Les indignés ont-ils raison de vouloir poursuivre leur mouvement d'occupation? Les villes sont-elles justifiées de démanteler les camps des contestataires?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.



Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

OCCUPATION, OUI. SQUATTING, NON.

L'occupation d'un lieu public comme moyen d'action politique est devenu populaire à la suite des actions qui ont animé le «printemps arabe» et qui ont provoqué des changements profonds, notamment en Tunisie et en Égypte. La formule a été reprise à New York en réaction contre les abus de Wall Street et s'est propagée dans plusieurs grandes villes des États-Unis et du Canada. Montréal est entrée dans la danse et les occupants ont suscité, avec raison, un fort courant de sympathie. Mais le Québec n'est pas la Tunisie, surtout en matière de climat. L'hiver, ici, n'est pas propice à l'occupation permanente d'une place publique. Alors, que faire? La réaction des occupants a été de tenter «d'hiverniser» leur occupation en remplaçant leurs tentes par des abris permanents. Malheureusement, cela n'est pas possible, car cela change la nature même de l'opération. Les occupants se transforment alors en squatters et la place publique devient un lieu d'habitation dont il est impossible de contrôler la population. Et cela sans parler des difficultés relatives à la sécurité des biens et des personnes. Cela veut tout simplement dire que l'occupation d'un lieu public, au Québec, ne peut être qu'une opération limitée dans le temps. Et cela, pour des raisons qui tiennent plus à la météo qu'à la politique.


Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

LES INDIGNÉS INDIGNENT

Les indignés ne veulent pas que la société oublie. Ils ne veulent pas que la société passe à autre chose. Les indignés ne veulent pas non plus n'être considérés que comme un feu de paille qui n'aura duré que le temps de la saison sèche. Les indignés veulent que la classe politique prenne les dispositions nécessaires pour baliser nos institutions bancaires. Ils veulent un encadrement économique qui ne permettra plus les dérives desquelles nous avons tous été témoins et qui mettra un frein au capitalisme sauvage tel que nous le connaissons. Ils veulent vivre dans une société qui respecte ses citoyens, une société qui sera équitable envers tous, une société qui luttera contre l'appauvrissement des plus démunis, une société qui agira en toute transparence. Oui, les indignés doivent poursuivre leur occupation. Celle-ci nous rappellera sans cesse que l'on ne peut oublier ce qui se trame présentement. Vouloir démanteler leur ghetto n'améliorera en rien la situation. Les villes y parviendront assurément et le mouvement hibernera pour un temps, celui de la saison froide, mais il reprendra de la vigueur au moment où les cerisiers seront en fleur. Les indignés provoquent, irritent et scandalisent certains d'entre nous et il y en a qui s'en indignent. Quel paradoxe, n'est-ce pas?

Jean Gouin

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP

UN ENTREPÔT HIVERNAL POUR MATÉRIEL DE CAMPING

On peut comprendre que l'indignation soit d'intensité variable... mais on s'indigne ou on ne s'indigne pas! De la fenêtre de mon bureau, j'ai la chance (!) de pouvoir observer les indignés de Québec. Et je vous le dis, ce n'est pas très dérangeant pour ma concentration! Je vous aurais mis au défi de jouer à « Où est Charlie »... et de repérer ne serait-ce qu'un seul indigné! Mais où étaient-ils donc? Au café Starbucks d'en face? Encore couchés? Ou tout simplement au chaud à la maison? Si j'en crois les médias, la plupart d'entre eux étaient retournés à la maison. Ils rappliqueraient à l'approche des caméras... une sorte « d'occupation double » finalement. On dit souvent que la règle d'or d'une manifestation est de compter non seulement les gens dans la parade, mais aussi ceux qui la regardent passer. À Québec, on peut compter les manifestants sur les doigts d'une main... et leurs partisans ne sont pas plus nombreux! Entreprendre une manifestation s'apparente à n'importe quelle entreprise : lorsqu'on s'investit peu, il ne faut pas s'attendre à en retirer beaucoup de bénéfices. En termes polis, disons que le coût de cette action collective pour les indignés de Québec n'est pas très élevé. En fait, ce sont les citoyens qui assument le véritable coût de ce mouvement de contestation : ils paient pour les interventions des services policiers et des pompiers, et ils perdent l'usage de leur parc. Ne serait-ce que pour cette raison, il m'apparaît justifié que la Ville de Québec veuille démanteler cet entrepôt hivernal pour matériel de camping. Imaginez le tollé si les «1 %» venaient stationner leurs VR dans le parc Saint-Roch pour l'hiver...

Pierre Simard

Caroline Moreno

Écrivain 

ÉCOUTER PLUTÔT QUE DÉMANTELER

La colère d'un peuple démontre qu'il n'est pas mort. Que les indignés aient raison ou tort, là n'est pas la question. La démocratie repose sur la liberté d'expression individuelle et collective. Le mouvement des indignés peut prendre de l'ampleur ou s'essouffler et mourir, mais les autorités n'ont pas à intervenir dans cette démonstration pacifique de ras-le-bol à l'égard des injustices sociales. Plutôt que de démanteler les campements, il apparaît primordial d'écouter ce que les protestataires ont à dire et de voir dans quelle mesure le sort de millions de personnes peut être amélioré.

Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau à Québec

UNE OCCUPATION QUI TOURNE À VIDE

La présentation dans les médias des motifs dont se réclament les indignés a largement démontré la vacuité de leur discours anticapitaliste. Que dénoncent ces désoeuvrés? Essentiellement les profits des banques et des compagnies, le partage inégal des richesses, les carences de la démocratie et la puissance des riches. Et pour cela, ils sont prêts à défigurer les centres-villes occidentaux avec leurs campements ringards jusqu'à ce que le système s'effondre sous l'effet délétère de leur imparable logique et de leur implacable rhétorique. Ce scoutisme bon enfant, qui fleure l'angélisme et fait la joie de la go-gauche et des bien-pensants, a en outre le mérite de leur conférer leurs quinze minutes de gloire médiatique. Mais leur propos est creux parce que bâti sur des préjugés simplistes à l'encontre de l'argent et du profit. Il est utopique parce qu'il ne provient pas d'une analyse rigoureuse de la situation qu'ils dénoncent, mais de leurs a priori. Et il est futile parce qu'il n'a aucune prise sur le réel. Leurs propositions ne sont que des voeux pieux et ils se gardent bien de révéler vers quel système de remplacement vont leurs préférences, entre le collectivisme des petits producteurs, le communisme étatique, les phalanstères ou la simplicité volontaire. Mais on devine néanmoins aisément dans quel fourbi nauséabond et totalitaire ils nous amèneraient si nous nous en remettions à leurs bons sentiments. Faut-il donc tolérer leur squat sans objet? On hésite ici entre le laxisme, pour éviter de leur fournir de nouveaux motifs d'indignation, et la prophylaxie, à laquelle il faudra pourtant bien se résoudre un jour.