Le 1er mai prochain, le salaire minimum sera porté de 9,65 à 9,90 $ l'heure. Depuis 2003, il a augmenté de 35%, soit deux fois plus que le taux d'inflation durant cette période. Selon vous, le salaire minimum est-il raisonnable au Québec?

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Francine Laplante

Femme d'affaires



INSUFFISANT... MAIS COÛTEUX

Si je mets mon chapeau de présidente d'une petite entreprise, je ne crois pas que nous ayons les moyens de payer nos employés journaliers beaucoup plus que le salaire minimum. Le débat pourrait prendre une tout autre tournure si les entrepreneurs avaient accès à du financement adéquat, si nous pouvions compter logiquement sur des partenaires financiers comme Investissement Québec ou la Banque de développement du Canada pour nous soutenir dans nos projets et croire en nous, et ce, sans nous exiger l'impossible. Nous sommes carrément étouffés par les exigences des banquiers et nous travaillons toujours avec la peur de ne pas y arriver. Soyons réalistes, qui peut vivre convenablement avec un salaire de 9,90 $ l'heure? Impossible, d'autant plus que généralement ces emplois sont difficiles et très peu valorisants. Comment trouver l'équilibre?  Nous devons soutenir davantage nos entrepreneurs, ceux qui assurent et créent véritablement les emplois au Québec. Nous devons leur donner les outils nécessaires pour prendre de l'expansion, ainsi, ces mêmes entrepreneurs seront en mesure de payer convenablement leurs employés! Chose certaine, ce n'est pas avec un salaire de 9,90 $ l'heure que nous pourrons bâtir une économie solide!

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec



L'ILLUSION DE LA COMPASSION

À l'approche des fêtes, il est de bon ton de se draper de compassion. Encore cette année, notre bon gouvernement décrète une hausse du salaire minimum. Le but? Aider les personnes à faible revenu à obtenir un niveau de vie décent. Je veux bien : personne n'est contre la vertu! Pour nombre d'économistes cependant, le salaire minimum n'est qu'illusion de compassion : il ne réduirait ni les inégalités salariales ni la pauvreté. En réalité, le salaire minimum, parce qu'il contraint à une rémunération supérieure à celle du libre marché, tue les emplois nécessitant peu de qualifications; des emplois qui sont souvent la seule possibilité de travail pour les personnes à faible revenu. Ce n'est pas en sciant le premier barreau de l'échelle de l'emploi qu'on aide les travailleurs peu qualifiés et les jeunes à se trouver une place sur le marché du travail. Si on désire vraiment aider les travailleurs à hausser leurs revenus, c'est en les incitant à faire l'acquisition de connaissances et de compétences recherchées sur le marché du travail qu'on y arrivera. C'est aussi en réduisant les impôts, taxes et tarifs de toutes sortes qui les empêchent de conserver le fruit de leur travail. Bref, il faudra bien un jour cesser de se gargariser de compassion par des hausses du salaire minimum. La vraie compassion, c'est de permettre au plus grand nombre d'intégrer le marché du travail pour y gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille.

Pierre Simard

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal



RELATIVEMENT ÉLEVÉ

Le salaire minimum québécois est relativement élevé, comparativement à celui des juridictions voisines. En effet, le Québec fait partie des cinq provinces ou États nord-américains où le salaire minimum est le plus élevé en proportion du salaire moyen. Par contre, je suis d'accord que de devoir subsister avec le salaire minimum, surtout si l'on vit sans aide externe, implique souvent de vivre fort modestement. La hausse du salaire minimum est donc évidemment une bonne chose pour ceux qui le reçoivent et qui conservent leur emploi, ou réussissent à en obtenir un à ce taux.On oublie toutefois les autres individus qui sont exclus du marché du travail et dont la productivité actuelle ne justifie pas une embauche à ce taux horaire légal minimum. Autrement dit, il s'agit d'une mesure nuisible pour ceux dont la productivité ne justifie pas un salaire de 9,90 $ et à qui on interdit, dans les faits, de travailler. Deuxièmement, plus on augmente le salaire minimum et plus on incite, à la marge, les jeunes à décrocher de l'école secondaire ou du collège. Il est vrai que certaines entreprises, de par leur même nature, ne pourront réduire le nombre de travailleurs requis pour opérer mais d'autres pourront privilégier l'automatisation de leur production si le coût de la main-d'oeuvre augmente trop (surtout qu'il faut ajouter au salaire comme tel, les taxes sur la masse salariale et autres contributions de l'employeur). De plus, dans le cas de toutes petites entreprises familiales, le propriétaire et les membres de sa famille immédiate auront le réflexe de travailler davantage pour compenser l'effet d'une hausse jugée déraisonnable, ceci au détriment des heures travaillées par les autres employés.

