Loto-Québec s'inquiète de la baisse «majeure» de fréquentation de 10,3 % des casinos du Québec depuis cinq ans. Selon vous, la société d'État a-t-elle raison de redoubler d'effort pour freiner l'hémorragie, en encourageant ainsi le jeu, afin de maintenir le dividende versé dans les coffres du gouvernement?

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



FAUSSE ROUTE

Il y a deux questions à se poser. Est-ce que Loto-Québec perd une partie du marché qu'elle vise au Québec et à l'extérieur du Québec? Est-ce que le gouvernement désire que sa société prenne des moyens plus agressifs pour avoir plus de revenus nets?  À la première question, je répondrais que Loto-Québec perd une partie de son marché dans une industrie qui est en croissance, notamment à l'extérieur du Canada.  Il faudrait des investissements très importants et une stratégie beaucoup plus agressive pour tenter de garder et surtout d'accroître sa part de ce marché.  Il n'est pas du tout certain que cette stratégie réussirait, compte tenu de la concurrence mondiale.  De plus, avec une stratégie plus agressive, on risque de rendre plus de Québécois dépendants du jeu. Le gouvernement ne doit pas permettre que Loto-Québec prenne une telle stratégie.  À mon avis, le gouvernement a déjà été trop permissif.  Le gouvernement doit faire en sorte que ses citoyens valorisent beaucoup plus le travail, l'épargne et le geste de prendre une partie de leurs propres revenus pour payer les services publics qu'ils utilisent. Il faut se fier le moins possible aux autres et à l'illusion pour payer ses services publics.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



ET LA SANTÉ PUBLIQUE?

La population québécoise devrait être félicitée d'avoir diminué la fréquentation des casinos! Espérons que ces heures en moins devant les machines à sous se sont transformées en des activités plus propices à la santé! À l'égard des enjeux de santé publique, les gouvernements se conduisent de manière parfaitement schizophrène. D'un côté, ils mettent sur pied à grands frais des programmes de prévention.  De l'autre côté, pour les casinos, par exemple, ils se préoccupent des baisses de profits, non de la santé de la population. Or, nous savons que le jeu présente un danger de dépendance avec des risques de dépression, tentatives de suicide, abandon des soins des maladies existantes par manque d'argent ou par découragement.  Bien entendu, tout le monde ne devient pas joueur compulsif. Toutefois, encourager le jeu va à l'encontre de la protection de la santé publique. Sans vouloir bannir le jeu, une action qui en augmenterait l'illégalité avec des effets plus dévastateurs encore, il faudrait au moins ne pas y inciter. Pourtant, la Société des casinos du Québec, une société d'État, a octroyé 14 millions $ à une firme de communications pour attirer les gens dans ce guet-apens. Les autorités publiques sont-elles devenues dépendantes du jeu?

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

PROMOTION À L'ÉTRANGER

Loto-Québec représente une vache à lait pour le gouvernement et l'optimisation des dividendes versés au trésor public doit être une des priorités de cette société d'État. De toute façon, pour le gouvernement, dans l'optique d'un redressement des finances publiques, c'est plus facile de vendre l'idée d'une augmentation des recettes des casinos que celle d'une coupe dans les services (éducation, santé, transport, etc.). Ceci étant dit, lorsque l'économie va mal, on a naturellement le réflexe de regarder les dépenses qu'on peut couper. On oublie souvent de considérer l'option de l'augmentation des revenus. Toutefois, si les casinos génèrent des bénéfices d'exploitation, c'est que les clients y laissent leur argent. Statistiquement, les clients retournent à la maison avec un peu plus de 90 % de l'argent qu'ils avaient en poche à leur arrivée. Les casinos sont donc des lieux où, en principe, les gens s'appauvrissent et l'appauvrissement des Québécois est évidemment nuisible, et ce à plusieurs niveaux. En conséquence, je crois que Loto Québec devrait tenter de faire augmenter la fréquentation de ses établissements en visant une clientèle provenant de l'extérieur du Québec. Il faudrait que l'argent qui s'y perd provienne d'ailleurs, donc les campagnes publicitaires devraient être organisées à l'étranger. Si on arrivait à remplir nos casinos de touristes, l'État pourrait s'enrichir sans vider les poches de ceux qui devraient profiter de cet enrichissement collectif.

Stéphane Lévesque

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



LA GOURMANDISE GOUVERNEMENTALE

La crise financière aidant, on ne peut se surprendre qu'il y ait eu une baisse de 10,3 % au niveau de la fréquentation des casinos. On le sait, les jeux de hasard peuvent devenir pathologiques et, comme société, nous avons un devoir moral de mettre en garde les joueurs invétérés des conséquences du hasard justement. Il est quand même paradoxal que le fruit des jeux de hasard retourne, sous forme de dividendes, au gouvernement soit pour équilibrer son budget, soit pour réduire sa dette à long terme. Auprès de ses sociétés d'État, le gouvernement est gourmand lorsqu'il fixe les redevances des unes et des autres, en raison d'une situation financière précaire. Ce faisant, il met Loto-Québec dans une position inconfortable en la plaçant entre l'arbre et l'écorce. Comme président de Loto-Québec, je ne redoublerais pas d'efforts pour freiner l'hémorragie baissière. Je mettrais cependant davantage en garde les Québécois des dangers liés aux jeux de hasard. On ne peut oublier que Loto-Québec ne vend que du rêve. Le rêve de s'enrichir du jour au lendemain. Le malheur avec les casinos, c'est qu'ils ne sont pas réservés uniquement aux touristes qui aiment les fréquenter. Les Québécois les fréquentent également. Augmenter sans cesse les dividendes pressurise les sociétés d'État et celles-ci devraient faire savoir au gouvernement que la conjoncture économique actuelle ne leur permet pas de satisfaire l'appétit gouvernemental en cette matière.

