Médecin endocrinologue.

La multiplication des pénuries de médicaments vous inquiète-t-elle? Craignez-vous que le Québec devienne un «tiers-monde» du médicament, comme le suggère le pharmacien Bertrand Bolduc? Y a-t-il une solution pour remédier à ce problème criant? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



POURQUOI PAS PHARMA-QUÉBEC?



Les ruptures de stock de médicaments génériques se sont multipliées depuis quelques années. Les pharmaciens, médecins et patients entrent en mode panique pour trouver des substituts, qui à leur tour deviennent rares. La plus récente rupture de stock des médicaments injectables fabriqués par Sandoz Canada à Boucherville nous rappelle notre dépendance aux compagnies étrangères en approvisionnement de ces produits essentiels. Les multinationales, incluant Novartis, dont Sandoz est une filiale, diminuent graduellement leur présence en Amérique du Nord en augmentant leur production de médicaments en Asie, où se trouve une main-d'oeuvre bon marché. N'attendons pas d'être obligés à importer nos médicaments de ces pays! Pourquoi ne pas créer une société d'État, à l'image d'Hydro-Québec, pour la production et la distribution des médicaments génériques? Nul besoin d'adhérer au Québec solidaire, pour qui Pharma-Québec constitue une promesse électorale, pour comprendre l'opportunité, même la nécessité, d'une telle société. Il ne s'agit pas de nationaliser quoi que ce soit, ni même vouloir se substituer aux compagnies de médicaments novateurs qui développent - à grands frais - de nouveaux produits pharmaceutiques. Il s'agit de s'offrir une industrie indépendante, pouvant produire les médicaments génériques et en contrôler la qualité, la pertinence et le prix.

Jana Havrankova

Jean Gouin

L'auteur est directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



LE DEVOIR DE RASSURER



Les pénuries ne sont pas toutes inquiétantes. Mais, quand il s'agit de sa santé, une pénurie de médicaments devient très inquiétante. La maladie nous rend vulnérables à bien des égards et, lorsque nous sommes atteints de maladies graves comme le cancer, nous devenons dépendants de notre entourage, des professionnels de la santé et surtout, des moyens thérapeutiques dont nous disposons comme société. Et les médicaments sont partie intégrante de ces moyens. Je ne suis pas d'accord avec M. Bertrand Bolduc qui suggère que le Québec pourrait devenir un « tiers-monde » du médicament. Le pharmacien Bolduc verse un peu trop dans la soupe démagogique avec de tels propos. C'est clair que la situation de pénurie de certains médicaments ne peut durer et le gouvernement devra rassurer la population et trouver des solutions pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. Comme société, nous sommes à la merci d'un système qui cherche plus souvent qu'autrement le plus bas prix possible et qui crée, de facto, une forme de monopole en adaptant un tel comportement. Il est compréhensible que le Québec se dote d'une politique d'achat de groupe, cherchant ainsi le meilleur des prix. Par ailleurs, le gouvernement a également le devoir de s'assurer que la politique qu'il met de l'avant lui évitera l'écueil de la pénurie. Il importe donc maintenant que le gouvernement revoie rapidement sa politique et ses façons de faire en cette matière et qu'il se donne comme objectif à long terme d'éviter à tout prix ce genre de crise.



Jean Gouin

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



DIVERSIFIER LES SOURCES D'APPROVISIONNEMENT



Quand un bien ou un service est essentiel au bien-être d'une population ou à la survie d'une entreprise, il est important de diversifier  ses sources d'approvisionnement, même si cela peut impliquer une hausse de coûts. Dans le cas des soins de santé, on ne veut pas prendre des chances avec le bien-être des patients ou même avec leur vie.  Il en est de même pour une entreprise privée, qui ne veut pas risquer une baisse importante de sa rentabilité ou même la faillite advenant une brisure trop longue de ses approvisionnements.  Ceci fait partie des principes de base de la bonne gestion.  De plus, si l'achat à un fournisseur unique risque d'impliquer de faire face à plus long terme à un monopole,  cela pourrait impliquer que les bas prix d'aujourd'hui se transforment en des prix élevés à plus long terme.  Il y a donc plus d'une raison de diversifier ses sources d'approvisionnement. Est-ce que circuler en automobile sans avoir une roue de secours serait une bonne façon de réduire les coûts d'utiliser son automobile? Pour mitiger la hausse des coûts liée à une diversification des sources d'approvisionnement, plusieurs stratégies sont possibles.  Par exemple, si dans le secteur de la santé, le gouvernement du Québec craint que le fractionnement de la commande totale d'un médicament auprès de divers producteurs impliquerait une hausse trop importante de prix, laquelle serait due à la perte d'économie d'échelle, il peut réduire de façon significative cet effet en joignant sa commande à celle d'autres provinces canadiennes.

Jean-Pierre Aubry

Alain Vadeboncoeur

Médecin urgentologue.



