Croyez que les nombreuses contradictions de Martin Dumont vont nuire à la crédibilité de la commission Charbonneau, qui en avait fait un témoin vedette? Ou au contraire, en rappelant M. Dumont aux audiences, la commission n'envoie-t-elle pas un signal qu'elle ne se laissera pas berner par un témoin qui voudrait inventer des histoires?

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



UNE TÉLÉRÉALITÉ

En l'absence d'une saison de hockey, nous avons eu l'automne dernier sur nos écrans une saison de téléréalité avec les audiences de la commission Charbonneau. Les honorables juges, avocats, procureurs, témoins ont-ils participé consciemment ou inconsciemment à cet exercice en ne cherchant à dire et à faire dire que la vérité, rien que la vérité? La transparence tant demandée par l'opinion publique est un des écueils majeurs des commissions d'enquête publique. Car, on le sait, la mise en scène de soi devant les autres implique de nombreux artifices qui n'ont souvent que peu à voir avec la vérité. Ces performances abondent dans les téléréalités, où l'on veut que la réalité dépasse la fiction et où chacun désire se sentir important devant la caméra. Est-ce la raison qui a poussé Martin Dumont à rajouter des « faussetés » pour rendre son témoignage plus intéressant? Aujourd'hui, on découvre avec stupeur le vrai-faux témoignage de ce M. Dumont, qui de courageux et téméraire, apparaît aujourd'hui comme un menteur et un manipulateur... Juge et partie dans ce dur combat pour faire émerger l'état des lieux de la corruption au Québec, la commission Charbonneau doit connaître l'étendue de ses responsabilités. Car, dans la vraie vie, les dégâts politiques et moraux du (faux) témoignage de Martin Dumont ne peuvent être effacés d'un coup de baguette magique. La recherche de la vérité est un processus long et pas toujours transparent.

Photo

Yolande Cohen

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



BOURDE EMBARRASSANTE

J'écrivais le 30 octobre dernier que les témoins qui avaient défilé jusqu'alors devant la commission Charbonneau étaient tous des gens foncièrement malhonnêtes ou dont la crédibilité méritait un questionnement. Ces gens avaient lancé des allégations contre lesquelles les personnes visées ne pouvaient pas se défendre.  La commission « n'est pas un tribunal criminel soumis aux règles beaucoup plus sévères de ce genre de forum. Et donc, compte tenu de la présomption d'innocence, il faut se garder de tomber dans le piège de la chasse aux sorcières et de tirer des conclusions hâtives sur l'implication du maire ».  Il est très surprenant que les procureurs de la commission n'aient pas obtenu le témoignage corroboratif de Mme Pion avant d'avoir fait comparaître M. Dumont.  On aurait aussi espéré des preuves corroboratives au sujet des autres allégations de M. Dumont.  Cette bourde entache la rigueur à laquelle on est en droit de s'attendre de la part des procureurs de la commission. Par contre, saluons le fait que les commissaires (peut-être encouragés par les fuites dans les médias?) n'ont pas balayé sous le tapis cet épisode embarrassant et ont rappelé M. Dumont à la barre pour clarifier le tout.  Est-ce que Guy A. Lepage, lui, rappellera M. Dumont à la barre de Tout le monde en parle?

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Alain Vadeboncoeur

Médecin urgentologue



POURQUOI AURAIT-IL MENTI?

Martin Dumont a-t-il berné la commission Charbonneau? Il est vrai que ses versions ne souffrent pas d'un excès de cohérence. Des explications surgissent depuis dans les médias : a-t-il sciemment menti? Voulait-il se rendre intéressant? On verra bien, mais c'est un peu court : ancien chef de cabinet au fédéral, il connaît la musique. Au fait, c'était quand, le « vrai mensonge »? Devant la commission ou lors de l'interrogatoire « volontaire » qui a suivi? Quelle est la bonne version? La vraie question, comme toujours, demeure le motif : pourquoi aurait-il menti? Pour servir quels intérêts - personne ne ment pour rien, à moins d'être un menteur pathologique. A-t-il reçu de « l'aide » pour « adapter » sa version? Si oui, de quelle âme charitable? Ou bien, n'était-ce là finalement qu'une fantaisie toute personnelle? Au fait, suivons l'effet, il pourrait montrer la source: son premier témoignage nuisait à l'administration Tremblay, au milieu de la construction et même au crime organisé; alors que la version plus récente embête pour sûr la commission et ses enquêteurs. Et lui-même, certainement : elle lui enlève toute crédibilité - ce qui va peut-être le soulager, au fait? Alors quoi? Ne pouvant ignorer le risque de se parjurer devant une commission d'enquête, il a sûrement choisi, entre deux maux, le moindre. Pourquoi?

