Durant la campagne électorale, le Parti québécois avait promis de doubler les redevances minières s'il était porté au pouvoir. Dans son nouveau régime minier, le gouvernement Marois ne compte plutôt percevoir que 15 % de revenus supplémentaires. Est-ce un recul acceptable?

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



RECUL INÉVITABLE

Non seulement s'agit-il d'un recul acceptable, mais d'un recul inévitable. La réalité de l'industrie minière a rattrapé le gouvernement qui proposait au départ des changements inconsidérés. Par exemple, le modèle australien d'une redevance sur la valeur brute du minerai est mal adapté au Québec, comme le rappelait l'été dernier une étude de SECOR, puisque le coût pour extraire le minerai est plus élevé ici. Le recul sur ce point était nécessaire et aurait même dû être complet. Avec une redevance exigible même pour les mines qui ne sont pas rentables, on incite les entreprises à fermer leurs opérations plus rapidement qu'auparavant en cas de baisse des prix mondiaux. Le nouveau régime minier multiplie aussi les paliers d'imposition. En conséquence, on peut s'attendre à ce que les entreprises modifient leurs décisions d'affaires, ce qui n'est pas souhaitable économiquement. Quant aux droits miniers maximums, ils étaient de 12 % il n'y a pas si longtemps, ils sont passés à 16 % en 2011 et atteindront bientôt 22,9 %. Une augmentation vertigineuse! Déjà sous le précédent gouvernement, les redevances exigées étaient plus élevées que celles d'autres provinces. Le nouveau régime minier présenté lundi ne fait qu'aggraver le problème de compétitivité du Québec à cet égard.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

PROMESSE IRRÉALISTE

Pendant les campagnes électorales, les partis promettent mer et monde pour se faire élire. Soyons réalistes, quoique un brin cyniques : qui croit encore les promesses électorales? Les politiciens abordent souvent les citoyens comme s'ils étaient illettrés, prêts à gober n'importe quelle baliverne. Cette ridicule culture de promesses électorales devra cesser. Les politiciens devront pratiquer la nuance : expliquer à la population que les certitudes n'existent pas et qu'il conviendra de s'adapter aux circonstances. Toutefois, ces circonstances devront être définies et explicitées. Pour les redevances minières, la réalité a manifestement rattrapé le gouvernement : il fait probablement ce qui est possible dans la présente conjoncture. Lorsque durant la campagne électorale le PQ a promis les redevances substantielles, les minerais se négociaient à des prix bien supérieurs à ceux d'aujourd'hui. La chute des cours risque de rendre certaines compagnies non rentables et les acculer à la faillite.  Par contre, nul besoin d'être un économiste patenté pour savoir que la valeur des ressources naturelles fluctue. Le PQ aurait dû en tenir compte au moment de sa promesse électorale. S'il recule encore, c'est parce qu'il a ignoré des obstacles potentiels sur sa route. Pour un décideur, cela s'appelle l'incompétence.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



UN TERRAIN MINÉ

Depuis Duplessis, le Québec a rêvé d'être rentier grâce à ses ressources minérales. Soumis à un nouveau trip populaire, les libéraux ont adopté le régime de redevance le plus généreux au Canada. Les parties d'opposition en voulaient beaucoup plus, une stratégie incompréhensible selon les données. Jusqu'en 2004, le Québec a été deuxième au Canada pour la valeur de la production minérale. Depuis, il est passé au 4e rang, mais si on inclut les combustibles, il glisse au 6e rang. En 2008, le poids du Québec ne représentait plus que 13% de la production canadienne (19% en 1999). Entretemps, le marché s'est déplacé vers l'Asie. La teneur plus faible, un prix à la baisse, le froid et l'éloignement sont plus que jamais pénalisants. Nous sommes un joueur insignifiant (0,6% de la production mondiale de fer). Récemment, on a dégringolé du 1er au 11e rang des juridictions mondiales où investir. Quelle est la logique d'en demander encore plus, quand notre industrie est en déclin ? Selon les tendances lourdes, le Québec peinera à sauver les meubles, même avec un statu quo. En se basant sur le fer, le cycle long dans ce secteur est 30 ans. On a probablement raté le train. La pensée magique n'a jamais eu sa place. Une leçon : la première responsabilité d'un élu est d'examiner les tendances élémentaires avant de promettre n'importe quoi.

