Malgré l'urgence d'effectuer les travaux, la vérification des conflits d'intérêts potentiels repoussera de plusieurs mois la réalisation du projet de réfection de l'échangeur Turcot. Les Québécois doivent-ils se résoudre à accepter que des projets d'infrastructures prennent plus de temps à être réalisés afin de tenter d'enrayer la collusion et la corruption ?

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

LE PRIX À PAYER

Tous les organismes ayant une responsabilité éthique dans le domaine de la construction ont échoué lamentablement dans leur rôle de chien de garde face à la collusion et la corruption. Tous ont failli à leur mandat de défendre l'intérêt public, soit par manque de leadership, soit parce qu'elle était elle-même infiltrée par des dirigeants corrompus ou par le crime organisé ou par peur de représailles. Pas besoin de la commission Charbonneau pour comprendre que le Québec a un problème de gouvernance. Dans le dédale de nos multiples structures de gouvernance, tout se passe comme si aucune instance n'était responsable de la faillite de la gestion éthique des fonds publics dans les projets de construction. Je préfère l'irritant de délais supplémentaires, à la dilapidation de plusieurs milliards de fonds publics. C'est le prix à payer, tant que l'intégrité ne sera pas devenue une valeur absolue chez nos élus, nos fonctionnaires et nos dirigeants syndicaux et patronaux.

Photo

Jean Baillargeon

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



RÉINSTAURER LA CONCURRENCE

La commission Charbonneau a dévoilé plusieurs défaillances dans l'octroi de certains contrats publics. Des entreprises auraient réussi à échapper à la concurrence en redéfinissant les règles du jeu entre elles. Pour mettre fin à cette collusion et à cette corruption (impliquant des politiciens, des fonctionnaires et entreprises), les pouvoirs publics se sont empressés d'adopter de nouvelles règles bureaucratiques visant à contrer ces malversations. Toutefois, ces nouvelles règles du jeu ont été mises en place à la hâte, surtout pour calmer la grogne populaire. On doit maintenant évaluer ces nouvelles réglementations : procède-t-on de la bonne façon ou allons-nous trop loin? Hier, c'était le maire de Québec, Régis Labeaume, qui dénonçait la lenteur de l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans l'approbation d'un sous-traitant de son amphithéâtre. Aujourd'hui, ce sont les travaux de l'échangeur Turcot qui sont retardés par le nouveau processus de vérification des conflits d'intérêts potentiels. Le problème, c'est qu'on a l'impression que ces nouvelles règles visent à remplacer les tribunaux par une bureaucratie diligente chargée de juger les filouteries passées de certaines entreprises. Or, il vaudrait sans doute mieux laisser la justice aux tribunaux et se limiter à mettre en place des règles permettant de réinstaurer une saine concurrence dans l'octroi des contrats publics. Rien de plus, rien de moins.

Pierre Simard

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



IMMÉDIATEMENT

L'attentisme n'a jamais été ma tasse de thé. La réfection de l'échangeur Turcot s'impose et mérite que l'on procède le plus rapidement possible. Pas question d'attendre la fin des audiences de la commission Charbonneau et d'espérer que, du jour au lendemain, la corruption et la collusion ne seront plus qu'une volute de fumée sur nos écrans radars. C'est beaucoup et même trop demander. La corruption a été érigée en système et ce n'est pas demain qu'on y mettra fin. Des parasites opportunistes, il y en aura toujours, car ils carburent à l'enveloppe brune. On ne peut attendre de faire table rase de cette classe de profiteurs professionnels. Cela étant, on ne peut non plus évoquer comme raison pour retarder les travaux qu'il nous faille assainir le climat malsain dans lequel nous baignons. L'échangeur Turcot est en mauvaise condition et il est du devoir de nos différents paliers de gouvernement de remédier à la situation avant qu'il n'y ait mort d'homme. Toutes les raisons seront bonnes pour nos politiciens pour retarder le début du projet de réfection de cet échangeur. Ce projet doit se mettre en marche immédiatement, quitte à ce que l'on redouble de vigilance pour éviter, dans la mesure du possible, les conflits d'intérêts, la collusion et la corruption.

