Trois ans après avoir tué ses deux enfants, et un an après avoir été reconnu criminellement non responsable de leur mort, Guy Turcotte pourra recouvrer partiellement et graduellement sa liberté au cours des six prochains mois. Les Québécois sont-ils en droit de douter de leur système de justice à la suite de la décision de la Commission d'examen des troubles mentaux? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Donald Riendeau

Avocat et conseiller en éthique et gouvernance.



MODERNISER NOTRE SYSTÈME



Loin de vouloir m'immiscer personnellement dans un débat aussi émotif, ma réponse est suscitée d'abord par mon rôle d'avocat puis ensuite par celui d'éthicien. Je répète souvent qu'il y a trois marches à l'escalier de l'intégrité: le respect des lois, des règles et des valeurs. Nos législateurs passés se sont efforcés avec diligence de mettre en place un système de justice qui répondait essentiellement aux besoins et réalité de la société québécoise. Cependant, les conséquences et impacts de certaines décisions qui respectent la loi telle que l'affaire Turcotte peuvent pour plusieurs ne pas apparaître conforment aux valeurs d'aujourd'hui. Cela ne signifie pas que l'on doive douter du système de justice, de ses avocats et des juges qui l'appliquent, bien au contraire. Cela implique une réflexion et potentiellement une modernisation de notre système de justice pour que celui-ci suive l'évolution de notre société. Bien que la perception envers les avocats et les juges ne soient pas à son meilleur depuis quelques années, en raison des commissions d'enquêtes, criminels à cravate et téléséries à sensation, il est impératif de regarder la situation avec le regard approprié et continuer de faire confiance en notre système de justice qui, bien qu'imparfait, demeure l'un des meilleurs.

Photo fournie par Donald Riendeau

Donald Riendeau.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



À N'Y RIEN COMPRENDRE



Guy Turcotte se retrouvera donc bientôt en liberté surveillée à raison de huit heures par jour et si tout se déroule bien, d'ici quelques mois, il bénéficiera de sorties non accompagnées de 16 heures et pourra coucher chez un membre de sa famille. Entres autres conditions, il  lui est interdit d'approcher à moins de 500 mètres d'Isabelle Gaston, son conjoint ainsi que les autres membres de la famille Gaston. J'imagine à peine la souffrance que doit vivre Mme Gaston et encore moins, depuis cette décision de libérer Guy Turcotte, le sentiment de peur et de terreur qui l'habite. Les cinq commissaires qui ont statué que Turcotte pourra à tout moment rechuter et représente un danger pour autrui lui ont tout de même accordé ces privilèges. C'est à n y rien comprendre. Cet homme a poignardé ses propres enfants, Anne-Sophie et Olivier à 46 reprises et il s'en sort aussi facilement? Bien que l'ancien cardiologue ait été reconnu non criminellement responsable par un jury, cette décision fait l'objet d'un appel qui en principe devrait être entendu début 2013. Si de l'avis même des commissaires, Turcotte demeure dangereux, pourquoi n'ont-ils pas plutôt ordonné sa détention préventive jusqu'à son prochain procès? Le message envoyé par ce tribunal administratif en est un qui encourage de tels actes de barbarie et transmet le message aux potentiels tueurs que la clémence du système de justice et la sempiternelle soif du Québec pour la réhabilitation minimisent la gravité du crime commis. Que fera Magnotta, par exemple? Plaidera t-il lui aussi la folie passagère? Justice a été rendue pour Turcotte, diront certains. Mais qu'en est-il pour la maman d'Anne-Sophie et Olivier qui vit emprisonnée dans ce monde surréaliste qui s'occupe mieux du criminel que de la victime?

