Êtes-vous d'accord avec le gouvernement Marois qui entend augmenter les impôts des revenus supérieurs à 130 000$ en ajoutant deux niveaux d'imposition supplémentaires? Est-il justifié de procéder de façon rétroactive? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Francine Laplante

Femme d'affaires.



UNE INSULTE



Je fais partie de ces gens qui gagnent un revenu de 130 000 $ et plus. Je suis donc riche! Laissez-moi quand même vous expliquer. Nous avons cinq enfants, dont deux au cégep, deux au secondaire et un au primaire. Mon conjoint et moi travaillons chacun plus de 60 heures par semaine puisque nous dirigeons tant bien que mal deux PME qui, la plupart du temps, nous donnent des cernes sous les yeux et nous empêchent de dormir le soir venu. Nous n'avons pas de sécurité financière, ni de pension garantie à notre retraite et, depuis deux ans, nous avons mis une croix sur nos vacances annuelles en famille... Alors se faire dire que nous sommes riches et que nous devrons payer davantage est une insulte à notre intelligence. Je n'ose même pas faire le véritable calcul des sommes nettes qu'il nous reste après avoir payé l'impôt provincial, l'impôt fédéral, les taxes municipales et scolaires, les taxes à la consommation, les taxes sur l'essence, sans oublier tous les impôts et les taxes attribuables à nos compagnies. En faisant concrètement ce bilan, j'ai peur d'en arriver à prendre la décision de tout lâcher, de mettre la clé dans la porte de mes entreprises, de mettre à pied plus de 65 employés, de vendre ma maison, de me trouver un logement et d'obliger mes fils à quitter l'école pour pouvoir changer de palier d'imposition et me classer parmi les 40% de gens qui ne paient pas d'impôts. Cette mesure annoncée fait en sorte que je me sens vraiment prise en otage par un gouvernement minoritaire qui, je le constate, ne vit pas sur la même planète que moi!

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



C'EST LOGIQUE



Je me souviens d'un certain Raymond Bachand, alors ministre des Finances, qui disait que son gouvernement allait faire plus de 60% de l'effort budgétaire. «Surveillez-nous», disait-il. Quelques mois plus tard, il instaure sa controversée taxe santé censée soigner les maux de notre réseau de santé. Cette taxe n'aura fait que des mécontents, surtout parmi les travailleurs de la classe moyenne dont je suis. Depuis, Pauline Marois est arrivée au pouvoir et a éliminé, tel que promis en campagne électorale, ce fardeau fiscal imposé contre notre gré. Afin de pallier à ce manque à gagner, ce trou béant de 1 milliard de dollars, Mme Marois décide d'imposer les riches qu'elle qualifie comme étant les personnes gagnant plus de 130 000$ par année. Facile pour moi d'approuver cette mesure, car mon salaire n'équivaut même pas au quart de ce montant. Est-il plus logique que les riches paient davantage afin de financer, entre autres, nos soins de santé. Ma réponse est oui. Cette mesure est plus équitable que la taxe santé. Par contre, j'ai un problème avec le fait d'imposer cet impôt particulier de façon rétroactive. Y aurait-il moins de mécontents si ce montant était prélevé en date d'aujourd'hui? Probablement. Reste à voir si Pauline Marois cédera sous la pression.

Robert Gagné

Directeur du Centre sur la productivité et la prospérité et professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée de HEC Montréal.



FAUSSE ROUTE



Le nouveau ministre des Finances, Nicolas Marceau, fait fausse route s'il pense aller chercher des revenus supplémentaires en augmentant les impôts des «riches» afin de compenser partiellement pour l'abolition de l'impôt santé. En fait, l'augmentation annoncée des taux d'imposition des contribuables gagnant 130 000 $ et plus et l'augmentation additionnelle prévue pour ceux gagnant 250 000 $ et plus aura à mon avis pour effet net de très certainement réduire les revenus du gouvernement. Cet avis se base sur des estimations que j'ai réalisées avec deux collègues (L'Actualité économique, vol. 80, no. 2-3, 2004) et qui montrent que la sensibilité à la variation des taux d'imposition des contribuables à «hauts» revenus est telle qu'aux taux actuels, toute augmentation se traduira dans les faits par une baisse des revenus gouvernementaux. L'explication tient dans le fait que le nombre de contribuables appartenant à ces classes de revenus diminue lorsque les taux augmentent et ce, pour diverses raisons: évitement fiscal, évasion fiscale, déménagement fiscal, déménagement réel, etc. La solution: pour compenser l'abolition de l'impôt santé il faut plutôt BAISSER les taux d'imposition des plus riches. Et ce n'est pas une blague.