Jean Gouin

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



LES GRANDS REMÈDES

Jour après jour, et ce depuis des semaines voire des mois, le clou s'enfonce un peu plus. La corruption et la collusion ont fait tache d'huile et le cancer est généralisé. À ce qu'on peut comprendre, tous les secteurs des appareils publics municipaux, provinciaux et fédéraux semblent touchés. Les fonctionnaires, les élus, les compagnies soumissionnaires, les ingénieurs, tous sont sérieusement éclaboussés par les révélations que la commission Charbonneau et l'UPAC nous font découvrir. En effet, la présomption d'innocence n'existe plus vraiment pour les donneurs d'ouvrage, bien que leurs avocats tentent de nous convaincre du contraire. La cupidité des entrepreneurs et des fonctionnaires véreux a été trop souvent dévoilée au grand jour pour faire comme si de rien n'était. Donc, aux grands maux, les grands remèdes. Il faut faire le ménage une fois pour toutes et on doit envisager toutes les solutions pour y parvenir. Si on doit « patcher » un échangeur pour deux ans de plus, qu'on le fasse. Si les seules compagnies capables de soumissionner « proprement » viennent de l'étranger, qu'on leur octroie les contrats. S'il faut arrêter et emprisonner les politiciens ou les fonctionnaires qui ont permis au système de se pourrir à un tel degré, qu'on le fasse si ça peut empêcher leurs successeurs de corrompre nos institutions publiques dans le futur. À choisir entre un échangeur neuf maintenant ou une société moins corrompue pour des décennies à venir, le choix s'impose de lui-même.

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



INTÉGRITÉ ET RAPIDITÉ D'EXÉCUTION SONT COMPATIBLES

Les Québécois n'ont pas à choisir l'intégrité au détriment de la rapidité d'exécution, ni l'inverse, puisqu'il est possible d'avoir les deux à la fois. Le Québec n'est pas le seul État dans le monde à construire des infrastructures publiques. En observant les méthodes employées ailleurs dans le monde, on peut constater que bien des travaux publics sont réalisés efficacement, à l'intérieur des délais, et à l'intérieur d'un budget compétitif. Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas faire de même au Québec. Les travaux publics réalisés ailleurs peuvent aussi fournir une base de comparaison pour les prix payés ici. Il est grand temps d'instaurer un processus systématique et rigoureux d'étalonnage (ou « benchmarking ») pour les ouvrages publics d'importance. En effet, en comparant les prix dès le départ, et en faisant respecter ces prix, les contribuables seront possiblement mieux protégés que par les enquêtes policières ou des commissions d'enquête a posteriori. Enfin, il est crucial d'ouvrir nos appels d'offres à la concurrence internationale, tel que le recommande l'OCDE. Non pas qu'une firme étrangère soit forcément honnête et une firme locale forcément malhonnête, mais tout simplement parce qu'en multipliant le nombre de joueurs sérieux, on diminue les probabilités que ne se créée une «petite clique» pour qui la collusion sera plus facile.

Michel Kelly-Gagnon

Étienne Boudou-Laforce

Candidat à la maîtrise en service social à l'Université de Sherbrooke



POUR UNE TRANQUILLITÉ D'ESPRIT

La facture de l'échangeur Turcot ayant triplé depuis l'annonce du projet de reconstruction en 2007 et au vue des révélations de la commission Charbonneau, le gouvernement provincial a jugé pertinent de mettre sur pied un comité qui aura le mandat de revoir l'ensemble des coûts, mais surtout d'en vérifier les enjeux éthiques. Comment ne pas se réjouir d'une telle nouvelle? Rappelons qu'il y a 43 entreprises distinctes regroupées au sein des 5 consortiums dans cette large entreprise de construction, ce qui n'est pas rien. Si nous devions mettre le couvert sur ces vérifications d'ordre éthique, nous aurions probablement fort à perdre dans ce projet totalisant près de 4 milliards de dollars de fonds publics - et encore l'avant-projet définitif n'inclut pas les risques publics et travaux d'accompagnement. Qu'est-ce que quelques mois supplémentaires dans la perspective de plusieurs millions de dollars sauvés des eaux et une tranquillité d'esprit? Avons-nous réellement envie d'un échangeur de la honte ? Si nous sommes sérieux dans notre démarche de vouloir enrayer la collusion et la corruption, nous ne devons craindre les délais. La commission Charbonneau n'est-elle pas reparti pour un tour de piste de 18 mois afin d'effectuer comme il se doit son mandat? Des délais comme ceux-ci sont sages et doivent être perçus positivement. Il est question de notre bien-être collectif au final.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

