Dans son budget, le ministre Jim Flaherty a annoncé des compressions de 5,4 milliards $ et la suppression de 19 200 postes dans la fonction publique fédérale. La situation économique et financière du Canada justifie-t-elle ces coupes ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



INSUFFISANTES



Le Canada bénéficie de taux d'intérêt sur la dette canadienne qui sont à des niveaux historiquement très bas.  Les projections de 2011 vs 2010 montrent des rentrées fiscales en baisse de 11 milliards $, mais les cibles de déficit seront quand même atteintes, non pas à cause d'un contrôle serré des dépenses mais plutôt parce que les charges d'intérêt pour cette année sont de 30,8 G$ au lieu du 39 G$ prévu l'an dernier. Ottawa aura 27 G$ de moins à payer en intérêts sur la dette nationale de 600 G$ au cours des prochaines années par rapport à ce qui avait été prévu.  Les « coupures » de 5,2 G$ et la baisse de 19 000 fonctionnaires (après en avoir embauché 32 200) sont donc non seulement nécessaires pour se protéger d'une inévitable augmentation des taux d'intérêt, mais elles sont décevantes pour un gouvernement qui, désormais majoritaire, devait réduire le rôle de l'État.  Ce qu'on voit, au contraire, c'est une culture d'épargner à gauche pour donner à droite, un peu comme le propose la CAQ au Québec : on compte facilement 2 G$ de nouveaux bonbons aux entreprises dans le budget, dont 760 m$ en subventions pour la « création » d'emplois et la R&D et 400 m$ en capital de risque.  C'est ça, un gouvernement conservateur majoritaire?

Adrien Pouliot

Antonin-Xavier Fournier

Professeur de science politique au cégep de Sherbrooke.



LE PRIX DE LA DÉMOCRATIE



Le gouvernement conservateur de Stephen Harper est dans une situation avantageuse en comparaison de plusieurs pays occidentaux. La dette et le déficit sont bien contrôlés, la croissance, même si elle demeure modeste, permet au gouvernement d'accroître les revenus de l'État et la valeur des ressources naturelles a permis au Canada de traverser la grave crise économique de 2008 sans trop de turbulence. Dans un tel contexte, il est tout à fait légitime de s'interroger sur la pertinence des compressions dans l'appareil de l'État. Cette interrogation est d'autant plus légitime que, selon toute vraisemblance, le gouvernement fédéral sera en situation de surplus budgétaire en 2014-2015, soit deux ans plus tôt que prévu. Mais pour Stephen Harper la question n'est pas de savoir si le gouvernement a les moyens financiers pour soutenir l'appareil de l'État. Au contraire, le gouvernement, fidèle au conservatisme économique, croit que l'État doit jouer un rôle minimal dans l'économie et la société et qu'en conséquence, le rôle du gouvernement est de freiner un État jugé trop lourd. Après six ans de gouvernement minoritaire, il est difficile de reprocher aux conservateurs d'appliquer un programme pour lequel ils ont été élus il y a à peine quelques mois, même si l'on est en désaccord avec de telles politiques.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



COUPER, OUI, MAIS PAS N'IMPORTE OÙ ?



Si le Canada et le Québec ont réussi à passer au travers de la dernière crise économique relativement indemnes, c'est que leurs finances publiques et leur système financier étaient en bon ordre. Cela avait exigé des sacrifices au cours des années précédentes: on pense notamment aux coupures du  gouvernement Bouchard pour atteindre le déficit zéro. Mais ces sacrifices en valaient la peine. C'est la même chose qui se reproduit présentement: il faut profiter de la conjoncture pour revenir à une situation prudente qui nous permettrait de faire face à une nouvelle détérioration de l'état de l'économie. Car la prudence s'impose. Il est loin d'être certain que la prospérité sera bientôt de retour. Au contraire, il y a plusieurs signes préoccupants non seulement en Europe mais également aux États-Unis et même en Chine. Vaut mieux être prêt que d'être pris au dépourvu. Et cela exige nécessairement un certain nombre de coupures dans les dépenses. Mais où faire ces coupures? Couper dans la culture? dans le budget de la défense? dans la fonction publique? Où, comment et combien? C'est là que doit se faire le débat.


Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



COUP DE PLUMEAU SUR LES EXCÈS



La question n'est pas tant de savoir si la situation économique et financière actuelle du Canada justifie ces coupes, bien que j'estime par ailleurs que ce soit le cas. Mais en fait, peu importe la conjoncture, il faut plutôt se demander si l'État est devenu trop gourmand et s'il souffre d'embonpoint. Il n'est pas nécessaire d'attendre d'être au bord du gouffre pour renverser la vapeur! Or, les compressions de dépenses publiques fédérales et les réductions du nombre de postes dans la fonction publique qui ont été annoncées font suite à des hausses considérables depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement Harper. Les dépenses de programmes totales sont passées de 188 milliards de dollars en 2006-2007 à 242 milliards de dollars en 2011-2012. Les coupes annoncées, parce qu'elles s'appliquent à moins du tiers du budget, ne feront que ralentir la croissance des dépenses totales du gouvernement fédéral. Même si la croissance économique anticipée est au rendez-vous, il faudra attendre 2015 pour retrouver le niveau de dépenses d'avant la récession en proportion du PIB - sept ans après la crise! Quant au nombre de fonctionnaires, il a augmenté de 32 400 de 2006 à 2011. Cette hausse de 13% équivaut au double de la croissance de la population ou du PIB réel. Ce budget d'« austérité » ne fait donc que passer un coup de plumeau sur les excès des dernières années. On est loin de la hache. Cela étant dit, le gouvernement Harper a au moins le mérite d'adopter une direction claire vers l'équilibre budgétaire sans hausses d'impôts.

Archives

Michel Kelly-Gagnon

Mélanie Dugré

Avocate.



LA CIGALE ET LA FOURMI



La santé financière du Canada est loin d'être précaire; il est donc légitime de se demander si l'imposition de ce régime minceur est appropriée. Pourtant, j'estime que c'est une décision juste qui emboîte le pas aux travailleurs d'entreprises privées qui se serrent la ceinture depuis quelques années déjà en acceptant des coupures de poste, des gels de salaires et des modifications à leur régime de retraite. Évidemment, la disparition de tous ces emplois n'est pas sans danger et à trop vouloir couper dans le gras, on risque de s'attaquer à la chair. La prudence s'impose donc dans le maniement du couperet. Il est toutefois fort tentant de se croire plus riche qu'on ne l'est en réalité, de profiter de la vie au-delà de la marge de crédit, de se faire plaisir en se convaincant qu'aujourd'hui ne repassera pas et de célébrer le carpe diem. Mais au lendemain d'avoir chanté tout l'été, on se retrouve les poches vides et l'avenir inquiet. Le gouvernement fédéral, à l'instar de la fourmi, a préféré user de sagesse en choisissant la voie de l'épargne, de l'effort et du sacrifice, valeurs fort impopulaires de nos jours. Sans être un budget parfait, je crois qu'il s'agit là d'un budget courageux.

Mélanie Dugré

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP.



DES COUPES MODESTES



Vous pouvez attendre avant d'accumuler des provisions dans votre sous-sol... la catastrophe annoncée n'aura pas lieu. Les dénonciateurs du « Harpeurisme» de droite idéologique et sans compassion, jetant femme et enfant à la rue, auront eu tout faux. Il y a peu de chance que ce budget Flaherty ne vous mette sur la paille, ou même que vous en ressentiez les effets à court et moyen terme. Outre quelques réformes intéressantes qui annoncent un désengagement graduel de l'État, les coupes prévues au budget sont relativement modestes. Alors que les transferts aux particuliers et aux provinces demeurent inchangés, ce sont seulement les dépenses discrétionnaires du gouvernement (75 milliards $ sur 268 milliards $ en dépenses de programmes) qui ont subi une baisse de 6,9 % sur trois ans. C'est vrai que l'annonce d'une suppression de 19 200 postes peut sembler énorme, mais il faut savoir relativiser les choses. Elles n'annuleront même pas les 32 000 postes créés par ce même gouvernement depuis 2006. D'autant plus qu'une grande partie de ces suppressions se fera par attrition. Évidemment, on entendra beaucoup parler de la coupe de 10 % au budget de Radio-Canada. Toutefois, rappelez-vous que les employés de cette société d'État ont le privilège de faire paraître leurs problèmes plus grands qu'ils ne le sont en réalité.