ON VA PASSER À TRAVERS... MAIS ENSUITE?



Je découvre comme tout le monde notre grande dépendance à un seul fournisseur, pour des médicaments vitaux que j'utilise tous les jours à l'urgence. Je suis étonné, même si les actions prises dans mon hôpital et ailleurs me rassurent : on va trouver des alternatives, gérer serré, et réussir à passer à travers. Il reste que c'est un remarquable révélateur d'une double dépendance: un seul fournisseur privé pour tout le Canada, c'est incroyable; puis c'est une agence étrangère, la FDA américaine, qui oblige cette fermeture, sans doute à bon escient, mais nous avons les mains liées. Par contre, bien que je ne sois pas être spécialiste de la question, je trouve ridicule que le pharmacien Bertrand Bolduc accole l'étiquette alarmiste de « tiers-monde des médicaments » à la situation du Québec : l'impact apparaît le même au Canada, même si le processus d'appel d'offres y est différent. Ensuite, comment dénoncer les prix trop bas des médicaments, dont la morphine, alors que nous vivons déjà dans un des pays au monde où les coûts sont les plus élevés ? Enfin, allez faire un tour dans le tiers-monde, juste pour comparer. Un peu de mesure. J'imagine que les suggestions de fragmenter les appels d'offres permettraient toutefois d'assurer une plus large variété de fournisseurs. Quoi qu'il en soit, au-delà de la crise actuelle, le temps est peut-être venu de réfléchir à notre relation avec les médicaments et les pharmaceutiques. Je vous suggère la lecture d'un excellent rapport, démontrant que le modèle économique et d'assurance ne remplit pas ses promesses et occasionne la hausse majeure des coûts des médicaments que nous connaissons: « Argumentaire économique pour un régime universel d'assurance-médicaments ». Son auteur, le chercheur Marc-André Gagnon, mentionne d'ailleurs dans l'article de La Presse que la Suède s'est dotée de moyens publics, qu'elle contrôle, pour produire certains génériques, justement afin d'éviter une telle dépendance. Pourquoi pas nous? Revoir les politiques pharmaco-économiques et proposer un élargissement de la couverture publique d'assurance-médicaments pour mieux en contrôler les coûts est-il envisageable? Et une réflexion sur l'efficacité réelle des médicaments, souvent trop nombreux, que nous utilisons dans notre pratique serait salutaire? J'espère qu'on tirera les leçons qui s'imposent de cette crise.

Dr Alain Vadeboncoeur

Diane Lamarre

Présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec. 



PROTÉGER L'APPROVISIONNEMENT



Il faut d'abord rappeler que la pénurie chez Sandoz touchera tout le Canada et une partie des États-Unis, non seulement le Québec. Et de manière générale, les pénuries sont mondiales : elles ne touchent pas seulement une partie du monde mais nous affectent tous. La crise actuelle renforce notre constat à l'effet que le médicament n'est pas un bien de consommation comme les autres. L'absence de médicaments comporte des conséquences graves. Son approvisionnement doit donc être protégé. Plusieurs solutions existent, en voici quelques-unes. Les fusions d'entreprises rendent vulnérables les individus et les sociétés. Des lois et des incitatifs doivent s'appliquer afin de garantir plusieurs sources d'approvisionnement en tout temps. De vieux médicaments ne sont plus lucratifs, mais encore très utiles pour les patients et économiquement avantageux. Encore là, des mécanismes pourraient en protéger la production. La France et le Congrès américain ont prévu des lois obligeant les compagnies  pharmaceutiques à aviser et même à obtenir une autorisation avant une  interruption de production de médicaments. Ottawa et Québec doivent imposer des mesures similaires pour protéger les patients. L'Ordre des pharmaciens du Québec demeure préoccupé par la situation et vigilant.

Photo: Stéphane Lessard

Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UNE CRISE MAL GÉRÉE



Ayant oeuvré, à l'instar du pharmacien Bertrand Bolduc, pendant plusieurs années dans l'industrie pharmaceutique, je comprends mal les commentaires de ce dernier. Bien que l'on pouvait prévoir depuis longtemps la possibilité de ruptures de stocks en raison de la concentration de l'approvisionnement chez un seul fournisseur, cela n'a rien à voir avec le tiers-monde où on parle de l'accès inexistant aux médicaments les plus communs et non de ruptures de stocks. Il est vrai que les pénuries de médicaments sont inquiétantes et qu'il faut se demander comment la situation en est arrivée là. On peut aussi se poser des questions quant à la façon dont la crise est gérée puisque elle ne cesse d'empirer et que l'entreprise Sandoz ne semble pas particulièrement disposée à partager de l'information avec le public ni avec les médias. Cela va d'ailleurs à l'encontre des principes de base en gestion de crise qui consistent à rapidement démontrer que la situation est bien en main et que l'on a un plan et un échéancier bien établis pour rétablir le cours normal des activités. Tout en reconnaissant qu'une usine de produits injectables ne sort pas de terre du jour au lendemain, il ne faudrait se surprendre outre mesure qu'une autre entreprise profite des déboires de l'autre pour se tailler une place dans ce secteur de l'industrie. Pour éviter un tel scénario, il faudrait que Sandoz communique davantage. Pour l'instant, son silence radio inquiète plus qu'il ne rassure.

