La Commission scolaire de Montréal songe à obliger les élèves à parler français dans tous les espaces scolaires, incluant la cour d'école et la cafétéria. La CSDM y voit une façon d'améliorer la réussite du français à l'école. Seriez-vous d'accord avec cette obligation imposée aux élèves de ne pas parler d'autres langues que le français? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Mélanie Dugré

Avocate.



ENCOURAGER PLUTÔT QU'OBLIGER



Cette proposition apparaît sûrement fort attrayante pour les fonctionnaires qui l'ont couchée sur papier. Mais elle l'est probablement beaucoup moins pour les professionnels chargés de faire respecter une telle mesure, en sus de tous les autres règlements et codes de vie, dans les corridors et les cours d'écoles. Les règles et les interdictions ayant ceci d'excitant qu'ils représentent d'intéressants défis de transgression pour les élèves, je vois mal comment cette règle pourrait être appliquée concrètement. De plus, obliger les élèves à parler français est une chose, les obliger à BIEN le parler en est une autre, ce qui augmente le coefficient de difficulté des intervenants. Nul doute que le sort du français au Québec est préoccupant et que son avenir est sérieusement menacé. Mais je préfère, peut-être à tort, m'en remettre à mes réflexes de mère de jeunes enfants et favoriser le renforcement positif et l'enseignement par l'exemple plutôt que les interdits et la coercition. Commençons par nous assurer que les professeurs qui enseignent le français sont aptes à le faire, soignons notre propre langage, parlé et écrit, et surtout, instaurons dans nos familles des moments consacrés à la lecture. Au-delà de tous les interdits possibles en matière de langue, il s'agit certainement de notre meilleur outil pour lutter contre la disparition du français au Québec.

Mélanie Dugré

Claudette Carbonneau

Ex-présidente de la CSN.



UNE CONTRAINTE RAISONNABLE



L'école montréalaise a des défis colossaux à relever. Pour un nombre élevé de jeunes qui la fréquentent, le français n'est souvent ni la langue maternelle, ni même la langue seconde. Dans plusieurs de nos écoles, c'est même une majorité de jeunes qui sont dans ces situations. On ne peut pas à la fois exiger une action vigoureuse en faveur de la réussite scolaire et de l'amélioration de nos politiques d'intégration, en refusant de mettre à contribution tous les espaces scolaires qui peuvent contribuer à ces objectifs de société. S'agit-il d'une contrainte excessive? Certainement pas. L'usage de la langue commune a toute sa place à l'école. Cette école doit être l'école de tous les Québécois, indépendamment de leurs origines. Le fonctionnement de l'école publique doit être en phase avec cet objectif et éviter la dérive du repli des communautés sur elle-même. Il faut saluer l'ouverture des parents qui accueillent d'un bon oeil cette perspective de changement et inciter la CSDM à aller de l'avant et à ouvrir la voie.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



DES ÉCOLES-PRISONS ?



L'école est un lieu qui doit être convivial, où l'élève aime à apprendre. Cela est déjà un objectif difficile à atteindre, comme le démontre le taux élevé de décrochage au secondaire. Pour le non-francophone qui fréquente, obligatoirement, l'école française, c'est l'occasion d'acquérir une compétence qui lui sera indispensable dans sa vie future au Québec. À plusieurs égards, cet apprentissage est valorisant et est vu comme tel par la grande majorité des élèves. Mais il faut éviter comme la peste d'en faire un pensum, une corvée ou une occasion d'être puni. Défendre l'utilisation d'autres langues que le français dans les cafétérias et les cours d'école est d'ailleurs pratiquement impossible. Qui surveillera l'application de la règle? Quelles seront les sanctions? Comment punir les quelques-uns qui seront pris, et pas les autres? Il n'y a pas de meilleurs moyens de faire haïr la langue française que d'empêcher l'usage de la langue maternelle entre frères et soeurs ou entre membres d'une même communauté. L'atmosphère de l'école ne doit pas est celle d'une prison.


Pierre Curzi

Député de Borduas.



UNE BONNE INITIATIVE

À Montréal, le français subit des pressions importantes comme langue d'usage public et connaît des reculs bien documentés. L'affichage, la langue de travail, la langue d'enseignement, la langue de l'administration publique, la langue de la santé, autant de fronts qui se sont graduellement ouverts à la puissance et à la séduction de la culture d'expression anglaise. Pour rétablir l'équilibre, nul doute qu'il faille appliquer un ensemble de mesures cohérentes, fermes et intelligentes. Parmi celles-ci, les mesures qui sont en amont et qui favorisent l'utilisation du français en bas âge doivent être privilégiées. L'affirmation d'un politique claire de la CSDM sans coercition excessive quant à l'utilisation du français dans les espaces scolaires communs me semble une bonne initiative. L'obligation d'apporter une telle mesure  confirme ce que je clame depuis plusieurs années: le grand Montréal s'anglicise et  je me réjouis que nous commencions à nous en occuper.



Le Soleil, Yan Doublet

Pierre Curzi

Jana Havrankova

Endocrinologue.



