Selon un sondage Nanos, une majorité de Québécois trouve plus important de réduire les émissions de gaz à effet de serre que de rendre l'Amérique du Nord indépendante des importations de pétrole. Êtes-vous d'accord?

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal et spécialiste en politique énergétique



LOGIQUE

Oui, c'est tout à fait logique. L'« indépendance » des importations de pétrole n'est pas un objectif en soi : le Québec est en effet une société ouverte au commerce. Nous exportons nous-mêmes de l'hydroélectricité chez nos voisins... et ce ne serait certainement pas souhaitable que ceux-ci cherchent à se rendre indépendants de notre électricité. Par contre, la dépendance au pétrole, peu importe sa provenance, est un problème. Non seulement à cause des GES (et au Québec, c'est l'utilisation du pétrole en transport qui est la première source d'émission de GES), mais à cause de l'argent improductif qui est dépensé dans notre système de consommation du pétrole. Ce système de consommation, centré sur le transport individuel en (grosses) automobiles, pompent 20 % des dépenses des ménages québécois, soit plus de 35 milliards $ par année... plus que le budget de la santé! Or aller au travail en VUS ou en Mini ne change rien à la productivité. Dans le premier cas, les dépenses sont simplement plus grandes, et il faut asphalter plus d'espace pour accommoder ces véhicules. Évidemment, les émissions de GES sont aussi plus grandes - ce qui fera perdre tout le monde à long terme.

Karel Mayrand

Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki



FAUSSE OPPOSITION

Ce sondage est très intéressant à plusieurs niveaux. D'abord parce qu'il est totalement biaisé en faisant une fausse opposition entre l'indépendance énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Placés devant un tel dilemme, il est surprenant que 30 % des Américains, 32,5 % des Canadiens et 53,4 % des Québécois priorisent la réduction des GES à l'indépendance énergétique. Imaginons un moment que nous ayons demandé aux Nord-Américains s'ils préféraient réduire leur facture énergétique en diminuant leur consommation de pétrole ou bien augmenter leur facture énergétique et contribuer à l'aggravation du réchauffement climatique. On peut supposer que les réponses auraient été différentes. Ensuite, le sondage définit l'indépendance énergétique à l'échelle continentale. Pour les Québécois, l'indépendance énergétique est synonyme d'énergie produite ici, au Québec, et non pas d'un changement à nos sources d'importation. L'importation de pétrole coûte 14 milliards $ par an aux Québécois, peu importe qu'il provienne d'Alberta ou d'Algérie. Cet argent quitte le Québec et ne reviendra plus. Le Québec dispose de confortables surplus énergétiques. La vraie indépendance énergétique au Québec passera par la substitution du pétrole par l'électricité dans nos transports. Ceci permettra de conserver notre richesse ici et de diminuer les émissions de GES. Cela, les Québécois le savent.

Karel Mayrand

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



PLUSIEURS PRÉTEXTES D'ACTION

Dans l'histoire récente, plusieurs prétextes d'action ont justifié les politiques énergétiques. La création d'emplois est la plus évidente. Deuxièmement, l'autosuffisance énergétique a justifié l'action à cause de sa valeur stratégique. Elle a aussi l'avantage de stimuler la recherche et l'innovation technologique. Bien sûr, le changement climatique est aussi une cause qui incite les sociétés à agir. Comme le principal responsable est la consommation d'énergie fossile, la réduction des GES passe par l'efficacité énergétique. À ces trois prétextes d'action, il faut également inclure l'impact social et l'impact environnemental en général. En ce sens, la question du sondage Nanos n'est pas d'une très grande utilité dans le débat, puisqu'elle se limite qu'à deux critères. Très sensibilisés à l'environnement, les Québécois ont donc donné une réponse logique. À titre d'indication, si on fait une analyse multicritères où on met un poids égal à chaque critère, les sables bitumineux ressortent probablement gagnants comme une option à long terme par rapport à l'importation de pétrole de lointaines contrées. Ce choix crée plus d'emplois et augmente l'autosuffisance. Par ailleurs, il est toujours préférable produire le plus près possible de chez soi et utiliser le pipeline en priorité. Finalement, le pétrole conventionnel, c'est fini. Toute l'humanité s'oriente vers des « pétroles sales ». Les sables bitumineux ne sont pas pires que les autres nouveaux champs de pétrole.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



POURQUOI PAS LE DEUX?