Pierre Simard

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



ET VIVE LA DÉMOCRATIE



Lors de la dernière campagne électorale le ministre Flaherty nous annonçait des coupes de 4 milliards. Son récent budget projette d'amputer 5,2 milliards. Il m'est difficile de comprendre comment le gouvernement Harper pourra à la fois supprimer 19 200 postes dans la fonction publique et maintenir les mêmes services à la population. Imaginez,  même les services d'inspection des aliments seront touchés par ces coupes. Près de 7000 des 19 200 postes seront abolis par attrition. Autrement dit, dès qu'un poste devient vacant pour cause de retraite ou de démission, ce fonctionnaire ne sera pas remplacé. Cette mesure pourrait nous porter à croire qu'il y a un trop grand nombre de fonctionnaires fédéraux. Mais qu'en est-il du nombre effarent de cadres? Subiront-ils eux aussi les assauts du ministre Flaherty?  Les mesures d'austérité annoncées par Jim Flaherty sont-elles justifiées par notre situation économique? Comme le plupart des Canadiens, je m'en remets aux experts financiers afin de m'éclairer sur cette question. Le problème, c'est que même eux ne s'entendent pas et certains croient que ces coupes pouvaient être plus espacées dans le temps. La retraite qui est repoussée à 67 ans me fait craindre le pire pour les Canadiens à faible revenu. Ces personnes se verront contraintes de quémender à leur province respective un chèque d'assistance sociale pour combler le manque à gagner de deux ans introduit par ce budget. Parions que les provinces aux prises, comme le Québec avec des dettes colossales seront tenter d'imiter le fédéral en reléguant aux oubliettes la retraite à 65 ans. Somme toute, ce budget en est un qui nous démontre qu'un gouvernement conservateur majoritaire dirigé par Stephen Harper n'en est pas un qui s'inquiète du sort des contribuables de la classe moyenne, de l'environnement et des services de qualité à la population. Les élus fédéraux seront-ils touchés par ces coupes? Pas vraiment en fait, car leur généreux régime de retraite financé en grande partie par vous et moi est bien garni et ne s'appliquera pas qu'a 67 ans. Et vive la démocratie!

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



CE N'EST PAS UNE TARE



Plusieurs commentaires au sujet du budget Flaherty mentionnent que c'est le premier budget vraiment conservateur depuis que ce parti est au pouvoir. Mais est-ce nécessairement une tare? La réalité est que nous avons des dettes à rembourser et que le déficit du gouvernement doit être contrôlé. Or, les options pour réduire le déficit ne sont pas très nombreuses. La croissance économique ne permettant pas d'obtenir une hausse suffisante des revenus de l'État, il ne reste comme option que de réduire les dépenses ou augmenter les impôts et autres frais. La dernière option est plutôt néo-démocrate tandis que la première est davantage préconisée par les conservateurs et, j'ose le dire, celle que Paul Martin ne détestait pas non plus. La rhétorique Robin des bois des néo-démocrates, consistant à taxer les riches pour donner aux pauvres, ne tient pas la route. En 2007, 20% des Québécois payaient 70% des impôts dans la province et la situation n'est guère différente ailleurs au pays. Il devient donc utopique de penser que l'on peut presser le citron davantage de ce côté. Donc il faut couper. Mais là commence un autre débat. Le ministre Flaherty a visé là où il croit que les coupes se feront le moins sentir pour la population. Ce n'est pas de gaieté de coeur qu'un médecin coupe une jambe pour éviter la gangrène à un patient. Il en va certainement de même pour un ministre des finances qui doit couper plutôt que de distribuer les dollars. N'oublions jamais que, de toute façon, il s'agit de notre argent. Celui que nous avons gagné et que nous redonnons au gouvernement. Autant mieux que cet argent soit dépensé judicieusement et de façon responsable.

Denis Boucher

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



LA VRAIE RAISON



Le gouvernement pouvait revenir à l'équilibre budgétaire sans ces compressions; il lui suffisait d'attendre une ou deux années de plus.  Le gouvernement a un déficit budgétaire pour deux raisons.  La première raison est la faiblesse de l'économie; on a fait face  une crise financière et à une récession qui l'a suivie. La seconde raison est que le gouvernement a donné des baisses d'impôts et de taxes trop importantes parce qu'il avait des attentes trop élevées sur la croissance économique et parce qu'il désirait réduire la taille du gouvernement. Le gouvernement a lui même créé un déficit structurel. Une partie non négligeable des coupures est donc liée à cet objectif de réduction de la taille du gouvernement. Si les coupures impliquent des gains d'efficience (produire les mêmes services à un coût moindre), les contribuables pourraient tirer un avantage de celles-ci.  Par contre, si ces coupures impliquent des réductions de services qui sont valorisés par les contribuables, ces derniers pourraient subir perte de bien-être.  Ça prendra un certain temps avant de voir quel sera l'effet net de ces compressions.

Jean-Pierre Aubry