Les patients consentants pourront recourir à l'aide médicale à mourir en demandant l'interruption des soins lorsqu'ils sont en fin de vie, quand la mort est imminente, qu'ils sont atteints d'une maladie incurable et en proie à des souffrances psychologiques et physiques insurmontables. Êtes-vous d'accord avec les recommandations du comité sur la mise en oeuvre du rapport Mourir dans la dignité, qui a aussi fermé la porte au suicide assisté?

Francine Laplante

Femme d'affaires



UN CHOIX PERSONNEL

Accorder à une personne en fin de vie le droit de recourir à une aide médicale pour mourir n'est en fait que la reconnaissance et le respect des droits de l'homme dans le sens le plus noble du terme. Qui sommes-nous, en tant que société, pour évaluer l'ampleur des souffrances morales et physiques de quelqu'un d'autre? Qui sommes-nous pour juger si une douleur est devenue insupportable? Chaque être humain est différent, chacun a son propre niveau de tolérance. Je persiste à croire que l'on ne peut juger adéquatement d'une situation aussi délicate tant et aussi longtemps que nous n'y sommes pas nous-mêmes confrontés. En fait, il faut être un peu naïf pour penser qu'une telle pratique n'est pas déjà monnaie courante. Quiconque a connu l'agonie d'un proche a probablement au moins entendu dire qu'un cocktail lui permettrait de partir doucement et sereinement... La différence, c'est que maintenant, les vrais mots seront utilisés et ne seront plus tabous ni illégaux. Je pense que le travail et les recommandations du comité viennent d'abord et avant tout reconnaître l'importance des soins palliatifs, tout autant que l'urgence de parler franchement du vécu souvent cruel, de la mort comme d'une réalité, de notre propre mort même, avec autant de transparence et de sérénité que lorsque nous parlons de la vie! J'aimerais que le débat se poursuive et qu'il aille encore plus loin, jusqu'à ce que nous soyons en mesure de respecter le choix personnel de tous les individus.

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial

LES MAUVAIS MOTS

Le «suicide assisté» n'est pas un suicide. Ce qu'on appelle faussement un suicide est en réalité un homicide. Quelqu'un tue quelqu'un en lui disant qu'il l'aide à se tuer. C'est ridicule de dire qu'on l'assiste. On se tue soi-même ou on est tué par un autre. Dans le premier cas, il s'agit d'un suicide; dans le deuxième cas, il s'agit d'un homicide. A-t-on le droit de tuer quelqu'un en lui disant qu'on l'aide à mettre fin à ses jours?

«Mourir dans la dignité» est une autre expression ambiguë. Est-ce à dire que ceux qui acceptent de mourir d'une façon naturelle, sans l'aide de quoi que ce soit ou de qui que ce soit, ne meurent pas dans la dignité? La mort est une réalité naturelle. Elle vient en son temps, lorsque le corps se désagrège rapidement. La plupart des gens meurent sur cette planète de façon naturelle et ils meurent dignement puisque c'est la condition humaine de mourir, après un certain nombre d'années passées sur cette terre. Le pape Pie XII avait pourtant déclaré qu'il est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même si cela a pour effet d'amoindrir la conscience et d'abréger la vie. Dans ce cas, la mort n'est pas voulue ou recherchée. On veut simplement atténuer la douleur de manière efficace en recourant aux analgésiques dont la médecine permet de disposer. En morale, on appelle cela un acte indirect. On pose un geste (ici, donner des calmants) dont le but direct est d'atténuer la souffrance, en sachant bien (indirectement) que cela va accélérer la fin de vie terrestre. Cette position est logique et met fin au débat !

Paul Daniel Muller 

Économiste



À LA DISCRÉTION DU MALADE

La valeur fondamentale qui me guide ici, c'est la souveraineté de l'individu sur sa propre vie.  De cette valeur découle le droit de refuser ou d'interrompre des soins, pas quand des médecins le jugent justifié, mais bien quand le malade n'en peut plus, à sa seule discrétion. Pour la même raison, je souhaite que le suicide assisté soit légalisé. Bien sûr, la volonté de l'individu doit être clairement exprimée et authentifiée. Par ailleurs,  les malades et les mourants ne sont pas une sorte de clientèle captive du système de santé et des prestataires de soins. Les soins palliatifs et de fin de vie, c'est très bien, mais leur existence et leur valeur ne doit pas venir restreindre le droit des individus de choisir d'abréger leur souffrance. J'aperçois, derrière le discours humaniste bien-pensant de certains représentants du milieu des soins palliatifs et de fin de vie qui s'opposent au suicide assisté, un aspect intéressé qui me révolte.

