Un groupe de recherche affilié à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal propose de hausser considérablement les tarifs aux usagers des transports en commun pour améliorer la qualité et l'efficacité des services. Cependant, le directeur général de Transports 2000 Québec, Normand Parisien, rétorque qu'une augmentation marquée des tarifs entraînerait une chute de la fréquentation des transports collectifs. Qu'en dites-vous ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal et spécialiste en politiques énergétiques.



MODULER LES PRIX



La hausse des tarifs proposée n'est qu'une recommandation dans un tout qui appelle à changer aussi les incitatifs financiers auxquels font face les automobilistes : taxe sur l'essence plus élevée, péages urbains, taxe sur le stationnement, etc. Tous ces instruments, sous-utilisés à l'heure actuelle, font en sorte que les automobilistes ne font pas face aux coûts réels de leur usage de la route. Il est très important pour le transport en commun que les automobilistes soient enfin confrontés aux vrais coûts d'utilisation de leur voiture. Il y aura alors un équilibre plus juste dans les choix de tous, et plus de gens se tourneront vers des solutions de mobilité durable : transport actif et en commun. Par ailleurs, la hausse des tarifs proposée se conjugue avec une plus grande innovation tarifaire : moduler les prix du transport en commun selon la distance et la période d'usage. Cela serait très important pour permettre d'offrir un tarif plus bas à certains usagers (chômeurs, personnes âgées, etc.), qui ne fréquentent pas le transport en commun aux heures de pointe. Ceux qui utilisent le transport en commun aux heures de pointe (essentiellement des travailleurs) pourraient ainsi payer un prix plus élevé, reflétant mieux le service obtenu et rendant possible des améliorations. Les groupes sociaux moins favorisés, qui n'utilisent que rarement le transport en commun aux heures de pointe et sur des longues distances, verraient quant à eux le prix du transport en commun baisser - ce qui serait une bonne chose. 





Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal



NE NOUS TIRONS PAS DANS LE PIED !



La voie publique est limitée en capacité. Ainsi, dans les grands centres urbains comme Montréal, les utilisateurs des transports en commun libèrent de l'espace routier en délaissant la voiture. Argumenter sur la base du pourcentage de financement des transports par les usagers nous contraindrait à avoir la même argumentation par rapport à l'automobile. Est-ce les automobilistes qui financent principalement les routes, les autoroutes, etc. ? Qui plus est, la place que nous faisons collectivement à l'automobile est un coût de renonciation collectif au profit d'un bien-être individuel. Le transport en commun est moins confortable que la voiture, les usagers se privent de ce confort, ce qui libère du confort aux automobilistes. À Montréal, nous voulons réduire la circulation, réduire la pollution, augmenter la place des vélos et améliorer la santé physique des citoyens. Le transport en commun contribue à tous ces objectifs. Augmenter dramatiquement les tarifs de transports en commun, c'est automatiquement jouer sur le ratio valeur d'utilité du transport par rapport au prix. Personnellement, je trouve qu'une tarification des ponts et des entrées à Montréal serait une façon plus logique de financer le transport en commun, quitte à redistribuer les revenus tirés de cette contribution additionnelle entre le budget de transports en commun et celui des infrastructures routières. Le citoyen fait de l'arbitrage entre le coût de la banlieue et l'automobile et le coût du transport en commun et l'habitation à Montréal. Ne lui donnons pas une occasion de plus de faire un choix réducteur en haussant de façon trop abrupte le coût d'un déplacement collectif. La demande envers le transport en commun est relativement élastique lorsque la tarification augmente, car il y a un service de remplacement (l'automobile).  En analyse stratégique, on dit qu'il doit y avoir un «fit» entre nos objectifs et nos actions. Serons-nous stratégiques et visionnaires ?

Paul Daniel Muller

Économiste



UNE HAUSSE JUSTIFIÉE



Pour le Grand Montréal dans son ensemble, les usagers assumaient en 2010 moins du tiers du coût du transport en commun (TC) selon les données de la CMM. Le reste de la facture était assumé par les contribuables municipaux (taxes foncières), provinciaux et fédéraux, ainsi que par les automobilistes (taxes sur l'essence, sur le carbone, sur l'immatriculation et sur le stationnement). La part des usagers dans le financement total a diminué d'environ trois points en neuf ans. Pourtant, les usagers sont les premiers bénéficiaires du TC. Les non-usagers, toutes catégories confondues, bénéficient aussi du TC (réduction de la congestion, hausse de la valeur des propriétés desservies par le TC), mais bien moins que les usagers. Les tarifs devraient augmenter substantiellement afin que la répartition du financement corresponde davantage à la répartition du bénéfice total.

