Un an presque jour pour jour après les attentats commis par Anders Breivik, qui avaient fait 77 morts en Norvège, un homme de 24 ans a profité d'une projection de nuit du nouveau Batman, à Denver, au Colorado, pour tirer sur la foule. Une douzaine de personnes sont mortes. Comment réagissez-vous à ce genre de tragédie? Y a-t-il quelque chose à faire pour empêcher ces tueries? Les producteurs de Batman devraient-ils en interrompre la projection?

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage Inc, il a été président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec.

Accentuer les campagnes de prévention

Lorsque quelqu'un se fait frapper par un chauffard, il serait illogique d'empêcher les gens de se promener dans les rues, au cas où un autre chauffard viendrait les frapper. La solution vient bien plus avec des campagnes de prévention qui ont effectivement pour résultat de diminuer ce genre de délits graves. Il en va de même pour les tueries. Il serait illogique de pénaliser les gens dans leur vie quotidienne au cas où d'autres tueries surviendraient. D'ailleurs, ce genre de tuerie se produit le plus souvent aux États-Unis, un pays où le port d'armes est protégé par la constitution et où le lobby des armes à feu peut venir à bout de n'importe quel politicien. Il est malheureux de constater qu'il y aura toujours des incidents malheureux comme celui qui vient de se produire à Denver ou comme celui en Norvège l'an dernier. Il est évident qu'on ne peut pénaliser des millions de cinéastes, parce qu'un individu vient de commettre un crime odieux. La résultante serait d'attirer encore plus l'attention sur son geste, ce qui, très souvent, est le désir de celui qui commet le crime.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.

Nestor Turcotte

Philosophe et théologien.

L'acte gratuit

De toute évidence, la publicité faite par les médias autour de fous qui tirent sur le monde, sans aucune raison apparente, continue à faire des ravages. La semaine de la tuerie de Toronto a eu déjà  des effets ailleurs. Et pas très loin de nous. Et la prochaine fois, ce sera sans doute parmi nous. Que faire de ces fous en liberté? Que faire de tous ces gestes déréglés qui traversent nos sociétés? Le premier geste serait de les condamner vertement et de cesser de leur faire de la publicité, du matin au soir, sur tous les réseaux de télé. Si les médias les montrent sans cesse - le cinéma est là pour perpétuer les gestes posés par ces fous - , il n'est pas étonnant que certains, déséquilibrés ou sur le coup d'une émotion passagère, décident d'imiter l'innommable... La question, sur toutes les lèvres des journalistes est la suivante : pourquoi arrive-t-on à poser des gestes aussi inhumains? La réponse se trouve dans le petit roman d'André Gide Les caves du Vatican. Le romancier français y développe la thèse de l'acte gratuit. Voici un jeune homme qui se trouve dans un train, ancien modèle, où les portes s'ouvrent directement sur la voie. L'idée lui prend d'ouvrir la porte et de lancer dans le vide un vieux monsieur qui est dans le même wagon que lui. C'est ce qu'il fait. Lors de son passage devant le juge, ce dernier lui demande pourquoi il a posé ce geste. Réponse : pour rien. Ce fut un acte libre, sans motivation, dépourvu d'intention. Pour le plaisir d'avoir, en un instant, la jouissance d'une liberté absolue. Gide, dans son roman, ne répond pas à ce problème. C'est malheureux, car la liberté absolue n'est qu'un leurre. Et même l'acte gratuit l'est aussi. Car poser un geste sans aucune raison de le poser fait qu'il y a toujours, inconsciemment un motif de le poser : c'est celui de ne pas avoir de raison de le poser qui lui donne une raison que le fauteur n'arrive pas à cerner.

Nestor Turcotte

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.

Cesser d'accorder la publicité aux assassins

Malheureusement, les psychopathes et les sociopathes, qui n'attachent aucune importance aux droits ou à la souffrance d'autrui, ont toujours existé et existeront toujours. Interdire des films ou des sites Internet qui glorifient la brutalité s'avère illusoire dans notre monde bourré d'informations de toute sorte et de toute provenance. Toutefois, il faut s'opposer fermement à toute forme de violence quotidienne : intimidation, harcèlement, méfaits des gangs de rue. Il faut dénoncer des jeux et des films trop violents, qui pourraient perturber certains esprits fragiles. Par ailleurs, les médias pourraient jouer un rôle plus approprié dans le traitement de l'information concernant les crimes très violents, comme les tueries ou les assassinats. Ainsi, après avoir dévoilé l'identité du tueur, ils devraient évacuer son nom et ses photos. Au lieu de répéter le nom du tueur, ils pourraient utiliser le nom de sa victime ou de l'endroit où la tuerie a été perpétrée. Il est insensé que le tueur jouisse d'une publicité soutenue! Savons-nous quelle influence cette notoriété indue exerce sur des esprits tordus? Le dicton : «Parlez de moi en bien ou parlez de moi en mal, mais parlez de moi» pourrait s'appliquer à ces pervers sociaux.