Il n'est pas surprenant que les Québécois ne veuillent pas du pétrole provenant des sables bitumineux : ni l'Alberta en général ni l'extraction du pétrole de ces sables n'ont bonne presse au Québec. Depuis des années, on nous répète que l'exploitation des sables bitumineux s'avère excessivement polluante. Mais que savons-nous de l'extraction du pétrole en Algérie eu au Nigeria, qui nous fournissent notre pétrole actuellement? Combien de gaz à effet de serre génère le transport de l'or noir de ces pays lointains? Avons-nous envie de rester dépendants des régions instables aux politiques énergétiques opaques? Mais surtout : peut-on rendre l'industrie des sables bitumineux plus écologique pour en accroître l'acceptabilité? En fait, il ne faudrait pas s'astreindre à opposer ces deux objectifs. Devenir indépendant pour l'approvisionnement en pétrole constitue un but souhaitable à relativement court terme. La réduction des gaz à effet de serre, bien qu'elle doive accélérer sa cadence immédiatement, s'étalera sur plusieurs années. Il est indéniable que nous, les Québécois, resterons dépendants du pétrole pour de nombreuses années encore, malgré certains progrès des énergies alternatives. Obliger les compagnies pétrolières à respecter l'environnement pour que l'on puisse souhaiter l'indépendance énergétique me semble la voie à suivre.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal



CROYANT MAIS NON PRATIQUANT

Rien ne dit que le pétrole importé soit moins polluant que le pétrole produit en Amérique du Nord incluant celui qui provient des sables bitumineux. Il faudrait, pour s'en convaincre, distinguer entre les divers types de pétroles que nous importons, leur provenance, les procédés d'extraction et d'exploitation, les méthodes de raffinage. On devrait évaluer les risques associés au transport par cargo de millions de barils de pétrole et tenir compte des gaz polluants découlant du transport par mer sur des très grandes distances. Mais ce ne sont là que des arguties par lesquelles on reconnait les réactionnaires pollueurs. De plus, il faut avoir des prétentions de grande puissance pour se soucier d'indépendance énergétique; c'est bon pour les États-Unis. La crise du pétrole? Une vieille histoire ressassée par les professeurs. Célébrons sans nuance le culte de la Terre! L'environnement est comme la défense du français et bien d'autres choses encore, c'est Jean Paré qui le déplore, on peut être croyant mais non pratiquant.

Philippe Faucher

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



ENJEU BIAISÉ

La question du sondage Nanos est biaisée puisqu'elle insinue que la question de réduction des gaz à effets de serre est plus importante que l'indépendance face aux importations de pétrole, qui, soit dit en passant, coûte plus cher aux Québécois, ce qui biaise la réponse. Tous ceux qui font des sondages savent comment orienter les choix des répondants. Un exemple de question biaisée? Êtes-vous d'accord pour que le Québec importe davantage de pétrole albertain si le prix de l'essence à la pompe baisse de 10 %? Je suis certain que dans ce cas, une vaste majorité de Québécois aurait répondu « oui » sans se soucier de la question de l'augmentation des gaz à effets de serre. Personnellement, je suis favorable à l'importation du pétrole albertain au Québec puisque stratégiquement, c'est l'un des rares dossiers où le Québec peut négocier avec le gouvernement fédéral un peu de respect pour le contrôle de ses juridictions. D'ailleurs, si j'étais à la place du gouvernement du Québec, j'en profiterais pour réclamer le plein contrôle sur le secteur de l'environnement qui est actuellement un pouvoir partagé entre le fédéral et les provinces. Ainsi, il n'y aurait plus d'enclaves au Québec comme les ports et les aéroports qui se réclament de juridiction fédérale et refusent de reconnaître les pouvoirs du Québec en la matière. Un beau dossier pour la gouvernance souverainiste.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



