Une enquête menée par des chercheurs de l'hôpital Sainte-Justine auprès de 2120 enfants québécois révèle que les scènes de violence qu'ils ont vues à la télévision ont un impact néfaste sur leur humeur, leur comportement et leurs résultats scolaires. À votre avis, que faut-il faire pour protéger nos enfants contre ces effets néfastes? Faut-il interdire les scènes violentes à la télévision? La responsabilité de protéger les enfants revient-elle à l'État ou aux parents? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.

CE N'EST PAS LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT

La responsabilité d'élever ses enfants ne revient pas à l'État. Il faut que la société arrête de constamment se tourner vers l'État pour prendre charge de ses responsabilités. L'État ne peut légiférer sur la bêtise des parents qui laissent leurs enfants regarder n'importe quoi à la télévision. Ce n'est pas avec des lois qu'on donne du gros bon sens. Il semble assez évident que des enfants ne devraient pas être exposés à la violence à la télé et que même avec les ados, les parents devraient continuer à exercer une certaine forme de surveillance. Ce n'est quand même pas très compliqué que de comprendre que des enfants, dont les valeurs, le caractère et la structure de pensée sont en pleine formation, risquent de subir les effets néfastes du martelage de scènes violentes que l'on peut voir à la télévision. Plutôt que de se tourner vers les autres, les parents doivent commencer par prendre leurs responsabilités qui incluent, entre autres, de ne pas permettre à leurs enfants de voir des émissions qui ne s'adressent pas à un public aussi jeune. Au passage, on pourrait aussi leur apprendre le respect, la politesse et les bonnes manières. À moins, bien sûr, que l'on demande aussi à l'État de passer une loi sur la façon de tenir sa fourchette et son couteau.

Denis Boucher

Mélanie Dugré

Avocate.

PROTECTION PARENTALE REQUISE

Il existe une panoplie d'éléments extérieurs susceptibles de compromettre le bien-être de nos enfants, mais dont le contrôle, malheureusement, nous échappe. Je suis donc sidérée devant notre abdication parentale face à des événements qui se déroulent sous nos toits et dont nous pouvons avoir la pleine maîtrise. Nous jouissons du plein pouvoir décisionnel sur les permissions accordées à notre progéniture entre les quatre murs de nos maisons et nous devons nous rappeler que si la télévision est par moment une gardienne bien utile, ses compétences laissent parfois à désirer. Je crois que nous avons une responsabilité sociale et collective à l'égard des images auxquelles nous exposons les enfants et qu'en ce sens, il est pertinent d'instaurer des règles visant à encadrer et limiter la diffusion de productions à caractère violent. Si ces lois sont déjà en place, il persiste un certain laxisme dans leur application qu'il serait utile de corriger. Mais en définitive, la responsabilité est d'abord et surtout parentale et il nous appartient de circonscrire, limiter et interdire l'accès aux images et manifestations de violence. Nous avons un devoir de protection fondamental envers nos enfants qu'il convient d'assumer avec jugement, discernement et conviction.

Mélanie Dugré

Nestor Turcotte

Philosophe.

LA VIOLENCE SOUS TOUTES SES COUTURES

La violence est un viol. Les deux mots ont la même étymologie. La violence est un abus de la force. Elle agit sur quelqu'un contre sa volonté. Elle met devant lui un geste, une action, qui dépasse souvent sa capacité de compréhension, sa possibilité d'absorption. L'enfant (in-fans : celui qui ne sait pas nommer) est malheureusement confronté à la violence que les adultes cultivent, entretiennent entre eux. Ils la font ou ils l'inventent pour la vendre au petit écran. Que faire pour protéger le plus faible d'entre nous, à savoir l'enfant? Les parents peuvent jouer un rôle de premier plan. Je connais certains jeunes foyers qui interdisent l'écoute de la télévision à leurs jeunes enfants, à certaines heures de la semaine. C'est un pas dans la bonne direction. L'État devrait aussi interdire certaines scènes de violence présentées à la télé. Mais comment classer ce qui peut être vu et ce qui doit être vu à un âge plus avancé, ce qui devrait être vu par les adultes, et ce qui ne devrait jamais être vu à la télé? Certains vont crier à la censure au nom de la sacro-sainte liberté d'expression... Je souhaite que la télé cesse de présenter les côtés absurdes, violents, mensongers du monde. Mais je rêve. La violence, qui utilise tous les canaux disponibles, envahit notre univers. Une attitude pacifique, une paix intérieure volontairement entretenue pourrait sans doute faire plus que toutes les lois qui ne seront jamais appliquées parce qu'elles seraient tout simplement inapplicables.

Nestor Turcotte

Francine Laplante

Femme d'affaires et mère de cinq enfants.