PLUSIEURS CHEMINS MÈNENT À ROME

Il y a plusieurs façons d'obtenir des renseignements sur les entreprises qui vont décrocher des contrats dans ce grand projet d'infrastructure. On peut tenter d'avoir cette information avant de donner un seul contrat.  Cependant, on peut procéder même si on n'a pas tous les renseignements désirés.  On peut demander aux entreprises qui désirent soumettre des offres de services de divulguer volontairement le plus rapidement possible les renseignements désirés, en les informant que le processus de vérification de ces renseignements se poursuivra et que la divulgation de faux renseignements pourra impliquer la perte du contrat et de sévères amendes. Enfin, il faut mettre en place de bons systèmes de gestion pour l'attribution de contrats et pour le suivi des projets; on sait déjà comment le faire, mais cela peut être confirmé par des experts indépendants. Il faut éviter de retarder trop le nouveau projet et faire des travaux très coûteux qui permettront d'utiliser l'actuel infrastructure un peu plus longtemps, mais qu'il faudra faudra détruire dans peu de temps.  Je pense aussi qu'il ne faut pas que la lutte à la corruption et la collusion réduise les efforts que l'on mettra sur la conception de cette infrastructure avec laquelle il faudra vivre pendant des décennies.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



NOTRE SÉCURITÉ DOIT PRIMER

Je trouve déplorable que les possibles conflits d'intérêts ainsi que la corruption et la collusion retarde la réfection de l'échangeur Turcot qui est. selon plusieurs experts, non sécuritaire. En plus de nous voler, les fonctionnaires corrompus et certains entrepreneurs, par leurs agissements, font en sorte que les décideurs sont prêts à faire passer l'argent avant la sécurité des utilisateurs du réseau routier. En agissant ainsi, ils pourraient, bien que je ne le souhaite pas, voir survenir un désastre encore plus meurtrier que l'effondrement du Viaduc de La Concorde. Le gouvernement du Québec devrait, pour une fois, prendre le taureau par les cornes en recommençant le processus d'appel d'offres de ce méga-chantier en enquêtant minutieusement sur chacun des soumissionnaires, afin de débuter les travaux le plus tôt possible. Quant aux possibles malversations survenues jusqu'à maintenant, parions que la commission Charbonneau saura les identifier et ciblera les malfrats. Nous serions probablement prêts à pardonner au gouvernement les excès de coûts, mais pas des morts inutiles et évitables.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital



MANQUE DE CONCURRENCE


Le temps additionnel requis pour la vérification préalable ne résoudra pas nos problèmes de corruption et de collusion.  L'État, pressé de passer une loi, ne réalise pas que la véritable racine du mal qu'est la collusion vient du manque de concurrence qu'il a lui-même causé.  D'abord, on restreint la concurrence provenant des firmes de construction non québécoises.  Puis, on contraint tous les entrepreneurs québécois, par le placement syndical, à avoir les mêmes coûts de main-d'oeuvre de chantier : difficile donc de gagner un appel d'offre par une productivité plus grande ou par de meilleurs employés.  Les entrepreneurs en sont quittes à tenter de remporter la mise en rognant sur leur marge bénéficiaire.  Pas étonnant qu'ils en viennent à penser à la collusion.  Un tel stratagème n'existerait pas si, en choisissant ses propres employés, l'un d'entre eux était effectivement plus productif et gagnait tous les contrats sans collusion!  Quant à la corruption, elle serait moins présente si l'État était plus petit.  La taille immense des budgets contrôlés par quelques fonctionnaires à Montréal et Laval, au MTQ et à Hydro-Québec leur donne pratiquement un droit de vie ou de mort sur les entrepreneurs.  Pas surprenant que les entrepreneurs en viennent à « acheter » leur survie avec quelques petites liasses de billets.

Adrien Pouliot