VOUÉ À L'ÉCHEC



Que le français ait besoin de protection dans un océan anglophone nord-américain relève d'une évidence. Que les élèves soient incités à utiliser le français s'avère souhaitable. Toutefois, une imposition de parler français dans les cours et les cafétérias d'écoles me semble vouée non seulement à l'échec, mais aussi au ridicule. Avant d'imposer un règlement, quel qu'il soit, il faut s'assurer que l'on puisse le faire respecter. Si les élèves dérogent au règlement, parlent l'arabe, le roumain ou l'anglais à la cafétéria, quelles sanctions prévoit-on? Qui se chargera de la surveillance de la langue parlée par les élèves? La délation et la contrainte me paraissent peu propices à l'apprentissage et à l'utilisation de cette belle et riche langue qu'est le français. Je proposerais plutôt des activités parascolaires en français: visionnement des films en français, suivi de causeries en français, rencontres autour des thèmes susceptibles d'intéresser les jeunes, discussions des lectures d'auteurs francophones, le parrainage des élèves allophones avec des élèves francophones, par exemple. Sans doute, des projets plus intéressants qu'un règlement difficile à mettre en application peuvent-ils être élaborés.

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



LE DEVOIR DE FRANÇAIS



Interdire les autres langues que le français dans les espaces scolaires peut provoquer l'effet contraire. La meilleure façon de transmettre le goût du français aux jeunes est de le valoriser. Ainsi, savent-ils qu'il y a plus de 160 millions de francophones dans le monde? Que le français se classe parmi les 10 langues les plus parlées? Qu'on le retrouve sur les cinq continents? Qu'il est l'une des deux langues de travail de l'ONU?  Il est nécessaire de faire connaître aux jeunes des auteurs, des compositeurs, des chanteurs, des comédiens et des poètes francophones d'ici et d'ailleurs. La langue doit redevenir un objet de fierté partagée. Il incombe aux politiciens, aux fonctionnaires, aux enseignants, aux parents, à la population, aux employeurs, d'en faire la promotion. Rappelons que le français est la langue officielle du Québec. Obligeons les immigrants et les dirigeants d'entreprise à s'y soumettre. Reconnaissons que l'idée d'offrir de l'anglais de manière intensive au primaire en favorise l'usage au détriment du français. Prêchons par l'exemple!

Marc Simard

Collège François-Xavier-Garneau (Québec).



L'école prison



L'enfer est pavé de bonnes intentions, dit le dicton. La CSDM songe en effet à interdire les conversations dans une autre langue que le français dans ses cafétérias (où on impose déjà la bouffe santé) et dans ses cours d'écoles. Cette mesure s'insérerait dans la grande oeuvre de la Réussite, cette tartufferie de l'école contemporaine. Le pire, c'est que 70% des parents se disent d'accord! On transformera donc les employés des écoles et les enseignants, qui font la surveillance pendant les récréations et l'heure des repas, en gardes-chiourme. Déjà qu'ils ont toute la difficulté au monde à maintenir un semblant d'ordre dans leurs classes qui débordent d'enfants hyperactifs ou souffrant de «trouble-déficit de l'attention», ils devront se transformer en argousins en dehors de celles-ci? Mais pourquoi la CSDM s'arrêterait-elle en si bon chemin? Elle pourrait en effet mettre en place un système de contraventions que des Gardiens de la pureté de la langue devraient remettre aux délinquants avec l'aide de collaborateurs et de mouchards. Cet argent pourrait servir à rénover les écoles qui tombent en ruines et à renouveler le matériel scolaire. On ne parlerait plus alors d'utilisateur-payeur, mais de contrevenant-payeur. Les employés eux-mêmes devraient bien sûr être soumis à cette discipline : finis les films en anglais sous-titrés en serbo-croate et les chansons de Lady Gaga pendant les pauses. Avec cette idée saugrenue, la CSDM vient une nouvelle fois de repousser les limites.

Francine Laplante

Femme d'affaires.



PURE UTOPIE



On ne peut pas être contre la vertu! Dans le meilleur des mondes, tous les élèves parleraient français correctement et instinctivement, mais dans la réalité de la vraie vie, dites-moi comment pourrions-nous arriver à faire respecter un tel règlement?  C'est de la pure utopie. Je crois que nous devrions mettre l'emphase sur le respect des autres élèves, sur l'abolition de l'intimidation, sur la surveillance des vendeurs de drogues. Pour faire respecter un tel règlement, il faudra un nombre incalculable de ressources.  Soyons réalistes! Si les règlements ne sont pas respectés, est-ce que les élèves en faute seront expulsés? Soyons sérieux deux minutes et concentrons nos énergies à établir des plans d'attaque pour régler les vrais problèmes!

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



CONTRE-PRODUCTIF



Comme principe général, je n'aime pas imposer une règle dont je ne peux contrôler le suivi.  Je préfère minimiser le nombre  de règles, mais en m'assurant par contre que celles-ci sont suivies. C'est un principe général que mon épouse et moi avons suivi pour l'éducation de nos enfants. Je pense que la CSDM peut et doit faire en sorte que les activités de groupe (enseignement, activités culturelles et sportives) se fassent en français.  Cependant, les échanges privées entre les élèves devraient se faire dans la langue de leur choix. Elle peut toutefois suggérer aux étudiants d'utiliser le plus possible le français pour leurs discussions d'ordre privé dans l'espace scolaire. À pousser trop loin, la CSDM risque de saper l'autorité de ses cadres et de ses professeurs. En plus, elle risque faire en sorte que des étudiants aiment encore moins aller à l'école. En anglais, il y a une expression qui dit : the best is often the enemy of the good.

Jean-Pierre Aubry