Jean Gouin

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée à l'Université de Sherbrooke 



JE ME SOUVIENS!

Nous sommes en 2005, le Cirque du Soleil et Loto-Québec présentent un projet d'envergure internationale situé dans le bassin Peel. Il s'agit de développer « un complexe de divertissement » qui comprendrait un grand hôtel, un nouveau casino, un chapiteau pour le Cirque du Soleil, etc. Ce complexe servirait, entre autres, de base pour la stratégie de développement touristique de Montréal, qui voulait grandement courtiser les touristes-joueurs américains (sans oublier la création de plus de 6000 emplois directs et indirects). À l'époque, beaucoup de voix s'étaient alors élevées pour s'opposer à ce projet, estimant qu'il risquait d'augmenter la criminalité ainsi que la dépendance au jeu dans ce secteur Pointe-Saint-Charles. On connaît la suite : après plusieurs négociations et discussions, après le dépôt du rapport Coulombe sur ce projet et le cautionnement des conclusions de ce rapport par le ministre des Finances, Michel Audet, le Cirque du Soleil et Loto-Québec ont finalement abandonné le projet en 2006. Ironie du sort aujourd'hui, Loto-Québec, qui est désespérément à la recherche de joueurs « locaux » pour augmenter ses profits, invite maintenant les Québécois « à venir s'amuser dans [ses] casinos ». Car, il semblerait que quand on dépense dans ses casinos, « c'est à tout le Québec que ça profite ». S'amuser ensemble et profiter à tous, ah bon!

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Khalid Adnane

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN CASINO CULTUREL

Les casinos québécois doivent devenir un lieu d'émerveillement favorisant le développement de la culture. Loto-Québec devrait davantage y promouvoir les entreprises et créateurs québécois, comme le Cirque du Soleil ou le cirque Éloïze et les créateurs comme Robert Lepage. Pourquoi tant de Québécois se rendent-ils à Las Vegas chaque année, si ce n'est pour bénéficier d'un choix de spectacles exclusifs, dont un grand nombre ont été conçus par des créateurs québécois avec des entreprises scéniques d'ici? Je verrais très bien une saine compétition entre le Casino de Montréal, celui de Gatineau et pourquoi pas un Casino à Québec, près du nouveau Colisée en construction. Chaque casino aurait sa couleur particulière au niveau de la production culturelle, le lieu deviendrait ainsi une attraction touristique et culturelle. Pourquoi ne pas associer également l'exposition d'oeuvre d'art en collaboration avec les Musées des Beaux-arts du Québec et de Montréal afin d'y promouvoir les grands artistes québécois. Je recommande à Loto-Québec d'adopter une stratégie associée à la promotion de la culture, dans son offre de jeux au clair qui rapporte près de 1milliard par année à l'État québécois, que d'essayer de concurrencer le crime organisé dans le jeu en ligne, dont les affaires semblent florissantes sur les réserves autochtones et qui ne rapportent rien aux Québécois.

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Jean Baillargeon

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



LE PRIVÉ FERAIT MIEUX

Pourquoi ne pas faire gérer nos loteries par le privé? L'expérience de l'entreprise privée Camelot, qui exploite les loteries de la Grande-Bretagne sous licence d'une durée limitée de cinq ans émise à la suite d'un appel d'offres, est instructive. En 2010, elle a consacré 30 % de moins par dollar de ventes aux commissions aux vendeurs comparé à Loto-Québec. Ses dépenses d'exploitation en 2010 étaient 45 % moins élevées par dollar de vente que celles de Loto-Québec. Comme elle est une entreprise privée réglementée, elle récoltait également un bénéfice de 1,1 ¢ par dollar de ventes pour ses actionnaires. Tout le reste de ses revenus, soit 88,3 cents par dollar de ventes, est versé en prix, au gouvernement britannique ou aux bonnes causes que Camelot favorise. Si Loto-Québec exploitait ses loteries avec autant de parcimonie que Camelot, elle augmenterait son bénéfice annuel de 105 M$. Les loteries ne représentent toutefois qu'un peu moins de la moitié de son chiffre d'affaires. Si on fait l'hypothèse que des gains d'efficience du même ordre sont possibles dans l'exploitation des loteries-vidéo et des casinos, on estime qu'une Loto-Québec gérée comme une entreprise privée pourrait augmenter de plus de 200 M$ le dividende qu'elle verse annuellement dans les coffres de l'État.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



