L'action de la chaîne de restauration rapide McDonald's a atteint hier à Wall Street un sommet historique en dépassant 100$. Les ventes de McDonald's augmentent un peu partout dans le monde, notamment dans les pays émergents comme la Chine. Comment expliquez-vous cette popularité des Big Macs et autres burgers? Faut-il se réjouir de ce succès planétaire?                

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



UNE CONJONCTURE PROPICE

Il y a plusieurs années,  l'ouverture  d'un restaurant McDonald's à Moscou  avait fait sensation.  La bourgeoisie russe faisait la file  pour aller y manger.  Ce n'est pas surprenant que le même phénomène se produise dans plusieurs pays émergents, dont la Chine.  Il n'est pas surprenant aussi qu'une augmentation de la taille du marché  engendre une hausse du prix de l'action de cette chaîne de restauration.  À moyen terme, il faut s'attendre à une hausse continue des ventes dans les pays émergeants.   À long terme, il faudra voir si ces pays prendront le virage de la «nourriture  santé».

Il est possible que les ventes des chaînes de restauration rapide ainsi que celle des chaînes de détaillants à grande surface (du type Walmart) connaissent une expansion relativement forte dans les pays développés parce que les consommateurs qui font face à des temps plus difficiles sont à la recherche de produits et servies à bas prix.  Ce mouvement de substitution pourrait ralentir lorsque les revenus réels et le taux d'emploi seront de retour aux niveaux d'avant la crise financière.

Faut-il se réjouir du succès planétaire de ces chaînes?  C'est bien de voir des entreprises qui peuvent atteindre un niveau d'efficacité et d'efficience leur permettant  d'étendre leur réseau de vente sur la planète.  Cependant, il faut que les gouvernements s'assurent qu'une saine concurrence demeure et que les consommateurs sont bien informés de la qualité et de la provenance des produits et services qu'elles vendent.  Les gouvernements doivent également continuer d'informer leur population sur les implications positives sur leur santé et leur espérance de vie de bien se nourrir (qualité et diversité).

Jean-Pierre Aubry

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal

«MCDONALD'S CORPORATION (MCD)»

La valeur de l'action aurait atteint les 100 $ bien avant aujourd'hui si la société n'avait pas décidé de fractionner l'action à 15 reprises de 1966 à 1999. De 1989 à 1999 seulement, les détenteurs d'actions ont vu doubler leur actionnariat pour un ratio de 2 : 1 à trois reprises. Un propriétaire de l'époque m'avait affirmé qu'il s'enrichissait non seulement avec la rentabilité de ses restaurants, mais surtout avec ses investissements en actions dans la société publique.  En analysant les derniers résultats disponibles publiquement au 30 septembre 2011, ce ne sont pas les ventes de l'Amérique du Nord qui sont principalement responsables de la croissance, mais bien les ventes du secteur « Asie, Moyen-Orient et Afrique » dont les ventes ont augmenté de 20 % (623 millions $) pour le cumul des 9 premiers mois de 2011 par rapport à la période équivalente en 2010. Le restaurant a changé son image durant les dernières années pour passer du restaurant familial pour les enfants à une image de marque internationale plus adulte. D'ailleurs, l'arrivée du McCafé a lancé la chaîne en tant que concurrent de chaînes de café comme Starbucks. La revitalisation de l'image physique de ses restaurants démontre un « fit » stratégique avec l'objectif de modernisation de la marque. On peut donc dire que McDonald's a su s'adapter à l'évolution d'un monde où les gens cuisinent moins pour travailler plus et où l'on travaille plus pour cuisiner moins (l'oeuf ou la poule ?). Est-ce une bonne nouvelle que la société se dirige de plus en plus vers de la nourriture industrielle? Plus on s'éloigne de la fraîcheur de la nature, plus le marché de la nourriture est mondialisé. Plus il y a de la pression sur la réduction des coûts de production, plus les agents de conservation sont en cause. Plus la valeur de l'action de McDonald's progresse, plus je m'inquiète de ce qu'il y a dans mon assiette.  Où est donc passé notre bon vieux sandwich aux tomates du jardin d'à côté ?

Pierre-Yves McSween

PIERRE SIMARD

Professeur, École nationale d'administration publique

UNE GRANDE CAPACITÉ D'ADAPTATION

Le McDonald's « bashing » est une activité à la mode : mondialisation de la culture américaine, standardisation de l'alimentation, malbouffe, etc. Toujours est-il que cette entreprise née en 1940 a résisté depuis plus de 70 ans à plusieurs crises économiques et à une légion de détracteurs. Qu'est-ce qui fait le succès de McDonald's? Sa capacité à s'ajuster aux attentes et aux préférences des consommateurs. Le roi de la restauration rapide est devenu, au fil des ans, un endroit où vous pouvez déjeuner, prendre un café et faire plaisir à toute la famille : un joyeux festin pour le petit, un Big Mac pour l'ado, des McCroquettes pour maman et une salade pour papa. Un repas complet à proximité de chez vous, à prix modique. Le tout en ayant le sentiment que vous venez de contribuer à une bonne cause en subventionnant la fondation Ronald McDonald qui s'occupe du bien-être des enfants hospitalisés et de leur famille. C'est sans compter que même mon collègue économiste utilise l'indice Big Mac pour comparer le pouvoir d'achat entre pays. En réalité, personne n'est obligé d'aller chez McDonald's. De toute façon, peu de mes voisins avouent y aller, mais... celui de mon quartier est toujours plein. McDonald's a surtout compris que le client était roi, et les critiques culinaires des gérants d'estrade.

Pierre Simard

Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

RAPIDE ET DANGEREUX

Le succès phénoménal de McDonald's cette année témoigne de notre rapport au temps et à la productivité autant que de la crise économique qui secoue les pays occidentaux. Nous mangeons comme nous travaillons, comme nous consommons et comme nous pensons, le plus rapidement possible sans nous arrêter en passant d'une chose à l'autre sans intérêt véritable et profond. Nous voulons faire tourner le plus rapidement possible le système économique et politique. Un seul mot d'ordre : le changement! Le changement superficiel dans la continuité sans aspérités. On change de menu, du Bigmac aux Maccroquettes, mais dans une uniformité de goût rassurante et confortable. On manque de désir de diversités dans l'art culinaire comme on manque de pensées audacieuses et aventureuses. McDonald's est le goût du jour qui signale une époque vouée au fast-food intellectuel et commercial. Quand l'appétit va, tout va, disait Obélix. Malheureusement, il est inutile d'avoir de l'appétit pour manger du vent apprêté afin de donner le moins de saveur possible aux aliments. La restauration industrielle est à l'image de notre façon de vivre. Le slow food (l'écogastronomie) demande de la lenteur et de la volonté. Deux éléments qui ne sont pas dans l'air du temps.