan? C'est sans compter que le projet est toujours présenté sous l'angle «être dans le Canada c'est la calamité pour notre économie et la survie de la nation». Bref, les fédéralistes peuvent dormir tranquille.

Gaëtan Lafrance

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



DÉSARROI PROFOND

Je trouve étrange la radicalisation tardive de Bernard Landry, un politicien aguerri. Une telle déclaration, déjà énoncée par Jacques Parizeau voilà quelque temps, étonne quelque peu. Fin tacticien et souverainiste convaincu, M. Landry s'est fait la semaine dernière l'apôtre d'une convergence nationale pour battre le rappel des souverainistes de tous les horizons, sans égard aux dommages collatéraux que cette stratégie peut avoir sur le PQ, alors que celui-ci est au pouvoir et tient (difficilement) les rênes du gouvernement du Québec. On pourrait se dire qu'en somme, la cause souverainiste défendue de tout temps par Bernard Landry dépasse la loyauté envers le parti qui est censé l'incarner. Détaché de l'obligation de respecter la ligne de parti de part son statut d'ancien premier ministre, il veut pousser ainsi l'actuelle première ministre dans ses derniers retranchements et ainsi forcer le PQ à se commettre encore davantage pour l'option de la souveraineté. Force est pourtant de constater qu'une telle stratégie trahit le désarroi profond de cette génération de militants péquistes qui n'ont pu mener à bien leur rêve d'une nation québécoise, alors qu'ils étaient au pouvoir et à même de le réaliser, et qui maintenant se retranchent dans un radicalisme faussement rassembleur. Car comme tous les rêves, la souveraineté ne peut se décréter à coup de stratégies et de bons coups! Et Bernard Landry le sait plus que nul autre, lui qui a tenté, sans succès, de la réaliser pendant les nombreuses années où il était au pouvoir.

Yolande Cohen

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



ODEUR DE RÉCHAUFFÉ

Quand on écoute Bernard Landry, on a l'impression que la souveraineté est à nos portes; que l'indépendance du Québec ne serait qu'une question de conditions gagnantes, de convergence entre les partis souverainistes, de stratégie politique finalement. En fait, même si les discours de notre ex-premier ministre enflamment toujours le souverainiste convaincu, ils dégagent une forte odeur de réchauffé. Pis encore, on a l'impression de retourner 20 ans en arrière: rien de nouveau sur le fond, rien de nouveau sur la forme. L'option souverainiste vieillit mal. Ses porte-parole semblent s'être déconnectés du Québec. On oublie que le Québec a évolué, qu'il est de moins en moins homogène. On oublie que pour s'imposer, l'option ne peut plus être une affaire de Québécois de souche. Elle doit séduire une proportion toujours plus grande de non-francophones. On peut bien rêver au regroupement de tous les votes des partis nationalistes pour dégager une majorité à l'Assemblée nationale, il reste qu'on sera quand même loin d'une majorité de Québécois favorables à l'option souverainiste. Désolé, mais les sondages montrent que l'option est en chute libre... Il serait peut-être temps de passer le bâton du pèlerin à la prochaine génération.

Pierre Simard

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



DÉSÉQUILIBRE DES FORCES

En effet, trois partis ont inscrit l'indépendance dans leur programme: le PQ, Québec solidaire et Option nationale. Toutefois, le poids, du moins électoral, demeure très inégal: le PQ a obtenu 32 % de votes aux dernières élections, QS, 6 % et ON, 2 %. Difficile de voir comment ces tiers partis pourraient à court terme concurrencer le PQ. Certains souverainistes, dont Bernard Landry, souhaitent tout de même l'alliance des partis souverainistes. Est-ce opportun? Sans doute, s'il s'agit de discuter des tenants et aboutissants de l'indépendance du Québec. Vive le débat! Non, s'il s'agit de créer des pactes électoraux douteux. Les trois partis souverainistes réunis ont obtenu seulement 40 % du suffrage populaire aux dernières élections. Ainsi, les élus de la convergence souverainiste accéderaient à la majorité à l'Assemblée nationale en récoltant une minorité des votes, profitant de notre système électoral désuet. Par ailleurs, est-il certain qu'un électeur qui a voté pour Québec solidaire à cause de son programme de gauche et en faveur du scrutin proportionnel, votera automatiquement pour le candidat du PQ, par exemple? En plus de proposer un pari risqué, les partisans des ententes électorales se rendent coupables d'une manoeuvre antidémocratique en réduisant l'offre de choix politique.

Jana Havrankova