ÊTRE RÉALISTE ET PRAGMATIQUE

Considérant qu'un récent sondage CROP, réalisé pour la Fédération québécoise des chambres de commerce auprès de 1000 Québécois, concluait que près des trois quarts des répondants sont favorables au pétrole albertain, les résultats du sondage Nanos laissent perplexe. Il est vrai que notre vie dépend énormément du pétrole. Il est certainement souhaitable que l'on encourage d'autres façons de faire, mais en même temps, il faut quand être réaliste et pragmatique. Je dois dire que j'ai grand mal à comprendre ceux qui veulent tourner le dos au pétrole albertain tout en ouvrant la porte aux importations de pétrole provenant de pays aux démocraties douteuses sinon inexistantes. Le Québec et l'Alberta font partie du même pays et, en ce sens, nous bénéficions tous, grâce à la péréquation, des revenus que génère le pétrole albertain. Ces revenus servent, entre autres, à soutenir des programmes sociaux que même les Albertains ne se paient pas. Je préfère croire que les Québécois, comme l'indiquait le sondage de la FCCQ, comprennent et apprécient les avantages du pétrole albertain plutôt que, comme le sous-entend le sondage Nanos, ils préfèrent envoyer leur argent à d'autres pays.  Quand vous irez faire le plein la prochaine fois, demandez-vous si vous préférez que votre essence provienne d'Alberta ou de l'Irak et de la Libye.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



SI ÇA NE COÛTE RIEN

C'est parce que la propagande des «réchauffistes» est plus forte au Québec qu'ailleurs, que nous nous distinguons des autres Nord-Américains en matière de lutte contre les changements climatiques. D'abord, la simple idée voulant que le répondant à un tel sondage dispose de l'information et des connaissances suffisantes pour répondre rationnellement à cette question est farfelue. Même les scientifiques ne s'entendent pas sur la question des gaz à effet de serre. Une des forces de nos groupes de pression c'est d'avoir appris à exploiter notre ignorance rationnelle. Ils savent que le citoyen peu informé, et conscient de ne pouvoir influencer significativement l'issue d'une décision politique retirera une satisfaction psychologique à adhérer à leurs mesures empreintes de vertu. C'est humain, il est plus facile d'exposer sa compassion que de passer pour un négationniste ou un hérétique à la solde des pétrolières. Évidemment, pour le citoyen, l'adhésion à la bonne conscience est plus facile lorsqu'il a l'impression de ne pas avoir à en assumer le coût. J'aimerais bien connaître les résultats d'un sondage Nanos mesurant notre accord avec une hausse du prix de l'essence pour financer les groupes environnementaux. Nous conclurions, sans doute, que le Québécois aime bien se donner bonne conscience à la condition que ça ne lui coûte rien!

Pierre Simard

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

PAS UN CHOIX, UNE NÉCESSITÉ

Pourquoi cette volonté de tenir, peu importe les coûts environnementaux, à ce que l'Amérique du Nord devienne absolument indépendante des importations de pétrole? Je n'en vois pas la raison et surtout pas aux dépens de notre santé collective. L'air que nous respirons devient chaque jour un peu moins respirable. Le voile polluant qui enveloppe Montréal nous fait regretter notre jeunesse, alors que l'on n'avait pas à se soucier des avertissements de smog et que l'on pouvait se baigner dans le fleuve Saint-Laurent sans problème. On avait de l'eau jusqu'à la taille et on voyait distinctement nos pieds. Je ne me vois pas déambuler dans les rues de Montréal portant un masque sanitaire à titre préventif. Je rejoins définitivement la majorité de Québécois qui préfèrent la réduction des gaz à effet de serre à l'indépendance pétrolière. J'ai de plus en plus l'impression de vivre avec une bombe à retardement au-dessus de la tête, sachant que le détonateur peut être actionné à tout moment par des politiciens peu soucieux de notre environnement. La preuve n'est plus à faire qu'un milieu pollué affecte notre santé et crée par le fait même des dommages collatéraux dont les contribuables que nous sommes font et feront les frais.  Il nous importe d'agir avant qu'il ne soit trop tard. Ce n'est pas un choix, c'est une nécessité.