Paul-Daniel Muller

Louis Bernard 

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec



POURQUOI DÉFENDRE L'AIDE AU SUICIDE SI LE SUICIDE EST PERMIS ?



La mort est un phénomène naturel et inéluctable. Elle est souvent précédée d'une période de dégénérescence et de maladie qui provoque des souffrances physiques et psychologiques extrêmement pénibles. D'où la question de déterminer si cette période peut être abrégée. Elle peut l'être par la personne concernée agissant seule, sans l'aide de personne: dans notre droit, le suicide n'est pas prohibé. Peut-elle l'être avec l'aide d'autrui? C'est la question qui se pose aujourd'hui. Pourquoi pas? Pourvu que cette aide soit encadrée de façon à s'assurer que le désir de mourir est volontaire et libre, et qu'il est justifié par la mort prochaine, cette intervention ne fait que hâter le cours normal des choses. Si on en croit les travaux de la commission parlementaire qui a étudié cette question l'an dernier, il semble bien que notre société soit prête à accepter cette façon de faire. Elle le sera probablement encore davantage si le projet de loi qui sera présenté est étudié en prenant tout le temps nécessaire pour en discuter le pour et le contre. Le véritable débat viendra, cependant, lorsqu'il faudra discuter du cas où la personne concernée, bien que souffrante et en phase terminale, n'est plus en état d'exprimer une volonté libre et éclairée. Mais c'est un autre débat.

Louis Bernard

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



UNE QUESTION DE BIENSÉANCE

Disserter sur l'imminence de sa fin, c'est que la fin n'approche pas encore (Daniel Pennac). Comme on ne deviendra un expert que le jour où on ne pourra plus en parler, je peux donc en discourir avec vous tous. Quand mon corps et moi vivrons la fin de notre bail en colocataires indifférents (encore Pennac), quand ni l'un ni l'autre ne voudra plus de l'autre, il sera temps de prendre une décision. Quand le propriétaire de la maison juge que plus aucune rénovation n'est possible, il est temps de la démolir. Avant de fausser compagnie à notre corps, aussi bien le faire dans les règles de la bienséance. Opinion du moment bien sûr. Bref, le rapport Mourir dans la dignité me semble une avancée considérable dans notre réflexion sur le sujet. Mais il faudra aller plus loin, si ce n'est que pour les rares personnes qui décident de mourir avec toute leur tête.

Raymond Gravel 

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



VIVRE ET MOURIR DANS LA DIGNITÉ

Avant de mourir dans la dignité, il faut aussi vivre dans la dignité. C'est pourquoi je crois sincèrement que ce rapport est nuancé. Tout en permettant de manière restreinte le droit de mourir aux malades en fin de vie dont les souffrances sont intolérables, ce rapport met l'accent sur l'amélioration des soins palliatifs au Québec. Tout le monde sait que lorsque les gens ont accès aux soins palliatifs, ils ne demandent pas à mourir. Au fond, les personnes malades ne veulent pas nécessairement mourir, mais elles ne veulent pas souffrir. La question que la Commission s'est posée est la suivante : les soins palliatifs peuvent-ils apporter une réponse à toutes les fins de vie difficiles? Comme croyant, comme chrétien, je veux travailler à la promotion de la vie parce que la vie ne m'appartient pas. Elle est un don, un cadeau qu'il me faut protéger et respecter. Par ailleurs, je sais également que certaines personnes dont la souffrance est intolérable et inacceptable, malgré tous les soins appropriés, demandent d'en finir avec leur vie devenue insupportable. À ce moment-là, j'aime me souvenir de ce que disait Doris Lussier dans une lettre à La Presse du 30 octobre 1993 : « Comme saint François d'Assise, la mort, je l'appelle : ma petite soeur. Je l'ai apprivoisée; j'ai même appris à l'aimer. Car je sais qu'un jour, c'est elle qui va me délivrer, quand mon mal de vivre sera plus grand que ma capacité de l'endurer ». Peut-on l'apprivoiser jusqu'à la provoquer? La réponse nous appartient!