Gaëtan Lafrance

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



LA LOI DU MARCHÉ

Le gouvernement n'avait pas le choix, le prix du marché des métaux ayant baissé de 25 %, il devait ajuster sa politique en conséquence. Ce qui peut paraître un recul face aux promesses électorales, quant aux sommes récoltées, m'apparaît au contraire un ajustement permanent face à la loi du marché. Ainsi lorsque le prix des métaux sera en hausse, les entreprises paieront entre 16 et 28 % de redevances sur les profits et lorsqu'il sera bas, ils paieront un impôt minimal de 1 à 4 %. De plus, les entreprises qui transforment leurs minerais au Québec ou investiront des sommes importantes bénéficieront de congés fiscaux pouvant s'étaler sur une période de 10 ans. Enfin, le gouvernement s'engage à injecter des sommes importantes pour les infrastructures (routes, chemin de fer, électricité), en plus d'établir des partenariats avec certaines d'entre elles. Loin d'être passif, le gouvernement du Québec veut devenir un partenaire des entreprises minières et développer son savoir-faire en ce domaine via un fonds d'investissement minier. Il ne reste plus qu'à bonifier son programme d'incitation à l'exploration minière, comme il l'a fait jadis avec la mise en place du programme d'actions accréditives, une politique qui a permis le développement d'un Québec inc. dans le secteur minier au Québec.

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal et spécialiste en politique énergétique



TANT QU'ON RESTE IGNORANT

Oui, c'est un recul acceptable, et même souhaitable, parce qu'il nous maintient assez proche du statu quo, alors que nous nageons encore dans l'ignorance. Lors du Forum sur les redevances minières du 15 mars dernier, Dominic Champagne a posé une des questions les plus pertinentes, restée sans réponse. A-t-on des études coûts-bénéfices globales montrant la profitabilité de l'industrie minière au Québec? Les deux ministres en présence (Marceau et Ouellet) ainsi que les fonctionnaires du Ministère des Ressources naturelles sont restés cois. Non seulement personne n'a pu dire qu'on en avait, mais aucune intention d'en réaliser n'a été annoncée. Dans un tel contexte empreint d'ignorance, étant donné l'importance régionale de l'industrie minière, il est sans doute mieux de ne rien changer : pas d'accélérateur (au nom d'un développement minier peut-être dommageable pour le Québec), pas de freinage brusque (pour préserver le tissu économique des régions minières). Par contre, il est plus que temps qu'on étudie sérieusement les impacts globaux de l'industrie, pour savoir si c'est le type d'activités qui est bon ou mauvais - en incluant évidemment les coûts sociaux et environnementaux dans l'analyse. En regard de ces conclusions, on justifiera une hausse ou une baisse des redevances.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



COMPROMIS ÉCONOMIQUE, CATASTROPHE POLITIQUE

Il faut distinguer l'économiquement acceptable du politiquement acceptable. Au point de vue économique, le ministre Marceau devait jouer à l'équilibriste et tenter d'optimiser les revenus tout en minimisant les pertes potentielles qui auraient pu découler d'un freinage des investissements par les entreprises minières. Je crois qu'avec son équipe, il a calculé le point de rupture et, au grand désarroi de la ministre des Ressources naturelles, il a dû se résoudre à annoncer que c'était le meilleur choix dans les circonstances. Par contre, au niveau politique, c'est une catastrophe pour le PQ. Les médias s'en donnent à coeur joie en faisant rejouer les enregistrements des engagements pris durant la dernière campagne électorale dans le but de rendre encore plus criant le contraste avec la réalité des annonces d'hier. La crédibilité du parti en prend pour son rhume... Afin d'éviter de telles promesses auxquelles les électeurs croiront de moins en moins, je propose une nouvelle règle à ajouter à l'arsenal du DGE : lors d'une campagne électorale, chaque promesse faite par un parti devra être proposée par un candidat qui se portera ainsi garant d'une seule de ces promesses. Si la promesse n'est pas tenue, l'élu responsable de la promesse devra démissionner. Les promesses farfelues, qui embrouillent les électeurs et qui discréditent le processus démocratique lors des élections, seraient ainsi sanctionnées pour vrai, sévèrement et rapidement.