Denis Boucher

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



NATIONALISATION?



Nous vivons depuis trois semaines au Québec la plus importante pénurie de médicaments injectables de notre histoire. Il est fort probable que le fait de dépendre d'un seul fournisseur ne soit pas étranger à cette crise. Au Québec, il y a 11 groupes d'achats qui se chargent de trouver, par région, les fournisseurs de médicaments via le plus bas soumissionaire qui signe un contrat d'pprovisionement de trois ans.  Or il est facile de conclure que la pénurie actuelle est engendrée par le fait que Sandoz qui connait des difficultés était probablement le seul fournisseur de ce médicament injectable. Il est vrai que cette façon de faire engendre des économies considérables mais est-ce là la meilleure procédure afin d'avoir une continuité de stock? Ne serait-il pas plausible que le gouvernement du Québec, afin d'éviter d'autres pénuries, puisse nationaliser en tout ou en partie, certaines compagnies pharmaceutiques? Le coût d'achat serait énorme, certes, mais à long terme, nous en ressortirions tous gagnants. Les prix pourraient être revus à la baisse tout en permettant d'engranger des surplus considérables pour notre gouvernement qui ne vogue pas dans la richesse par les temps qui courent. Cette firme gouvernementale, si elle existait actuellement, pourrait entre autres produire ce médicament manquant, le temps que Sandoz se réajuste. Bien que le gouvernement du Québec semble banaliser cette pénurie, il lui faudra trouver une solution, car des centaines sinon des milliers de personnes sont inquiètes par le report de leurs chirurgies. Les délais d'attentes sont déjà trop long au Québec. Faut-il en rajouter?

François Bonnardel

Député de Shefford à l'Assemblée nationale.



QUE FAIT LE MINISTRE BOLDUC?



Les pénuries à répétition de médicaments inquiètent de plus en plus les Québécois qui sont déjà très désabusés devant l'état général à notre système de santé. Depuis 2003, nous allons de crise en crise sans constater d'améliorations majeures, malgré toutes les promesses du gouvernement libéral. L'actuelle pénurie de médicaments en est un autre exemple que nous aurions pu éviter. Malheureusement, le gouvernement n'a pas su la prévenir et elle frappe aujourd'hui nos hôpitaux, ce qui représente un risque inacceptable pour de nombreux patients. Nous ne pouvons tolérer que 80 interventions aient été annulées en Outaouais pour la seule semaine dernière. Ce qui est d'autant plus inquiétant, c'est l'absence de réaction du ministre de la Santé. Même s'il est au fait de la situation depuis un bon moment déjà, il ne semble pas prendre cette situation au sérieux. Dès aujourd'hui, il a le devoir de sortir de sa torpeur et de remédier rapidement au problème de pénurie en revoyant la façon d'octroyer les contrats d'approvisionnement afin d'éviter les monopoles. Nos hôpitaux doivent avoir un accès assuré aux médicaments en cas de problèmes d'approvisionnement chez un fabricant, au nom de la santé et du bien-être de nos patients.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel

Mélanie Dugré

Avocate.



LES OEUFS DANS LE MÊME PANIER



Bien sûr que la situation est préoccupante et c'est à se demander comment nos décideurs n'ont pu prévoir une telle crise. La réponse se cache probablement derrière une histoire de gros sous puisque le fait de confier les contrats d'approvisionnement à un seul fournisseur permet de réaliser d'importantes économies d'échelle. Si l'aspect financier est sans contredit une donnée importante en matière de relations contractuelles, l'argent ne devrait pas éclipser des considérations plus fondamentales comme la disponibilité et la circulation des produits. Les monopoles, toutes origines confondues, mais particulièrement ceux de nature privée, ont ceci d'insidieux qu'ils nous rendent dépendants et totalement à la merci des entreprises qui les détiennent et dont l'objectif principal est de faire des profits. Bien que la bonne foi des compagnies pharmaceutiques se présume, ces dernières ne sont pas à l'abri des embûches et des catastrophes. Le contexte actuel est non seulement inquiétant mais aussi dangereux pour des milliers de citoyens dont la santé, et parfois la survie, dépendent de médicaments dont la production est aujourd'hui sérieusement ralentie. La stabilité et la sérénité sociales étant menacées, il est impératif que les gouvernements et l'industrie pharmaceutique travaillent de concert afin d'élaborer des solutions durables qui permettront d'éviter que ce malheureux scénario se répète.

Mélanie Dugré