L'AFFAIRES DES PARENTS ET DE LA SOCIÉTÉ

Tout le monde sait qu'il faut tout un village pour éduquer des enfants, mais on a un peu oublié qu'il faut toute une société pour les protéger aussi. La télévision n'est qu'un élément parmi tant d'autres qui ont un impact néfaste sur nos enfants : jeux vidéo, internet, paroles de chansons, violence dans les sports... Nos enfants sont exposés presque 24 heures sur 24 à une ou à plusieurs formes de violence. Comment peut-on remédier à cette situation? Chose certaine, il est utopique de croire que nous puissions les protéger à 100 %! Parce que, pour y arriver, il faudrait les mettre dans des cages de verre ou les expédier sur une ile déserte et les reprendre à l'âge de 18 ans, et encore... Faut-il rappeler que l'éducation des enfants commence par nous les parents? Quel est le niveau de langage avec lequel nous nous adressons à nos enfants? Sommes-nous nous-mêmes violents dans notre quotidien, au volant, à la caisse de l'épicerie, en racontant nos journées au bureau? Sommes-nous suffisamment sévères dans nos règles de vie à la maison? Sommes-nous les premiers à encourager cette violence dans le quotidien en étant hors de nous pour tout et pour rien? Protéger nos enfants contre la violence, c'est une question d'éducation au jour le jour et il revient aux adultes de donner l'exemple. Mais aussi longtemps qu'il y aura plus de 22 000 personnes debout au Centre Bell pour applaudir une bataille entre deux athlètes, on pourra être assurés qu'on a encore beaucoup de travail à faire.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.

L'OFFRE ET LA DEMANDE

Je considère que l'État légifère déjà beaucoup et s'ingère trop souvent dans notre vie privée. Je dis oui à des organismes, comme CRTC, qui surveille et contrôle le contenu des émissions diffusées à la télé. Mais encore faut-il un minimum d'encadrement de la part des parents. En cette ère de communications, il est de plus en plus difficile de surveiller ce que nos enfants regardent, et ce, non seulement dans les médias traditionnels, mais aussi sur l'internet. Il faut aussi préciser que les diffuseurs sont plus enclins qu'ils ne l'étaient lorsque j'étais jeune téléspectateur à présenter des films contenant un degré de violence de plus en plus élevé. Malheureusement, c'est la loi de l'offre et la demande et les cotes d'écoute l'emportent souvent sur le gros bon sens.

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.

LA TÉLÉ N'EST PAS LA RÉALITÉ

La meilleure façon de protéger les jeunes des violences télévisuelles, est de limiter les heures d'écoute. Cette tâche incombe aux parents lesquels doivent s'assurer que le contenu des émissions visionnées correspond à l'âge des enfants. On doit s'attendre à ce que les parents initient leurs enfants à d'autres passe-temps, tel le sport, la lecture, le bricolage, la musique, les visites éducatives. Puisque les petits ont tendance à reproduire les comportements qu'ils observent, il revient aux parents de montrer l'exemple. Ils doivent aussi contrôler le temps passé devant les écrans d'ordinateur où circulent des images à peine supportables. Collectivement, il nous faut intéresser les jeunes à la vie ; la nature, les animaux, les gens, les arts, pour ne pas qu'ils passent à côté.

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.

POUR EN FINIR AVEC LES INTERDITS...

Je ne crois pas que c'est en censurant les émissions de télé ou en interdisant toutes formes de violence à la télé qu'on mettra à l'abri nos enfants. La violence, on la retrouve partout : à la maison, à l'école, sur la rue et dans nos rassemblements communautaires. De plus, ce n'est pas à l'état de légiférer pour protéger les enfants; c'est aux parents qu'incombe la responsabilité d'éduquer et de responsabiliser leurs enfants. C'est évident que l'école et la société doivent appuyer les parents dans cette démarche du mieux vivre ensemble. Et tout devient possible lorsque nos valeurs sociales et communautaires se fondent sur le respect de l'autre, la tolérance et l'acceptation de nos différences. L'éducation, ça commence très jeune. Combien de parents ont abdiqué sous prétexte qu'ils n'ont pas le temps ou qu'ils ne veulent pas prendre le temps d'éduquer leurs enfants. À vouloir tout légiférer, on infantilise les gens et on déresponsabilise les parents. Ce n'est pas normal de voir de jeunes enfants traîner dans les rues à 10h00 le soir, comme ce n'est pas sain pour eux de regarder la télé à n'importe quelle heure du soir, sans surveillance des parents. Le gros bon sens exige un minimum de discipline et un maximum de temps à consacrer à nos enfants qui seront, demain, ceux qui présideront aux destinées de nos sociétés.

Raymond Gravel

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique.

LE PERMIS DE PARENT

À en croire les spécialistes, nos enfants sont des monstres élevés par des parents incompétents. Après la malbouffe, le manque de sommeil, l'abus des jeux vidéo, voilà que ce sont les émissions de télévision qui seraient responsables de l'agressivité, des comportements antisociaux et du décrochage scolaire de nos enfants. Décidément, le jour n'est pas loin où le gouvernement devra exiger des couples qui veulent avoir des enfants un permis certifiant leurs compétences parentales. Eh oui, un permis de parent! Un permis octroyé par des fonctionnaires, sous l'autorité de politiciens, garantissant que chaque couple désireux d'enfanter a acquis les connaissances et dispose de l'expertise pour élever des enfants. Ainsi, nos jeunes seront responsables et vieux dès la naissance : les élèves indisciplinés serreront les rangs, les décrocheurs raccrocheront, les jeunes obèses maigriront, et la violence disparaîtra. Qui ne rêve pas d'une société de chiffes molles vivant sous la crainte et le contrôle de l'État? Et si jamais un esprit libre s'écartait du droit chemin? On pourra toujours accuser l'incompétence de l'État. Ce jour-là, la table de concertation de la sécurité des enfants se réunira pour proposer un resserrement des règles d'attribution du permis de parent. Pour notre bien à tous, évidemment!

Pierre Simard