Les 11 cas d'infection à la bactérie E. coli déclarés au Canada sont-ils de nature à modifier vos habitudes d'achat de produits de boeuf? L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a-t-elle trop tardé avant d'intervenir auprès de l'abattoir XL Foods? Y a-t-il lieu de déclencher une enquête indépendante?

Sylvain Charlebois

Vice-doyen à la recherche et aux études supérieures de l'Université de Guelph, en Ontario.



MANQUE DE COMPASSION DE XL FOODS



Compte tenu des circonstances, la performance de l'ACIA est conforme aux exigences internationales. L'agence s'est nettement améliorée ces dernières années puisqu'elle a pris 10 semaines avant de réagir durant la crise de la listeria en 2008. Les Canadiens doivent être davantage préoccupés par le manque de rigueur de la compagnie touchée par le rappel. XL Foods, une compagnie privée appartenant à deux frères de l'Ouest Canadien, semble être une entreprise qui ne veut pas communiquer avec le public. Outre un simple communiqué de presse la semaine dernière, XL Foods nous offre une piètre performance en matière de communication du risque.  L'excuse offerte la semaine dernière était vide de sens. Contrairement à Maple Leaf en 2008, XL Foods n'a aucun visage à offrir au public canadien, aucune personnalité. Bref, XL Foods fait preuve d'un manque de compassion. C'est l'antithèse de l'approche Maple Leaf. Très décevant.

Photo fournie par Sylvain Charlebois

Sylvain Charlebois

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



ENQUÊTE APOLITIQUE SOUHAITABLE



Après le poulet à la salmonelle et les charcuteries à la Listeria, voilà le boeuf à la E. Coli! Le végétarisme vous tente? Souvenez-vous de la listériose causée par des fromages contaminés au Québec en 2008. L'année dernière, E. Coli contaminant certains légumes a engendré plusieurs morts en Europe. Se tourner vers les aliments biologiques? Pour ce qui est du boeuf biologique, il peut lui aussi être contaminé à l'abattoir. Ainsi, il est futile de fuir certains aliments : la contamination peut apparaître partout. Il faut plutôt insister pour que la prévention de la contamination s'effectue correctement à tous les niveaux. Or, à l'usine XL Foods d'Alberta, les règles d'hygiène élémentaires n'ont pas été suivies. Pourquoi? Les personnes affectées à l'entretien sont-elles trop occupées? Pas assez équipées? Les superviseurs de ces travailleurs n'ont-ils rien vu ou ne voulaient-ils rien voir? Favorisaient-ils la gestion à courte vue pour le profit maximal? Les inspecteurs de l'Agence canadienne d'inspection des aliments n'ont apparemment rien vu à l'usine albertaine non plus. Sont-ils arrivés trop tard? Les coupures d'effectifs depuis quelques années sont-elles responsables? Le laisser-aller, doublé d'un aveuglement, semble être un mal très répandu de nos jours. Espérons qu'il soit curable par une enquête, autant que possible apolitique!

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



PIÈCES COUPÉES SUR PLACE



Avec un nom de famille comme le mien, il serait difficile de ne pas succomber au boeuf! Blague à part, je l'avoue, je suis un amateur de boeuf. Par contre, je préfère me rendre chez mes bouchers préférés (Adélard Bélanger au Marché Atwater et le Marchand du Bourg pour ses décadents steaks vieillis à sec pendant au moins 40 jours) qui coupent les pièces sur place plutôt que de mettre en tablette des pièces préparées à l'avance en usine. Je me sens donc en parfaite sécurité et je n'entends pas modifier mes habitudes. À savoir si tout a été fait pour empêcher ces morts aussi tragiques qu'inutiles, il faudra que la lumière soit faite et que les responsables assument les conséquences. Le risque est toutefois d'essayer de trouver des coupables trop rapidement. Une enquête est nécessairement requise pour permettre de trouver les bonnes réponses et éviter qu'un tel incident ne se reproduise.