Jana Havrankova

Francine Laplante

Femme d'affaires et mère de cinq enfants.

Quel drame épouvantable!

On ne peut s'habituer à de telles tragédies. Notre société est tellement malade. La violence est omniprésente dans les médias, dans notre quotidien, dans notre façon d'agir et de communiquer. Nous pourrions élaborer des théories, appliquer une panoplie de règles, mais je suis persuadée que nous n'arriverons jamais à empêcher de tels drames d'arriver. Je me suis toujours demandé quelle était l'utilité des armes à feu dans notre société. Une arme à feu sert à tuer, point à la ligne. Et la plupart du temps, à tuer d'innocentes victimes! L'utopie totale serait de rêver du jour où les armes seraient interdites partout dans le monde. On peut toujours rêver, on sait tous que ça n'arrivera jamais. Une chose est certaine, ce n'est pas en retirant le film Batman des écrans que nous allons régler le problème! Sur ce point de comparaison, la très grande majorité des films ne devrait pas être diffusée, puisqu'ils sont bourrés de violence gratuite! Ce qui m'inquiète encore davantage, c'est que nous ne sommes pas à l'abri d'une telle tragédie ici dans notre Québec tranquille. Je vous parie qu'il faut moins de 24 heures à un fou pour se procurer le plus puissant semi-automatique, ici même, à Montréal. Ne dit-on pas que l'occasion fait le larron?

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec.

Où sont nos repères?

Non, les producteurs n'ont pas à interrompre la projection du film Batman parce qu'un illuminé a décidé d'ouvrir le feu dans une salle de cinéma. À Columbine, on n'a pas fermé l'école. Allons-nous fermer les grandes surfaces si quelqu'un décidait, pour je ne sais quelle raison, d'enlever la vie à certains de ses concitoyens. Aucun de ces tueurs n'évoque le même mobile. Certains agissent par vengeance, alors que d'autres en veulent à la société en général. La santé mentale de certains y est pour quelque chose également. Mais il y a plus grave encore, notre société a perdu ses repères. La société change rapidement, mondialisation oblige, et nous devons pratiquer une certaine ouverture puisque le changement nous confronte à d'autres valeurs, à d'autres cultures, et bouscule nos politiques sociétales. Ce genre d'événement est tragique et triste à la fois. Les qualificatifs me manquent pour décrire ce que je ressens. Je suis comme la majorité d'entre nous, choqué par toute forme de tuerie gratuite, mais je le suis davantage par notre gouvernement fédéral qui avait une chance en or de contrôler un tant soit peu ce genre d'incident en imposant un contrôle strict des armes à feu. C'était le premier pas à faire. Ça, c'est frustrant.

Jean Gouin

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.

Impossible à prévenir

Encore une fois, un tireur fou aurait tué 12 personnes et en aurait blessé 38 autres. James Holmes, 24 ans, ne visait aucun groupe en particulier. Selon certains témoins, il tirait de façon aléatoire avec, entre autres armes, un AK-47.  Une jeune femme qui était présente lors de la fusillade au Centre Eaton, il y a six semaines, n'aura pas échappé à son destin cette fois-ci. Holmes l'a visée et tuée. Il est difficile d'empêcher de tels drames. Souvent solitaires et antisociaux, ces psychopathes agissant à titre personnel ne se confient que très rarement avant de poser des gestes tragiques. La Constitution américaine permet à nos voisins du sud d'acquérir et de posséder des armes à feu. Le lobby en faveur du port d'arme de l'American Rifle Association est très puissant et aucun président n'a été en mesure de contrer ou de faire taire ses porte-parole. Mais une personne dérangée et décidée comme Holmes, aurait commis ce geste, peu importe les mesures de contrôle. S'il n'avait pas eu accès à une arme d'assaut, il aurait sans doute élaboré un autre plan afin de tuer le plus grand nombre de personnes possible. James Holmes n'a pas opposé de résistance lors de son arrestation. Il nourrissait probablement le désir d'être arrêté et de parader devant les médias et voulait être reconnu comme celui ayant commis ce geste horrible. Ce solitaire inconnu devient donc en quelques minutes une vedette internationale et cette visibilité le gratifie probablement plus que tout ce qu'il a accompli dans sa courte vie. Il est désolant pour toute société de vivre de tels drames. Mais il est encore plus désolant de constater que nous ne pouvons pratiquement pas prévenir ces tueries insensées, barbares et injustifiées. La projection du film Batman n'a probablement rien à voir avec cette fusillade. Holmes ne recherchait qu'un endroit ou il y avait une grande densité de victimes potentiellement ''faciles''. J'espère, bien naïvement, que ne surviendront plus d'autres drames du même genre. Malheureusement l'humain étant ce qu'il est, force m'est d'admettre que des émules de Lépine, Fabrikant et Holmes sont de ce monde et font d'eux des héros. C'est désolant, mais nous n'y pouvons rien!