Raymond Gravel

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



PLUS EMPATHIQUES ENVERS NOS ANIMAUX

Quand on s'attarde à toutes les conditions qui doivent être réunies pour que quelqu'un puisse se prévaloir de ce « nouveau droit », je trouve que la fenêtre est vraiment mince. 1) Il faut être en fin de vie. 2) La mort doit être imminente. 3) Il faut être atteint d'une maladie incurable. 4) Il faut (énormément) souffrir psychologiquement. 5) Il faut (énormément) souffrir physiquement. Si jamais quelqu'un parvient à réunir toutes ces conditions, il n'aura le droit que de demander l'arrêt des soins. On ne l'aidera pas à abréger ses souffrances (qui devront être prouvées intolérables et insurmontables, ce qui n'est pas chose faite...).  Je trouve que nous sommes plus empathiques envers nos animaux qu'envers nos semblables. Quand notre golden retriever a les hanches en bouillie, par compassion, on l'amène chez le vétérinaire pour la dernière fois. Il souffre et, puisqu'on l'aime, on lui doit de bien l'accompagner dans la mort, histoire de lui éviter une vie misérable. Même pour ceux qui restent, c'est cruel. À moins de satisfaire clairement - les avocats s'en assureront - aux cinq conditions, les proches survivant devront s'imbiber de ces images de souffrance et ce sera le souvenir qui les habitera, bien malgré eux.

Jean Bottari  

Préposé aux bénéficiaires

CADRE LÉGAL NÉCESSAIRE

Mon employeur, l'hôpital Marie-Clarac, est en train de construire une centre de soins palliatifs qui comptera 18 lits pour les patients en fin de vie. Il y a d'ailleurs un besoin criant de ces lits. Il en manque 700 uniquement dans la grande région de Montréal. Notre réseau de santé est conçu pour atténuer les souffrances et le professionnel de la santé n'est pas, pour l'instant, autorisé à aider son patient à mettre fin à ses jours, peu importe son niveau de douleur morale et physique. En ce qui me concerne, et c'est le cas pour la grande majorité des personnes que je côtoie qui oeuvrent en santé, la possibilité de choisir soi-même me semble humaine et plus qu'adéquate. Je suis en accord avec Me Jean-Pierre Ménard, président du comité mis sur pied par le gouvernement, qui dit : «On pense qu'au niveau de la loi, on devrait privilégier le plus possible le droit des citoyens d'assurer la dignité de leur fin de vie.» Il s'agit maintenant d'encadrer le tout légalement de façon à ce qu'il ne puisse y avoir d'abus, tel qu'une personne suicidaire qui aurait recours au réseau de la santé pour l'aider à abréger ses jours.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN CORPS MALADE EST UN ÊTRE HUMAIN QUI SOUFFRE

Je suis tout à fait d'accord avec les recommandations portant sur la mise en oeuvre du rapport Mourir dans la dignité. Un corps malade est avant tout un être humain qui souffre. Le comité Ménard a proposé une démarche évolutive en suggérant de circonscrire nommément certaines maladies incurables accompagnées d'une procédure de contrôle rigoureuse. Ayant eu un frère atteint de la sclérose latérale amyotrophique, communément appelée la maladie de Lou Gehrig, je peux témoigner que celui-ci ne désirait pas mettre fin à ses jours parce qu'il était bien entouré de ses amis, de ses ex-collègues de travail et de sa famille. Il a d'ailleurs écrit quatre livres de poèmes pendant ses quatre années où sa maladie incurable l'emmurait vivant. Jacques, mon frère, était un humaniste respectueux du corps humain atteint par la maladie, étant éducateur spécialisé en déficience profonde. Il était par ailleurs favorable au suicide assisté et approuvait à l'époque la démarche de Sue Rodriguez, cette Canadienne qui a déclenché ce mouvement, qui était atteinte de la même maladie que lui et qui réclamait le droit de mourir dans la dignité. Prochain débat moral sur le même sujet: pourquoi l'État traite-t-il les corps non réclamés comme de vulgaires sacs de déchets sans égards à l'être humain et au citoyen?

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Jean Baillargeon