Comment réagissez-vous à la fin du lock-out dans la LNH? Croyez-vous que les partisans vont facilement pardonner au Canadien, aux joueurs et à la ligue ce conflit qui les a privés de hockey pendant quatre mois?

Francine Laplante

Femme d'affaires.



BESOIN D'IDOLES



Je suis convaincue que la colère et la frustration des partisans vont durer moins d'une minute. Dès que les joueurs vont enfiler leurs patins, ces mois de frustration seront vite oubliés. Il suffit d'un seul but compté de façon un peu spectaculaire, et le tour est joué! La cagnotte du Centre Bell va se mettre à sonner de plus belle. Le peuple a un besoin viscéral d'idoles, et malheureusement, ce sont les joueurs de hockey qui remportent la palme à ce niveau. Je dis malheureusement parce qu'il est dommage que nous ne puissions pas arriver à reconnaître les vrais champions pour ce qu'ils sont : ces athlètes olympiques qui s'entraînent ardemment pour gagner une médaille et représenter leur pays, souvent dans des conditions financières précaires, ces médecins qui sauvent des vies jour après jour, ces humanistes qui travaillent d'arrache-pied avec peu de ressources pour minimiser la misère humaine dans l'anonymat le plus complet... N'est-ce pas eux les vrais héros, ceux qui travaillent pour améliorer le sort de la société et qui fournissent toujours le deuxième effort pour arriver à leur but? Le hockey n'est composé en réalité que d'individus pourvus du talent particulier de lancer une rondelle dans un filet... et d'empocher des milliers et des milliers de dollars pour leur « exploit »! Si au moins ces vedettes jouaient avec passion, détermination et respect de leurs partisans, si seulement ces vedettes se présentaient à tous les matchs avec le désir de se dépasser, si au moins ces vedettes méritaient toute l'admiration qu'ils reçoivent! On dit qu'avec des «si» on va à Paris; avec le hockey, on n'a même pas besoin de «si» pour rêver à la coupe Stanley et pour que les riches deviennent encore plus riches, toujours plus riches...

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



UN MIROIR DE NOTRE SOCIÉTÉ



Pardonner au Canadien, aux joueurs et à la Ligue nationale de hockey? Que devrait-on pardonner au juste? Que les joueurs veulent davantage d'argent alors qu'ils sont payés grassement selon leur valeur marchande? Que les propriétaires désirent profiter de leurs investissements au maximum comme tous les « bons » entrepreneurs? Que la Ligue nationale cherche une entente qui assure une paix sociale de longue durée propice à l'économie de marché et à un partage des revenus pour les moins bien nantis? N'est-ce pas là exactement notre système économique qui aboutit toujours aux mêmes conflits d'intérêts qui se règlent presque toujours par des grèves ou des lock-out? Il n'y a rien d'autre à pardonner que notre appétit insatiable à tirer le maximum d'un système qui favorise l'individualisme. Le hockey n'est qu'un miroir de notre société. Les partisans veulent du pain et des jeux, c'est bien connu, quelles que soient les conditions de vie des vedettes qui les font rêver et penser à autre chose qu'à leur routine quotidienne. De toute façon, comment meubler les longs soirs d'hiver autrement qu'en écoutant une partie de hockey? Lire un livre? Vous voulez rire? Des jeux, des jeux, des jeux! Voilà ce qui manque aux partisans.

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial.



LA RELIGION DU HOCKEY



Le hockey est une religion pour les Québécois. Ils fréquentent assidûment tous les temples du territoire du Québec. Ils adulent et adorent leurs idoles sportives. Ils affichent leur «poster» sur les murs de leur chambre, portent fièrement le chandail de leur équipe et vont jusqu'à descendre dans la rue pour manifester en cas de victoire, pour casser les vitrines, en cas de défaite. Le retour attendu des joueurs n'a fait qu'augmenter leur désir de retourner dans les estrades. Ils sont prêts à payer le gros prix pour avoir un banc, plus que ce que demandait la quête du dimanche. Ensemble, dans un chant unanime, ils scandent les mêmes refrains, reprennent les mêmes cantiques, retrouvent leur solidarité d'antan. Il en est ainsi pour tous les sports. Les dirigeants romains savaient, par exemple, que pour faire oublier les problèmes d'une société, il fallait gaver la population de sport et leur donner suffisamment à manger pour que ces derniers n'aient pas trop faim. Et retournent au stade ! Les partisans ont-ils souffert de l'absence de leurs idoles? Probablement. Mais cette absence n'aura fait que revigorer leurs attentes. En peu de temps, ils viendront faire salle comble pour se donner l'impression de vivre la cohésion nationale. La religion hockeyeuse ouvrira ses temples d'ici peu. Les fidèles reviendront. Et tout le monde sera heureux. Surtout les pauvres joueurs qui n'étaient pas assez payés pour lancer quelques rondelles en direction du filet. Les prochains billets de saison risquent de grimper de plusieurs dollars. On n'est pas assez pauvre au Québec pour se priver de ce qui coûte cher. On a toujours les moyens pour satisfaire l'appétit des plus riches.