Denis Boucher

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



S'ABSTENIR DE MANGER DU BOEUF



Étant dans le milieu hospitalier, je suis peut-être plus sensibilisé aux infections bactériennes et virales qui font malheureusement partie de notre quotidien. Je crois que, pour l'instant, il est préférable de s'abstenir de manger de la viande de boeuf surtout s'il est impossible d'identifier sa provenance. En cas de doute, une boucherie plus artisanale, qui reçoit et transforme ses carcasses de boeuf sur place, sera plus sécuritaire. Une enquête indépendante est appropriée afin de déterminer si l'Agence canadienne d'inspection des aliments à trop tardé avant d'intervenir à l'abattoir XL Foods. Cette enquête, si bien menée, pourrait aussi nous révéler si les récentes abolitions d'emplois instaurées par le gouvernement conservateur de Stephen Harper ont une relation de cause à effet sur cette propagation de la bactérie E. coli. D'autant plus que le marché international pourrait aussi être touché car le boeuf canadien est exporté massivement vers la Chine, entre autres.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



UN CONSOMMATEUR AUX AGUETS



Pour le moment, je ne planifie pas de modifier la quantité d'achat de produits de boeuf, notamment en raison du faible taux de personnes infectées et de l'absence de décès.  Cependant, je vais suivre de plus près ce dossier et voir quelles seront les mesures prises par l'Agence canadienne d'inspection des aliments à la suite de la présente crise.  Il est important que cette agence  soit plus indépendante et plus transparente.   Cette agence prévoyait réduire graduellement ses dépenses pour le programme de salubrité des aliments de 5%, les faisant passer de 355,6 millions de dollars en 2011-12 à 337,5 millions de dollars en 2014-15.  On parle donc d'une baisse d'au moins 11% en termes réels et probablement proche de 20% si on tient compte de l'augmentation des volumes de produits alimentaires.  Je ne sais pas quelles ont été les pressions exercées par le gouvernement Harper pour planifier de telles réductions.  Par contre, je sais que la présente crise doit pousser les dirigeants de cette agence à vérifier si ces réductions sont toujours appropriées.  Pour ce qui est de XL Foods, je suis beaucoup plus préoccupé par son manque de transparence et de communication avec les consommateurs canadiens que par présence de la bactérie E. coli dans certains de ses produits.  Pour ma part, je vais demander à mon détaillant si les produits de boeuf que je désire acheter proviennent de cette entreprise de façon à privilégier les produits de boeuf venant d'autres entreprises.

Jean-Pierre Aubry

Mélanie Dugré

Avocate.



QU'EST-CE QU'ON MANGE?



Ce nouveau scandale alimentaire nous confronte une fois de plus à notre défi quotidien d'établir avec certitude l'origine et la sécurité des aliments que nous consommons. Que ce soit pour la viande transformée dans des entrepôts malpropres ou pour les fruits et légumes venus de pays où l'usage de pesticides n'est pas encadré, la chaîne alimentaire a pris un chemin bien tortueux qui fait perdre le nord au consommateur le plus averti. Ceci dit, les témoignages rendus par d'ex-employés de l'usine XL Foods, s'ils sont véridiques, révèlent des lacunes importantes au niveau de la salubrité des installations et des règles d'hygiène. La fréquence et la rigueur des inspections du ministère de l'Agriculture mériteraient certainement d'être améliorées. Quant à la gestion de la crise, il est clair qu'elle a été déficiente, que le gouvernement a réagi trop peu, trop tard et qu'il a banalisé la portée et l'ampleur de la situation. Il faut néanmoins éviter de tomber dans les extrêmes et de précipitamment conclure que toute l'industrie agro-alimentaire est gangrénée. Il existe au Canada des normes sévères qu'il conviendra de faire respecter de façon plus étroite et systématique sans pour autant verser dans la campagne de peur et se convertir à la luzerne.





Mélanie Dugré