L'impact d'une hausse des tarifs sur la fréquentation dépendra du coût des modes de transport substituts. Pour les usagers qui demeurent assez près de leur travail ou établissement d'enseignement pour s'y rendre en à pied ou en vélo, ce coût du substitut est pratiquement nul. Une migration de certains usagers vers le transport actif pourrait être souhaitable. Pour les navetteurs qui demeurent en banlieue, une hausse n'aura pas d'impact sur la fréquentation tant que le prix du TC restera inférieur à celui d'une automobile (y compris le covoiturage). Même en rehaussant substantiellement les tarifs, ce serait encore le cas. À plus long terme, une hausse importante des tarifs pourrait inciter certains ménages dont les membres travaillent ou étudient en ville à s'établir dans l'île plutôt que dans les couronnes. Une telle hausse représente donc un moyen de contrer l'étalement urbain.



Paul-Daniel Muller

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal



UNE QUESTION D'ÉQUITÉ



Sans pour autant appuyer globalement la position de mon collègue sur l'augmentation des tarifs de transports en commun, qui effectivement pourrait avoir des effets pervers sur l'achalandage général, force est de constater qu'elle soulève une question fondamentale en matière de tarification des services de transport, à savoir : l'équité. Autant en ce qui a trait aux enjeux de transport et d'environnement qu'il dissocie à raison d'ailleurs, le financement doit être équitable et tenir compte des services non pas utilisés (utilisateur payeur), mais potentiellement utilisables. L'iniquité vient entre autres du fait qu'on veut faire supporter par l'ensemble des banlieusards une grande part des coûts du transport en commun qu'on planifie vers la ville-centre (tramway, train de banlieue, etc.,) alors qu'à peine 10% des navetteurs vers le centre-ville proviennent des couronnes Nord et Sud. Iniquité également pour ceux qui habitent et travaillent en banlieue qui n'ont aucune alternative que l'automobile, contrairement aux Montréalais qui, pourtant très bien desservis, continuent de prendre leur automobile pour aller travailler à plus de 50 %. Autrefois enjeu de mobilité, le TC est devenu un enjeu environnemental dont les objectifs ne sont plus d'améliorer la mobilité des moins nantis, mais plutôt de favoriser à coût de milliards le transfert modal des mieux nantis vers le TC. Est-ce aux plus démunis de payer pour cela ? C'est aussi une question que mon collègue soulève.

Daniel Gill

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec



L'ÉLASTICITÉ DES PRIX



La plupart du temps, une augmentation des tarifs influence la décision de consommation d'un individu. En économique, la mesure du changement observé dans la consommation à la suite d'une modification du prix s'appelle l'élasticité-prix. Si vous êtes un usager captif des transports en commun, il est probable qu'une hausse de tarif ne changera pas vos habitudes de transport, du moins à court terme. Par contre, si vous possédez déjà une voiture et que votre utilisation des transports en commun est un choix discrétionnaire, une hausse substantielle des tarifs pourrait vous inciter à revoir vos modes de déplacement. Les planificateurs urbains ont trop souvent tendance à supposer que la consommation des transports en commun est inélastique au prix, qu'il suffit de décréter une augmentation des tarifs pour remplir les coffres de la société des transports. Des études scientifiques montrent que si ça peut être le cas à court terme, à moyen terme, il pourrait en résulter une baisse de fréquentation et une perte de revenus. Cela dit, il n'y a pas de mal à tarifer équitablement les divers modes de transport et à laisser le consommateur choisir celui qui lui convient le mieux. Bien au contraire!

Pierre Simard

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



POUR UN SERVICE AMÉLIORÉ



Nul doute que le transport en commun est une épine dorsale de la région métropolitaine. Son réseau est toutefois vieillissant et des investissements sont requis pour le moderniser et l'améliorer. La question à savoir qui paierait pour ces déboursés est cependant délicate. Comme on le voit avec le conflit étudiant, ce n'est pas toujours évident de faire accepter une hausse de tarifs à ceux qui bénéficient d'un service. Nous sommes des champions pour refiler la facture aux autres et ces autres sont souvent les mêmes qui paient la majorité des impôts; à savoir la classe moyenne. On peut déjà entendre les pourfendeurs d'automobilistes et les ayatollahs de la rectitude intellectuelle monter aux barricades et demander la gratuité des transports en commun si jamais on devait suggérer une hausse marquée du coût des transports en commun. Loin de croire qu'une hausse se traduirait par une baisse de fréquentation, je suis plutôt d'avis que les usagers seraient plus nombreux si une augmentation des coûts se traduisait par une véritable amélioration des services. De l'air climatisé à bord des véhicules, moins de pannes, plus de fréquences et la construction d'une nouvelle ligne de métro sont autant d'améliorations qui génèreraient certainement un accroissement notable de la fréquentation des transports en commun. Si plusieurs ne se servent pas des transports en commun, ce n'est pas par choix mais bien parce que les services ne répondent pas à leurs besoins. Autre piste, il faudrait aussi favoriser l'arrêt de l'étalement urbain en revitalisant des quartiers à deux pas du centre-ville qui bénéficient déjà de toutes les infrastructures et ne nécessiteraient pas autant d'investissement du public.