Jean Gouin

Jean Bottari 

Préposé aux bénéficiaires



DEVENIR INDÉPENDANTS DES PÉTROLIÈRES

Rien ne nous empêche de devenir indépendants des grandes pétrolières tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. La clé de notre succès tant en matière d'indépendance énergétique ainsi qu'en en meilleur contrôle des émissions est basé sur le fait que nous pourrions contrôler et réglementer l'industrie et les résidus polluants. Nous pourrions par exemple nationaliser l'industrie pétrolière québécoise. Ainsi, nous serions rois et maîtres de notre dépendance énergétique et serions forcés d'agir de manière responsable en ce qui a trait aux émissions. Ce modèle existe déjà chez nous. Hydro-Québec nous rapporte de généreux dividendes, exporte son produit et son savoir-faire et est reconnue mondialement pour son expertise. Rien ne nous empêche d'en faire de même avec l'industrie pétrolière, grande responsable des émissions de gaz à effet de serre. Voir grand n'est pas néfaste pour un peuple comme le nôtre. Bien au contraire, cela nous rend fiers et motive chacun d'entre nous.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



BÉNÉFICES NULS

Les Québécois ont tort de croire qu'un boycott des sables bitumineux de l'Alberta diminuerait l'émission de GES. La valeur du pétrole albertain est telle qu'il fera assurément son chemin vers les marchés nord-américains ou asiatiques, nonobstant le boycott du Québec. Les bénéfices de ce boycott sur la production mondiale de GES seraient donc nuls.  Par contre, les coûts environnementaux et sociaux de supporter l'exploitation de pétrole par des régimes comme ceux du Nigéria, de l'Angola ou de l'Algérie seront toujours beaucoup plus élevés, que ce soit à cause de la corruption des régimes, les bas standards environnementaux ou des déplacements forcés ou du transport de pétrole par bateau.  Notons aussi que même s'il est exact d'affirmer que la production du pétrole des sables bitumineux laisse une plus grande empreinte sur l'environnement que l'extraction du pétrole conventionnel, 75 % des émissions proviennent de la consommation de l'essence raffinée et seulement 25 % provient de la production, du transport et du raffinage du pétrole, de sorte qu'en bout de piste, le pétrole brut des sables bitumineux, du début à la fin de son cycle de vie, ne produit que 6 % de plus de GES que le pétrole américain conventionnel.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



INDÉPENDANCE OU SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE ?

Les ressources hydroélectriques couvrent seulement 40 % des besoins énergétiques de la province, alors que c'est pratiquement autant pour le pétrole : 39 %. D'un point de vue pragmatique, ce pétrole doit forcément venir de quelque part. À l'heure actuelle, le Québec importe la totalité du pétrole consommé à 100 $US le baril (prix du Brent au 23 avril). La proposition d'acheminer le pétrole de l'Alberta vers le Québec par des pipelines, un moyen de transport plus sûr et plus écologique que les bateaux, trains ou camions-citernes, nous permettrait de s'approvisionner à un coût plus avantageux, soit 89 $US (WTI). Si cet écart venait qu'à s'inverser, rien n'empêche la province de se tourner à nouveau vers l'Europe et l'Afrique pour ses besoins en pétrole. À tout événement, la sécurité énergétique du Québec serait alors renforcée par une diversification des sources d'approvisionnement. Au sujet de la provenance du pétrole, un sondage Léger Marketing réalisé auprès de 2560 personnes du 17 au 20 septembre 2012 nous apprenait d'ailleurs que trois Québécois sur quatre préféreraient utiliser du pétrole canadien.