Nestor Turcotte

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec.



ON PEUT VIVRE SANS HOCKEY



Geoff Molson déclarait que Montréal avait besoin de hockey : « Ça fait partie de notre culture, ça fait partie de nous.» Peut-être, mais n'exagérons rien. Montréal peut vivre sans hockey et l'économie du Québec ne dépend pas du Canadien. En 2006, trois économistes américains (Baade, Baumann et Matheson) publiaient une étude sur les conséquences économiques des grèves et des arrêts de travail dans le sport professionnel. Ils ont observé qu'aucune des six nouvelles franchises ou des huit nouveaux stades construits dans l'État de la Floride depuis 1980, pas plus que les nombreux arrêts de travail qui ont marqué les divers sports professionnels depuis, n'ont généré d'augmentation ou de diminution statistiquement significative des revenus de la taxe de vente. Bref, l'arrêt de travail de la LNH aura peut-être privé les Québécois d'un sport qu'ils aiment, mais nous pouvons vivre sans hockey professionnel et nous savons nous divertir autrement. Soyez sans crainte, l'avenir du économique du Québec n'a rien à voir avec le dossier P.K. Subban, ni avec le chiffre d'affaires des tenanciers de bar à proximité du centre Bell. Le hockey est essentiellement un business qui doit maintenant reconquérir le coeur des fans qui ont pu goûter, pendant quatre mois, à une offre récréative concurrente.

Pierre Simard

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue.



LA RELIGION DU HOCKEY



Comme beaucoup de gens, j'aime regarder de temps en temps un bon match de hockey. Surtout en séries, quand ça joue « pour vrai ». Il m'arrive de crier quand « c'est le but! », comme à 6 ans en écoutant un match avec mon père. Et je me souviens de l'émotion associée à ma seule visite au Forum, alors que Steve Shutt avait compté le but gagnant à 22 secondes de la fin, pour conclure 6-5! J'ai même joué Pee-wee B... sans grand talent, il est vrai. Donc je n'ai rien contre : le hockey est accrocheur et les grands joueurs donnent souvent un bon show. Mais j'en ai contre nous, en fait contre ce que nous faisons du hockey, lorsque le délire explose, surtout dans les médias qui en font une religion. Alors oui, je pense parfois que nous sommes mieux quand le Canadien rate les séries ou durant un lock-out. Parce qu'on laisse plus de place à des enjeux importants et autrement occultés, d'une autre portée que celle du contrat de Subban. Bien entendu, si le hockey était moins commercial, peut-être que ça me dérangerait moins, mais c'est un vaste empire, aux billets inaccessibles à la majorité des gens, dont la survie repose sur une complicité douteuse avec la machine médiatique, qui rend ainsi service à beaucoup de monde, politiciens, dirigeants, etc. Du pain et des jeux? La première nouvelle du jour, ce matin, c'est l'annonce du camp d'entraînement des Canadiens. Et depuis le début de janvier, le hockey occupe au Québec quatre fois plus d'espace média que le second sujet... quoi déjà? Ah oui, un détail, le mur budgétaire américain. Alors... Go Habs go?

Dr Alain Vadeboncoeur

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.



UNE SIMPLE LOGIQUE ÉCONOMIQUE!



Le conflit dans la Ligue nationale va faire mal à quelques équipes américaines, mais fort probablement pas au Canadien. Au-delà de l'aspect identitaire que représente le Canadien, la raison renvoie à une simple logique économique : le produit. Depuis, le départ des Nordiques en 1995 et des Expos en 2004, le Canadien évolue dans un marché où les consommateurs sont pour le moins captifs : il est le seul -n'en déplaise aux Alouettes et à l'Impact- à offrir aux partisans une équipe professionnelle faisant partie d'une ligue majeure nord-américaine. D'ailleurs, comment se fait-il que le club affiche un des meilleurs taux de rentabilité de la ligue, alors que sa dernière conquête de la coupe Stanley remonte à 1993, et qu'aujourd'hui, faire une ou deux rondes des séries éliminatoires est devenu un résultat satisfaisant? En ce sens, le pardon (s'il y en a un) viendra très rapidement. Il y aura certainement quelques huées ici et là lors du premier match au Centre Bell. Mais, gageons que dès le premier but du Canadien et surtout dès la première victoire, le lock-out sera vite chose du passé...

Photo

Khalid Adnane

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux.