Photo fournie par Robert Gagné

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



JOUER AVEC LE FEU



Si le gouvernement Marois présente quelques faiblesses en économie, il semble fort en calcul (électoral). Aller piger dans les poches des 145 000 « riches » contribuables gagnant plus de 130 000 $ sera populaire auprès d'une bonne partie de la population. Ceux qui ont voté pour Québec solidaire sauront que le PQ se trouve à gauche aussi. Les soi-disant riches, qui remplissent sagement leur déclaration de revenus, ne manifesteront pas dans la rue et ne taperont pas sur les casseroles. Comme ils votent peu pour le PQ, celui-ci décide de les ignorer. Pauline Marois a prévu des hausses d'impôt, mais c'est l'augmentation rétroactive, brutale, non annoncée, qui choque. Le gouvernement joue avec le feu. Les professionnels et les entrepreneurs concernés vont contempler sérieusement le déménagement physique ou fiscal vers le sud ou vers l'ouest. En particulier les immigrants les plus performants qui entretiennent peu de liens au Québec. Les jeunes, mondialisés dans leurs esprits, songeront à s'expatrier. Ainsi, le gouvernement Marois risque de vider le Québec de ses forces vives et se privera conséquemment des impôts et des taxes. Récupérer les sommes perdues dans l'évasion fiscale sous toutes ces formes serait plus pertinent, plus juste et probablement plus payant.

Jana Havrankova

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



DÉJÀ TAXÉS À OUTRANCE



Il est facile de s'en prendre aux « riches » car, après tout, comment peut-on se plaindre quand on gagne plus de 130 000$ par année? Or, une fois le nuage démagogique dissipé, on se rend compte que ces « riches » sont déjà taxés à outrance. À preuve, les plus récentes statistiques nous disent que ces 2,3% de personnes qui gagnent plus de 130 000 $ par année ont payé le tiers des impôts au Québec. Ces « riches » versent ainsi deux fois et demi plus d'impôt que les 4,8 millions de contribuables déclarant un revenu de moins de 50 000$ annuellement! Laisser croire que les personnes à revenus plus élevés ne font pas leur part tient de la pure invention. Ainsi, une personne gagnant un salaire de plus de 130 000$ voit déjà la moitié de sa paie partir en impôt. Sur ce qui reste s'ajoutent les taxes municipales, la TPS, la TVQ, la taxe sur l'essence, permis de conduire, immatriculation, taxe scolaire et j'en passe. La création de richesse est un moteur de l'économie. Les hausses d'impôt sont un cancer qui tue l'encouragement à l'effort et au dépassement de soi. Pouvoir aspirer à ses rêves devrait être encouragé et non réprimé. Bien gagner sa vie ne devrait pas être jugé comme une maladie ou un crime.

Denis Boucher

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.



UNE AMENDE À LA RICHESSE



Personne n'aime payer des impôts, le riche comme le moins riche. Surtout si ce nouvel impôt prend l'allure d'une punition à une règle non écrite. En annonçant deux nouveaux paliers d'imposition (+ de 130 ,000 $ et + de 250 ,000 $), le gouvernement Marois cherche sans doute à satisfaire les revendications d'une gauche politique pour qui les mieux nantis ne sont que des exploiteurs. En imposant les hauts salariés de manière rétrospective, il envoie cependant un mauvais message : celui que le gouvernement peut venir fouiller dans vos poches sans vous en informer préalablement. C'est comme si on vous envoyait une facture pour avoir dépassé les limites de la richesse acceptable au Québec. Voici votre amende, : ça vous apprendra! Le problème, c'est que les riches vont apprendre. Ce n'est pas parce qu'un riche est riche qu'il est con. L'an prochain, il travaillera moins, votera par les pieds en s'expatriant ou se trouvera une niche fiscale quelque part. La mine des hauts salariés qui paient des impôts pour ceux qui n'en paient pas est sur le point de se tarir. À court terme, le PQ aura peut-être regagné quelques votes chez Québec solidaire, mais ce n'est sûrement pas de cette façon qu'on relancera la croissance économique du Québec.

Pierre Simard

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



UNE QUESTION DE JUSTICE


Il est tout à fait juste d'imposer les riches plus que les pauvres. Si quelqu'un gagne 130 000 $ en salaire par année, il me semble que c'est normal que cette personne paie plus d'impôts que celui qui gagne 50 000 $. C'est une question de justice et de solidarité envers les plus démunis, afin de réduire l'écart entre les riches et les pauvres. Personnellement, je suis prêt à payer une taxe spéciale pour permettre aux étudiants la gratuité scolaire jusqu'à l'université, même si je ne gagne pas plus de 60 000 $ par année. Étudier c'est travailler, et si nous voulons que nos jeunes puissent réussir, il nous faut les aider à défrayer leurs coûts pour leur permettre de continuer à étudier. Dans un avenir rapproché, ce seront eux qui paieront pour nous qui serons à la retraite. André Gide disait : « Ce que nous sommes incapables de donner, nous possède ». J'ose espérer que la richesse ne nous possède pas, car nous serions les plus pauvres de la planète.