CURE MINCEUR

L'offre de jeu au Québec est très importante. Que ce soit les «gratteux», le jeu en ligne, les machines dans les bars ou encore les casinos, les Québécois ont un  choix immense lorsqu'il s'agit de dépenser leur argent au jeu.  La baisse majeure de la clientèle des casinos est possiblement attribuable, en partie du moins, au fait que Loto-Québec offre maintenant la possibilité de jouer en ligne. Il serait intéressant de connaître les revenus du jeu en ligne. Cela nous donnerait un meilleur portrait d'ensemble démontrerait que la baisse de revenus dans les salles de jeu est récupéré en grande partie par le jeu livré sur les écrans d'ordinateurs. Bien que la société d'État s'inquiète d'amasser moins d'argent, le gouvernement devrait quant à lui s'en réjouir. Cette baisse démontre qu'il y a moins de joueurs compulsifs et, par le fait même, plus d'argent investi ailleurs. Nous sommes déjà parmi les citoyens les plus taxés et imposés au Canada. Plutôt que de cautionner Loto-Québec qui cherche à accroître ses revenus, notre gouvernement devrait rivaliser d'imagination afin de puiser une plus grande part des impôts que nous lui versons en sabrant non pas dans les services à la population, mais en faisant subir une cure minceur à son titanesque appareil administratif. Plus facile, j'imagine, de vendre le rêve aux citoyens que d'agir pour leur bien.

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



TENDANCES LOURDES

Quant à moi, le seul aspect véritablement positif de Loto-Québec est que son existence permet une forme de taxation volontaire lorsque les contribuables québécois utilisent ses services. Mais il s'agit d'un argument très important dans cette ère où le fardeau fiscal et autres prélèvements obligatoires augmentent constamment (taxes sur l'essence en hausse, TVQ en hausse, augmentation du taux marginal d'imposition des «riches», augmentation des taux de cotisation au RRQ, etc.). Dans ce sens, j'espère que les efforts de Loto-Québec porteront fruit. Toutefois, je suis assez sceptique quant au renversement de cette tendance observée depuis cinq ans. Pour bien fonctionner, dans le monde d'aujourd'hui, un casino doit généralement faire partie d'un complexe ludique plus large de premier niveau, ou encore d'être localisé dans un site géographique d'une beauté exceptionnelle (comme c'est par exemple le cas pour le casino de Charlevoix). C'est justement ce qu'offrait le projet conjoint du Cirque du Soleil et de Loto-Québec au bassin Peel d'il y a quelques années. Mais, comme on en souviendra, il a été torpillé par certains groupes dont le principal objectif consiste à s'opposer à tout et n'importe quoi, mis à part peut-être la pose d'une ou deux éoliennes dans une terre isolée ou le développement d'un jardin communautaire de légumes organiques sur un toit, et encore! Ce sont les mêmes groupes qui militent par ailleurs constamment pour l'adoption de mesures qui auront toutes pour effet d'augmenter les dépenses de l'État québécois. Comme le disait fort à propos feu mon ami Daniel Audet, «ces gens-là» veulent tout ce qui augmente les dépenses tout en étant contre tout ce qui pourrait générer l'activité économique susceptible de payer pour ces mêmes dépenses. C'est là selon moi toute la différence entre la gauche et la «go-gauche». La gauche est consciente de ce qu'implique son agenda et est disposée à faire ce qu'il faut en termes de développement et d'activité économique afin que les revenus de l'État puissent augmenter suffisamment pour payer pour ses projets sans par ailleurs faire fuir les gens travaillants et productifs avec de la taxation excessive. La «go-gauche», elle, s'apparente à un adolescent gâté qui veut tout et son contraire et dont la pensée économique se limite à des incantations magiques. Au Québec, la «go-gauche» me semble particulièrement forte. Il est fort à parier qu'elle se manifestera encore une fois dans le contexte du présent débat.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



VICE CONTRE VICE

Exploiter le vice pour combattre le vice est devenu une tâche complexe. Jusqu'ici, on prétendait que le monopole des jeux d'argent et de hasard permettait à Loto-Québec de nourrir le Trésor public, tout en contrôlant les pulsions malsaines des citoyens. Mais voilà, même si le jeu reste un jeu, le jeu de la concurrence commence à lui faire mal. Son pouvoir de monopole s'effrite au profit des réserves indiennes et des sites de pari en ligne. Loto-Québec doit donc revoir sa stratégie commerciale pour protéger le dividende versé au gouvernement. Il lui faudra, sans doute, multiplier les voyages organisés pour les aînés en leur offrant des repas gratuits et des cartes privilèges. Elle n'a pas le choix : il lui faut mieux vendre le rêve. En contrepartie, pour se donner bonne conscience, elle intensifiera sa publicité pour nous rappeler que le jeu peut conduire à la faillite, à la dépression, voire au suicide. Mais où est la logique? Euh... je vous explique! L'État doit mieux exploiter la dépendance des citoyens vulnérables, pour assouvir sa propre «addiction» à l'essaimage de subventions visant à prévenir, dépister et traiter le jeu pathologique. En somme, c'est l'histoire du chien qui se mord la queue.

Pierre Simard