Photo: Armand Trottier, Archives La Presse

Michel Kelly-Gagnon

Françoise Bertrand

PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec



UN NIVEAU ACCEPTABLE

La hausse du salaire minimum annoncée par la ministre du Travail, Lise Thériault, est justifiable selon nous, car elle correspond à l'inflation et permet aux ménages ayant les plus faibles revenus de maintenir leur pouvoir d'achat sans créer une trop grande pression sur les entreprises québécoises. À 9,90$, le salaire minimum est à un niveau acceptable selon la FCCQ. Il faut rappeler la plus faible productivité du Québec comparativement à ses partenaires commerciaux nord-américains, ce qui nous incite à devoir réfléchir davantage avant de hausser le salaire minimum. Certains groupes auraient préféré des hausses plus importantes, mais il faut rappeler que celle annoncée hier est plus élevée que les projections de croissance économique prévue en 2012. Une hausse plus élevée aurait pu nuire à la compétitivité de nos entreprises et l'impact sur les PME sera plus grand et sera à surveiller. Plusieurs menaces de ralentissement économique planent sur nos têtes en particulier à cause de la faible croissance américaine ainsi qu'à la crise monétaire européenne. La situation économique mondiale appelle à la plus grande prudence sur cet enjeu qui touche plus de 250 000 personnes.

Photothèque Le Soleil, Laetitia Deconinck

Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée



DES EFFETS CONTREPRODUCTIFS

Une hausse du salaire minimum fait augmenter les coûts pour les employeurs.  Quand les coûts augmentent alors que la productivité des travailleurs demeure inchangée, certains d'entre eux commencent à coûter plus qu'ils ne rapportent et ne présentent plus d'intérêt pour l'employeur.  Qui sont ceux qui écopent?  Le salaire minimum constituant la porte d'entrée sur le marché du travail pour les individus les moins qualifiés (comme les jeunes travaillant à temps partiel, souvent encore aux études et habitant chez leurs parents dans des ménages qui ne sont pas pauvres, ou comme les personnes qui, pour diverses raisons, ont peu d'éducation et d'expérience de travail tels les décrocheurs, immigrants, femmes âgées qui retournent sur le marché du travail, etc.), l'augmentation du salaire minimum a pour effet de hisser ce premier barreau à une hauteur qui devient inaccessible pour plusieurs d'entre eux et qui les confine au chômage. Des chercheurs canadiens ont montré par exemple qu'une hausse de 10 % du salaire minimum réduit l'emploi de 2,5 % chez les adolescents. Si l'on veut vraiment aider les personnes à faible revenu, d'autres mesures de nature fiscale comme une « prime au travail » (c'est-à-dire un crédit d'impôt remboursable sur le revenu d'emploi) ont un effet beaucoup plus direct sur les revenus nets, sans les effets pervers sur le marché du travail et l'emploi d'une hausse du salaire minimum.

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



RALENTIR SA HAUSSE

Voici comment Pierre Fortin, un des meilleurs économistes du Québec, décrit le système utilisé ces dernières années pour déterminer le niveau du salaire minimum au Québec :   «Depuis 1997, le compromis a consisté à stabiliser le salaire minimum autour de 45 % du salaire moyen des employés payés à l'heure.» Et voici une des conclusions de ses recherches :  « L'effet dommageable pour l'emploi étant plus important qu'on le croyait, on conclut que le rapport de 45 % entre le salaire minimum et le salaire moyen doit être considéré comme une borne supérieure à ne pas dépasser et qu'un retour progressif vers les 42 % ou 43 % pourrait même être envisagé.» À 9,65 $ l'heure le salaire minimum est très proche de cette règle du 45% du salaire moyen des employés payés à l'heure au Québec. À 9,90 $ l'heure en mai 2012, il le sera encore.  Je supporte entièrement les propos de Pierre Fortin, dans les prochaines années, ce serait bien de de réduire légèrement le taux de croissance du salaire minimum pour obtenir un ratio un peu plus bas par rapport au salaire moyen des employées payés à l'heure.  À plus long terme, je pense qu'avec la rareté de la main-d'oeuvre engendrée par le vieillissement de la population, le salaire minimum sera de moins en moins contraignant pour les employeurs.

Jean-Pierre Aubry