Raymond Gravel

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



UNE ÉTHIQUE DE BRIGANDS



Non. Absolument pas! Tout d'abord, il faut être conscient du fardeau fiscal actuel des contribuables à plus haut revenu. Au Québec, seulement 4% de la population gagne plus de 100 000$ par année, mais ce maigre 4% assume déjà le tiers de tout l'impôt sur le revenu des particuliers versé au gouvernement, et ce sans parler de toutes les autres charges fiscales. Au cours des dernières décennies, la proportion de l'impôt sur le revenu payée par les mieux nantis a en fait augmenté plus rapidement que leur part des revenus. Il s'agit de nos médecins, nos entrepreneurs et autres professionnels de haut niveau. Jusqu'où compte-t-on presser le citron? Une famille aisée gagnant 275 000 $ verse déjà 100 000 $ en impôts dans le système actuel, soit bien plus qu'ailleurs au Canada. Lorsque cette famille a fini de payer tous les différents impôts et taxes, son hypothèque, et l'ensemble de ses obligations financières fixes, vous seriez surpris de voir combien mince est sa marge de manoeuvre réelle, dans bien des cas. De lui imposer un impôt rétroactif est inéquitable et je dirais même immoral. Cette mentalité de «prendre l'argent parce qu'il est là» constitue rien de moins qu'une éthique de brigands.

Michel Kelly-Gagnon

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.



DISCRIMINATOIRE ET INÉQUITABLE



Ce n'est pas la première fois que Mme Marois agit sans mesurer les conséquences économiques de ses actes. Ce fut le cas avec le programme des garderies à 5 $ qui ne devait coûter que 300 millions et qui bientôt va en couter 3 milliards par an.  Quoi qu'il en soit, cette dernière mouture fiscale est a priori fortement discriminatoire et inéquitable, mais aussi très dangereuse économiquement à long terme.  Inéquitable pour une personne qui verra ses impôts augmentés si elle fait plus de 130 000 $, alors qu'un couple qui fait 250 000 $ par an ne sera pas touché.  Cette mesure qui ne tient pas compte de la structure des ménages est fortement discriminatoire en ce sens où, dépendant de la distribution des revenus dans le couple, certaines familles moins nanties verront leurs revenus diminués par rapport à des couples sans enfants beaucoup plus riches. Mais le pire est à long terme, dans l'économie du savoir il est reconnu que le développement économique ne dépend plus des entreprises, mais bien de la localisation des élites et de la classe créative qui sont les principaux vecteurs de développement. Cette nouvelle contrainte, à laquelle s'ajoute souvent celle de la langue, constituera un puissant repoussoir, faisant en sorte que les décideurs actuels, créateurs de la richesse de demain, voulant s'installer au pays préféreront assurément Toronto à Montréal.  Par ce geste purement électoraliste de Mme Marois, c'est tout l'avenir économique du Québec qui est remis en cause.

Daniel Gill

François Bonnardel

Député de la CAQ dans la circonscription de Granby.



RÉDUIRE LES DÉPENSES ET IMPÔTS



Il faut être prudent avec cette nouvelle, que ni Mme Marois, ni M. Marceau, ni personne d'autre au Parti Québécois n'a encore pu confirmer en 72 heures (ce qui est troublant en soi). Rappelons que la Coalition avenir Québec souhaitait aussi abolir la taxe santé - une mesure fiscale régressive - mais que, contrairement au Parti québécois, elle ne croit pas que le manque à gagner doive se traduire par des hausses d'impôts. Les Québécois sont déjà les contribuables les plus taxés de l'Amérique du Nord, et ils vivent dans la province la plus endettée du pays. La priorité d'un gouvernement responsable, véritablement à l'écoute de sa population, devrait être de réduire ses dépenses et d'alléger le fardeau fiscal de tous ses citoyens - incluant les plus lourdement imposés -- plutôt que de poursuivre encore le cycle d'endettement et de hausses d'impôts. La guerre aux riches que semble vouloir mener le PQ rappelle la mentalité de petit pain qu'on espérait disparue. Le caractère rétroactif de la mesure ajoute l'insulte à l'injure, et compliquera sans aucun doute la vie de milliers de Québécois honnêtes, qui devraient pouvoir planifier leurs affaires sans crainte d'être rétroactivement imposés à chaque changement de gouvernement.

Archives La Presse

François Bonnardel

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.

CHANGER LES RÈGLES AU MILIEU D'UNE PARTIE



L'application de cette hausse d'impôts de façon rétroactive me fait penser au cas où on change les règles d'un jeu au milieu d'une partie. Imaginez le cas où l'organisateur d'une partie de Monopoly décrète vers la fin d'une partie que les propriétés que le joueur qui mène sont dévaluées de 50%.  Il est certain que les autres joueurs qui sont alors en meilleure posture pour gagner la partie sont contents.  Par contre, il ne faudra pas se surprendre que le joueur qui est négativement affecté par ce soudain changement de règle dise qu'on aurait dû le lui dire au début de la partie et que, sachant cela, il aurait joué différemment en achetant d'autres propriétés.  On peut se demander aussi si ce joueur voudra jouer d'autres parties, car il craindra que de telles «surprises» le frappent à nouveau. Tout ça pour dire que ce type de rétroactivité ne doit être appliqué qu'en des circonstances exceptionnelles.  Or cette urgence ne faisait pas partie du cadre financier du Parti québécois.  Mme Marois doit expliquer pourquoi il y a maintenant urgence. Est-ce que la situation financière du gouvernement est soudainement devenu si précaire?

Jean-Pierre Aubry