Stéphane Lévesque

François Bonnardel

Député caquiste de Granby



HYPOCRISIE ÉLECTORALE PÉQUISTE

Ce recul spectaculaire du gouvernement péquiste était plus que nécessaire. Le Québec doit être compétitif avec les autres États en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde pour attirer les investissements miniers chez nous et créer des emplois très payants. La Coalition avenir Québec accueille donc ce recul favorablement. Toutefois, on ne peut passer sous silence l'hypocrisie électorale de Pauline Marois. Pendant toute la durée de la dernière élection, le PQ a martelé à grands coups de publicités télévisées qu'il allait doubler les redevances minières pour aller chercher près de 400 millions en fonds supplémentaires par année auprès des minières. Or, le ministre des Finances, Nicolas Marceau, a confirmé hier que ce montant n'atteindrait que 50 millions de dollars. À notre avis, cette somme ne compensera même pas les impacts financiers négatifs liés à l'incertitude causée par les discours inquiétants de quelques ministres activistes au cours des derniers mois, à commencer par la ministre des Ressources naturelles elle-même. En effet, Martine Ouellet a multiplié les déclarations irresponsables depuis son élection et semble ne pas avoir compris encore, à l'instar de son collègue Daniel Breton, qu'elle n'était plus une activiste écologiste, mais bien une ministre du gouvernement du Québec. L'abolition de la taxe santé et cette promesse doubler les redevances minières constituaient les deux principaux engagements électoraux du Parti Québécois lors des dernières élections. Or, huit mois après avoir accédé au pouvoir, Pauline Marois a maintenant reculé sur ces deux promesses. La première ministre a donc été élue sous de fausses représentations et les Québécois auront beaucoup de difficultés à croire en sa parole aux prochaines élections. Ils se sentent floués. On leur a menti sans vergogne. La Coalition Avenir Québec, même si elle n'a pas promis mer et monde comme le Parti québécois, a de son côté choisi de donner l'heure juste aux Québécois et c'est la ligne de conduite qu'elle entend maintenir pour les prochaines élections.

photo archives La Voix de l'Est

Le député François Bonnardel persiste et signe: Montréal est en mauvaise posture.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



UN MAUVAIS IMPÔT

Ce recul est inacceptable, car insuffisant.  On aurait dû tout simplement enterrer cette mauvaise idée.  L'impôt tue l'impôt, c'est bien connu (sauf, semble-t-il, de l'ancienne ministre des Finances du Québec).  Dans le cas des impôts sur le travail, une augmentation des taux peut conduire à une baisse des recettes de l'État, parce que les travailleurs surtaxés sont incités à moins travailler, à travailler au noir ou à travailler ailleurs.  C'est vrai aussi pour les redevances sur les ressources.  Grâce à la concurrence fiscale entre les provinces et les pays, l'argent de l'investisseur minier fuira là où le ratio rendement/risque est le plus avantageux, ce qui privera de recettes fiscales un Québec qui cherche trop de redevances.  L'inverse aussi est vrai.  Une baisse d'impôt peut hausser les recettes fiscales.  À preuve, les baisses d'impôts proposées par Kennedy et implantées par Johnson en 1964, les réformes fiscales de 1979 au Royaume-Uni et de 1997 aux États-Unis et le Kemp-Roth Tax Act signé par Ronald Reagan en 1981 qui ont fait croître l'économie et augmenter les recettes fiscales.  Le plus triste, c'est que le dommage est fait. Malgré ce (énième) recul, la réputation antiéconomique du PQ est connue et a déjà fait des ravages irréparables auprès des investisseurs.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



L'ACCEPTABLE ET L'INACCEPTABLE

Il est tout à fait acceptable de rectifier le tir après avoir fait des promesses que l'on peut remplir.  En fait, le pire est parfois de remplir une promesse électorale, malgré de nouvelles analyses qui nous disent que ce n'est pas souhaitable de les remplir.  Le pire, c'est parfois de s'entêter pour ne pas perdre la face ou pour suivre aveuglément une idéologie.  Par contre, ce qui est inacceptable, c'est d'avoir fait une telle promesse  (augmenter les redevances annuelles de 388 millions $) et de dire que ces revenus aideront à financer tel ou tel programme de dépenses ou bien à réduire la dette.  L'inacceptable, c'est d'avoir laissé sous-entendre aux électeurs que ces revenus additionnels seraient collectés avec une forte probabilité, malgré la volatilité du prix des métaux, et que ces revenus étaient inclus dans «un cadre financier rigoureux et responsable». Comment voulez-vous que les électeurs/contribuables aient confiance?  Tout cela me fait penser aux mots d'une chanson de Dalida : «Paroles et paroles et paroles et paroles. Paroles et encore des paroles que tu sèmes au vent.»