Dr Alain Vadeboncoeur

Mélanie Dugré

Avocate



LE SYNDROME DE PINOCCHIO

Malgré un travail acharné, des enquêtes approfondies et des heures de préparation en vue des audiences, la commission Charbonneau ne pourra jamais détenir un contrôle absolu sur les témoignages rendus par les divers témoins; il existera toujours une zone d'incertitude où chacun est maître de ses paroles. Ce n'est pas tant la commission qui a fait de Martin Dumont un témoin vedette que Dumont lui-même par l'entremise de ses déclarations-chocs qui ont marqué l'imaginaire collectif. Quelles ont été ses motivations pour proférer ces mensonges et inventé ces scénarios colorés? Le désir de goûter à une minute de gloire, de régler des comptes, de tendre un piège à la commission? Allez donc savoir. Au final, Dumont reste toutefois le grand perdant puisque sa crédibilité est à tout jamais anéantie. La commission n'aura été que la victime d'un témoin hostile et menteur qui ne saurait, à lui seul, ébranler la solidité de ses fondations. La commission Charbonneau est une entité crédible et nécessaire qui, sans être à l'abri des faux-pas, remplit jusqu'à maintenant son mandat avec sérieux et compétence. Ses procureurs s'emploient présentement, à juste titre, à confronter Dumont à ses mensonges et ses invraisemblances et à pousser dans ses derniers retranchements un témoin souffrant visiblement d'une forme incurable du syndrome de Pinocchio.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



UN MESSAGE CLAIR

Tout dépend des sanctions qui seront imposées à M. Dumont. S'il a menti sous serment, c'est un parjure et cela en soi représente un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement. Qu'il soit un témoin vedette représente une bonne occasion pour la commissaire Charbonneau de lancer un message clair sur le sérieux de la commission. On a mis cette commission sur pied pour savoir ce qui se passe dans un milieu opaque et corrompu. Il est bien évident que des témoins contraints à vider leur sac pourraient être tentés de ne pas tout dire, que ceux-ci pourraient avoir des « trous de mémoire » et qu'ils pourraient éprouver le besoin de déformer la vérité pour protéger le système qui les a enrichis. Si on laisse des gens inventer des sottises ou raconter n'importe quelle histoire sans imposer de sanctions exemplaires, la commission aura couté des millions aux contribuables sans pour autant avoir permis de faire la lumière sur la problématique à l'origine même de sa création. Bref, si M. Dumont est reconnu coupable de parjure, il devrait faire face à deux accusations distinctes : une pour corruption / abus de confiance et une autre pour parjure. Le message serait clair.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UNE FAUTE CORRIGÉE EST VITE PARDONNÉE!

La commission Charbonneau a eu raison d'être transparente quant aux contradictions du témoignage de Martin Dumont. Une faute corrigée est vite pardonnée, après tout, c'est la réputation de la commission qui était en cause, parce qu'elle avait laissée passer le témoignage de Dumont sans vérifier au préalable tous ses aveux. À qui la faute? Aux enquêteurs, aux procureurs et aux commissaires qui n'ont pas corroborer plus tôt les allégations de M. Dumont concernant  le rôle joué par Mme Pion, l'adjointe qui avait prétendument compté les 850 000 dollars. De toute façon, celle-ci a tout de même avoué avoir refusé de compter les billets contenus dans une valise portée par M. Trépanier, le trésorier d'Union Montréal. Que l'on fasse témoigner ce dernier et nous saurons enfin la vérité sur ce roman feuilleton qui occupe trop l'attention de la commission. À l'avenir, je souhaite que la commission évite de rappeler des témoins qui se sont parjurés en confiant leurs dossiers aux procureurs qui verront s'il y a là matière à poursuite. Il faut éviter que la commission d'enquête devienne un tribunal qui juge ses propres témoins, car il y aurait là un risque de dérapage entraînant un détournement de sa mission première qui est d'enquêter sur la collusion et la corruption dans le domaine de la construction.

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Jean Baillargeon