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



JE CROIS À LA RÉHABILITATION



Au Québec, nous avons le meilleur système de justice. Une justice qui mise sur la réhabilitation et la prévention au lieu de la punition et de la condamnation est, à mon humble avis, la voie à emprunter pour une responsabilisation collective. Dans le cas du docteur Turcotte, nous avons là un bel exemple de l'application de la justice qui responsabilise au lieu de punir. Comme je l'ai déjà écrit au moment du verdict de non responsabilité criminelle de Guy Turcotte prononcé par un jury, le meurtre de ses deux enfants est odieux et injuste, mais en quoi une condamnation à vie serait-elle meilleure qu'une réhabilitation? Il n'y a pas pire punition pour ce médecin qui a tout perdu : son humanité et sa dignité. Et comme on ne peut revenir en arrière et changer le cours des événements où deux petits êtres innocents ont payé de leur vie, que nous reste-t-il? Se venger et emprisonner Guy Turcotte pour le reste de ses jours? Ou bien tenter de le soigner et de le reconstruire? Personnellement, je crois que Guy Turcotte n'est pas un criminel; il est malade! C'est évident qu'une bonne thérapie s'impose, mais je suis persuadé que sa réhabilitation est possible. Ça ne redonnera pas la vie à ses deux enfants, mais ça peut permettre à cet homme de retrouver sa dignité et son humanité. Comme le disait bien saint Alphonse de Liguori : « Si on devait se tromper sur Dieu, il vaudrait mieux exagérer sa bonté, plutôt que durcir sa justice ».

Raymond Gravel

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



UNE ERREUR



Les Québécois n'ont pas à douter de leur système de justice. Cependant, il nous est permis de nous questionner sérieusement sur la décision de la Commission d'examen des troubles mentaux qui permet à Guy Turcotte de recouvrer, petit à petit, sa liberté. Il est définitivement trop tôt pour permettre à Guy Turcotte de jouir d'une certaine liberté. M. Turcotte souffre de troubles mentaux et, même si ceux-ci ont été qualifiés de passagers au moment du drame et en cour, je ne peux croire que ces mêmes troubles ne referont pas surface lorsque ce dernier sera confronté à des situations hautement émotives. Au plan légal, lorsque le doute s'installe, l'accusé réussit à s'en sortir. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle est arrivé le jury dans l'affaire Turcotte. Sur le plan médical, c'est autre chose. Le doute n'est pas permis et personne, absolument personne, ne me fera croire que tous les psychiatres qui ont vu et soigné Guy Turcotte sont unanimes sur sa guérison. Comment peut-on prétendre qu'une personne qui a commis un crime d'une violence inouïe est soudainement apte à reprendre graduellement sa liberté ? Qui sait comment Guy Turcotte se comportera face à certains événements ? Je serais des plus surpris que l'on ait soumis Guy Turcotte à des situations émotives semblables à celles qui l'ont mené à ce crime durant son séjour à l'Institut Pinel. Guy Turcotte est médecin de profession. Il sait trouver les mots et messages qui le conduiront à sa réhabilitation. Mais, est-il vraiment réhabilité ? Le sera-t-il un jour ? À ce moment-ci, cela n'a pas encore été démontré.

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



SOUS SURVEILLANCE SEULEMENT



Aussi contestable que le verdict de non-responsabilité criminelle pour le meurtre de ses enfants puisse paraître, le rôle de la Commission sur l'examen des troubles mentaux n'était pas de refaire le procès de Guy Turcotte. Elle devait se prononcer sur la dangerosité de l'homme une fois remis en liberté. La commission a rendu une décision mitoyenne : le danger de récidive persiste et Guy Turcotte ne peut recouvrer sa liberté, mais peut sortir de l'hôpital, d'abord  sous surveillance, puis sans surveillance, pour quelques heures. Il aurait été préférable de lui permettre les sorties sous surveillance seulement jusqu'à la prochaine évaluation de la Commission en décembre 2012. S'il fallait que l'homme commette un crime lors d'une exposition à une situation stressante! Il a souffert d'un trouble d'adaptation, a-t-on conclu, lorsqu'il a assassiné ses enfants. Si tel était le cas, quelle autre situation pourrait déclencher une réaction aussi violente? Les situations stressantes et irritantes, nous en vivons tous les jours : pris dans un embouteillage, bousculés dans le transport collectif, dépassés dans une file d'attente dans un magasin...  Comme la personnalité de l'ex-cardiologue demeure fragile, le Commission aurait dû s'assurer  - et rassurer la population - que Guy Turcotte affronte le stress de façon non violente avant d'élargir sa liberté de mouvement.