Denis Boucher

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée



FAVORISER LA COMPÉTITION



L'organisation des réseaux de transport et son financement devraient demeurer sous la responsabilité d'organismes publics. Par contre, l'exploitation du réseau devrait être confiée à des opérateurs privés ou publics devant rivaliser dans une procédure d'appel d'offres pour fournir les services de transport sur un territoire donné. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une privatisation car ce modèle de gestion déléguée implique que l'autorité publique continue de jouer un rôle important. Les usagers bénéficieraient d'une telle mise en concurrence puisque pour obtenir et conserver les contrats de transport, les opérateurs seraient incités à améliorer la qualité des services offerts au public. Les autorités publiques seraient aussi gagnantes puisqu'elles pourraient choisir l'opérateur offrant le meilleur rapport qualité/prix tout en concentrant leurs efforts sur l'amélioration du service, de l'achalandage et des revenus. Quant au financement, il est toujours préférable de tarifier le service au prix qui s'approche le plus de la valeur marchande, quitte à subventionner directement les usagers qui n'en en pas les moyens par des crédits d'impôts remboursables. Mais il y a fort à parier que les améliorations d'efficacité générées par l'appel d'offres permettraient des épargnes substantielles et une plus grande participation du client au vrai coût du service sans lui demander une importante augmentation du prix.



Adrien Pouliot

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



UN SERVICE «PREMIÈRE CLASSE»



J'appuie en principe la proposition d'augmenter les tarifs du transport en commun pour mieux refléter les coûts, suivant le principe de l'utilisateur-payeur. Comme pour les droits de scolarité, on a souvent tendance à vouloir faire assumer la facture des services qu'on utilise par les autres. D'accord pour faire payer les automobilistes afin de financer les infrastructures routières et de compenser la pollution qu'ils causent, mais ils n'ont pas la responsabilité additionnelle de subventionner les déplacements de tout le monde. En excluant le cas des citoyens moins nantis - qui devront être aidés par des mesures ciblées selon leur revenu - si les usagers du transport en commun ne sont pas prêts à payer ce qu'il en coûte pour le financer, c'est probablement parce que l'efficacité du réseau et la qualité du service sont insuffisantes. Je suggère également d'évaluer la possibilité de créer une « première classe » dans certains modes de transport collectif (pour le train de banlieue par exemple) comme on le voit en Europe afin d'attirer les gens d'affaires qui se préoccupent davantage de la commodité et du confort que des tarifs. En facturant à ces usagers un tarif plus élevé, les sociétés de transport pourraient effectuer une certaine forme de redistribution en utilisant les « profits » ainsi générés afin de réduire d'autant les tarifs des usagers de la « classe régulière ».

Michel Kelly-Gagnon

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne



PANNE D'IDÉES

Le groupe de recherche affilié à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal serait-il en panne d'idées ? Pourquoi vouloir pénaliser ceux qui ont le bon sens d'utiliser les transports en commun ? Ne serait-il pas plus logique de faire payer ceux qui contribuent à polluer l'environnement, à détruire les infrastructures et à produire du bruit ? M. Parisien a raison : une nouvelle hausse des tarifs est un appel au boycottage ! D'autres alternatives doivent être envisagées : éradication des pratiques mafieuses dans l'octroi des contrats de construction et d'entretien des routes, contraventions aux chauffeurs qui laissent leur moteur inutilement allumé, postes de péage sur les autoroutes, taxes sur le carbone, sur les véhicules récréatifs, etc. Si les fumeurs ont pu offrir un stade olympique (qui ne sert pas à grand-chose) aux citoyens, les pollueurs peuvent aider à financer le prolongement de lignes de métros et de pistes cyclables, l'ajout d'autobus et de trains dont un TGV traversant le Québec pour se rendre jusqu'à New York!

Caroline Moreno

Léo Bureau-Blouin

Président de la FECQ



PRÉSERVER L'ACCESSIBILITÉ



Tous s'entendent pour dire qu'il faut améliorer le financement du système de transport en commun dans la grande région de Montréal. Or, une augmentation dramatique des tarifs n'est pas la solution. Une augmentation de 60% comme le propose un groupe de chercheurs aurait des impacts importants sur l'accessibilité au transport et commun et surtout, enlèverait un des principaux avantages concurrentiels du transport collectif : son bas prix. La taxe sur l'essence constitue une avenue beaucoup plus intéressante pour assurer le financement du transport en commun puisqu'elle pénalise les moyens de déplacement polluant au profit du transport collectif.

PHOTO: MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Léo Bureau-Blouin