LES JEUNES ONT ÉCOPÉ



Ce sont les parents de jeunes qui jouent au hockey qui sont le plus à plaindre, pas les partisans. Ces derniers pardonneront facilement aux joueurs et à la Ligue nationale de hockey. Mais comment expliquer cette absence pendant quatre mois de notre sport national aux enfants? Comment cacher le petit côté mercenaire et spéculatif du hockey professionnel, sans briser leurs rêves? Les jeunes ont besoin de modèles, d'idoles autant dans le domaine sportif que culturel. Malheureusement, les négociations sur la place publique ont vite fait perdre toute illusion aux parents et aux jeunes passionnés de hockey. Il fallait voir Sidney Crosby gêné et humilié lors des conférences de presse, venir se plaindre de ses conditions de multimillionnaires pour comprendre l'aspect surréaliste des demandes monétaires, autant des hockeyeurs que les propriétaires d'équipes. Personnellement, je suis un partisan de l'excellence dans le hockey professionnel. Depuis la disparition de la rivalité Canadien-Nordique et la quasi-absence de joueurs québécois dans l'alignement du Canadien, la fièvre du hockey n'est plus ce qu'elle a déjà été. Je souhaite vivement le retour d'un club de hockey à Québec sous la direction d'un Patrick Roy. Tout le monde y gagnerait, les amateurs de hockey, les joueurs et la Ligue nationale.

L'expert-conseil Jean Baillargeon 

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



DES FRANCHISES FRAGILISÉES



Pour les franchises bien établies, il y aura relativement peu de baisse dans les assistances.  Mordus un jour, mordus toujours. Tout cela sera pratiquement oublié dans quelques semaines alors que se dessinera la course pour participer aux séries éliminatoires de la Coupe Stanley.  Et on n'en parlera plus durant ces séries.  Le fait que l'entente a une durée minimale de huit ans et maximale de 10 ans va aider les partisans à tourner la page plus rapidement. De plus, il ne faut pas oublier qu'une saison de plus de 80 parties est fort longue et donne lieu à de nombreuses rencontres peu intéressantes.  On aura donc droit à une saison régulière où chaque rencontre sera relativement plus importante.  Pour les franchises qui sont en difficulté financière et qui cherchent à élargir fortement le nombre de leurs spectateurs réguliers, ce sera une tout autre histoire.  Cet accroissement sera au mieux ralenti pour un bon bout de temps et cela pourra avoir pour effet d'accroître significativement la probabilité qu'elles fassent faillite, qu'elle soient vendues ou qu'elles soient forcées de déménager.

Jean-Pierre Aubry

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



LE HOCKEY EST MALADE



Maintenant que les joueurs millionnaires se sont entendus avec les propriétaires multimillionnaires, l'amateur du hockey devra faire du rattrapage et regarder trois ou quatre matchs par semaine! De quelle façon a-t-il comblé le temps pendant la durée du conflit? En a-t-il profité pour réfléchir aux transformations que le hockey a subies depuis plusieurs années? Jadis, l'amateur encourageait « son » équipe, source de fierté nationale ou régionale.  Actuellement, les joueurs de hockey sont les mercenaires déconnectés de la ville ou du pays où ils jouent. Les équipes sont trop nombreuses et la qualité des hockeyeurs en souffre. Ce ne sont pas des salaires mirobolants qui amélioreront la qualité du jeu. Jadis, les prouesses sportives étaient à l'honneur. Aujourd'hui, la violence s'est installée; à regarder les hurlements de la foule lors des batailles, il est douteux qu'elle diminue sous peu. Nous payons tous pour ce spectacle sur glace que nous l'apprécions le ou non.  Les loges corporatives sont déductibles de l'impôt des sociétés. Le coût des publicités se reflète dans les prix des produits et services. Et le coût des billets est prohibitif pour beaucoup d'amateurs. Les fans retourneront sans doute à leur sport favori. Mais le monde du hockey restera malade.

Jana Havrankova

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



TOTALEMENT INDIFFÉRENT



Le hockey, qui est notre sport national depuis plusieurs décennies, est au sommet des priorités pour plusieurs d'entre nous. Pour ma part, la fin de ce lock-out me laisse totalement indifférent. Je ne me soucie guère du sort des propriétaires milliardaires et des joueurs multimillionnaires qui s'enrichissent grâce à leurs fans issus, pour la plupart, de la classe moyenne qui dans plusieurs cas s'endettent pour voir performer ces soi-disant «vedettes». Certains joueurs gagnent mon salaire annuel en seulement quelques minutes de présence sur la glace. Il n'est pas question ici de jalousie, mais plutôt d'équité et de priorités. Je me souviens d'une époque pas si lointaine ou les joueurs, tout aussi passionnés que les amateurs, jouaient avec coeur, passion et avec une fierté d'appartenance incommensurable. Aujourd'hui, ce sport en est devenu un ou l'athlète compte sur un agent et une firme d'avocats afin d'amasser le plus gros salaire. Même le joueur moins talentueux s'en sort avec un salaire faisant l'envie de tout travailleur ayant un emploi «ordinaire».  Pendant que les vedettes du hockey ont comme seul casse-tête le choix d'une marque de bâtons de hockey, je me prépare à aller travailler auprès de mes patients qui, eux, savent démontrer leur appréciation à mon égard.  Je compte plusieurs buts chaque soir, quand mon patient me sourit et me remercie. C'est là pour moi la plus belles des récompenses.