Jana Havrankova

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



LA PRIMAUTÉ DU DROIT



La cause de Guy Turcotte ne peut faire autrement que de susciter les passions. L'annonce du verdict rendu par les 12 jurés a été le sujet de mille et une conversations, commentaires et tribunes téléphoniques. La plupart du temps, ces commentaires dénotaient une profonde incompréhension de notre système judiciaire faits par des gens n'ayant aucune formation juridique et n'ayant pas assisté au procès. Fort heureusement, l'indépendance judiciaire protège les tribunaux de l'influence populaire ou politique et ils peuvent donc rendre leurs décisions en fonction du droit et non des humeurs de la population. Des erreurs de droit ont-elles mené à un mauvais verdict? L'impopularité d'un verdict n'équivaut pas nécessairement à un mauvais jugement. Ce n'est toutefois pas à moi d'en juger. La Cour d'appel et, peut-être éventuellement, la Cour suprême le feront. Il est particulièrement rassurant de savoir que les tribunaux ne font pas des sondages d'opinion publique avant de rendre leurs décisions et que la primauté du droit est leur seul guide.

Denis Boucher

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec.

COUPABLE D'IRRESPONSABILITÉ



Guy Turcotte a reconnu avoir tué ses deux enfants. Le tribunal a cependant jugé qu'il n'était pas responsable du meurtre en question. Même si le tueur est connu de tous, il ne sera pas puni parce qu'on a jugé qu'au moment de l'événement, il n'était pas responsable de ses actes. À partir de ce moment, le sort de l'irresponsable a été confié à la Commission d'examen des troubles mentaux, une commission dont le rôle est essentiellement d'évaluer le danger que représente Turcotte pour la société. Or, la Commission vient de décréter qu'il pouvait recouvrer, en partie, sa liberté. Comme beaucoup de Québécois, tout ça me laisse songeur. Deux enfants sont morts, mais personne n'est responsable. Le crime a bien eu lieu, mais ce n'est la faute de personne. Aujourd'hui, beaucoup de Québécois ont le sentiment que notre système de justice, basée sur la responsabilité, s'est départi de sa responsabilité de rendre justice pour la confier à l'appréciation de psychiatres. Des experts qui se contredisent sur la dangerosité d'un tueur irresponsable redevenu suffisamment responsable pour réintégrer la société. Pour les citoyens responsables, Guy Turcotte sera toujours coupable... à tout le moins coupable d'irresponsabilité.

Pierre Simard

Mélanie Dugré

Avocate.



PAS UN TRIBUNAL

La Commission d'examen des troubles mentaux a bien fait son travail, à l'intérieur du mandat qui lui était confié. Le rôle de cette commission n'est pas de se substituer à un tribunal en rendant une sentence judiciaire qu'aurait autrement prononcé un juge advenant un verdict de culpabilité. En attendant que la Cour d'appel détermine si le juge a commis une erreur justifiant qu'un nouveau procès soit ordonné, nous devons vivre, légalement et collectivement, avec le verdict de non-responsabilité criminelle qu'ont rendu les jurés qui ont examiné la totalité de la preuve et écouté l'intégralité des témoignages. Il est par ailleurs injuste de blâmer ces citoyens qui ont accompli un bien pénible devoir et qui doivent désormais vivre avec les images mentales des horreurs qu'ils ont vues et entendues. En dépit du malaise ambiant, je ne crois pas que nous devions pour autant douter de notre système de justice. Nous avons nous-mêmes choisi ce système où les droits fondamentaux, dont celui à une défense pleine et entière, occupent une place prépondérante. C'est très bien ainsi mais cela donne parfois des résultats incongrus auxquels nous sommes mal préparés puisqu'il est difficile d'admettre que la liberté des uns commence là où celle des autres s'arrête...

Mélanie Dugré