Même si personne ne pourra être contraint de témoigner, croyez-vous que la commission d'enquête présidée par la juge France Charbonneau sera en mesure de faire la lumière sur les pratiques illégales dans l'industrie de la construction?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Mélanie Dugré

Avocate.



UNE COQUILLE VIDE



À entendre ce que seront les paramètres de cette future commission d'enquête, c'est à croire que Jean Charest se prépare pour une belle célébration, un grand événement mondain pour lequel les aspirants invités attendent impatiemment leur invitation officielle. Mais ce qui a été déposé hier n'est au fond qu'une grosse coquille vide. La prémisse de base de cette éventuelle commission repose sur la conviction que ceux qui ont été entendus lors de l'enquête de Jacques Duchesneau accourront à nouveau pour venir témoigner. Or, rien n'est moins certain. L'absence d'immunité se comprend et s'explique mais l'impossibilité de contraindre les témoins mènera inévitablement à des conclusions incomplètes et minera la crédibilité du rapport final. À la fin de l'exercice, il manquera nécessairement des morceaux au casse-tête et plusieurs questions ne trouveront jamais réponses. Il serait fort étonnant que le premier ministre revoit les conditions d'existence de cette commission. Celle que s'apprête à présider la juge Charbonneau est sans doute mieux que le statu quo. Cependant, force est de renifler l'odeur de faux départ et de constater que le produit est condamné avant même d'avoir été créé. Dans ce contexte, lorsqu'on pense aux sommes faramineuses qui seront englouties dans ce processus, je suis tentée de conclure que le gouvernement aura, encore une fois, réussi à jeter notre argent par les fenêtres.

Mélanie Dugré

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



M. CHAREST N'A PAS CHANGÉ D'IDÉE



Soyons clair: malgré son nom, la commission Charbonneau ne sera pas une commission d'enquête. Une commission sans véritable pouvoir d'enquête n'est pas une commission d'enquête. Ce qui est la caractéristique essentielle d'une telle commission, c'est son pouvoir de contraindre quiconque à témoigner et de lui assurer l'immunité de son témoignage. C'est la raison pour laquelle une majorité de citoyens réclamaient la nomination d'une telle commission et pour laquelle M. Charest refusait de la nommer. M. Charest n'a pas changé d'idée: il n'y aura pas de commission d'enquête. Est-ce que la commission Charbonneau servira néanmoins à quelque chose d'utile? Personnellement, j'en doute. Qui voudra volontairement dénoncer quelqu'un sans protection contre une poursuite judiciaire où il devra supporter seul le fardeau de faire la preuve de ses allégations? Et rien ne pourra le contraindre à rompre le silence et dire ce qu'il sait. La nomination de la commission Charbonneau n'ajoutera donc rien à l'arsenal des moyens déjà mis en oeuvre par le gouvernement pour contrer les pratiques illégales dans l'industrie de la construction. M. Charest peut souligner, avec raison, que ces moyens sont déjà considérables. Mais, pour les raisons qu'il fait valoir depuis le début, il refuse toujours d'y ajouter l'établissement d'une commission d'enquête ayant ce que tous ces autres moyens n'ont pas: le pouvoir de contrainte et la garantie d'immunité.


Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien PDG de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec.



OUI, UNE «PATENTE À GOSSES»



Dans sa forme, il est presque impossible que la commission d'enquête présidée par la juge France Charbonneau nous apprenne autre chose que ce que l'on sait déjà. D'ailleurs, les freins imposés à ladite commission ne sont qu'une façon simple de s'assurer que personne n'en souffrira, surtout pas les politiciens ou les grosses pointures. Certains ont appelé cette nouvelle commission, qui ne respecte pas les normes de la loi sur les commissions d'enquête, une «patente à gosses». Et ce n'est rien d'autre que ça. Voyons certains faits : si j'ai un accident et qu'un coroner veut m'interroger, j'ai l'obligation de témoigner. Si, dans une cause civile ou criminelle, la partie adverse m'envoie un subpoena, je suis obligé d'aller témoigner. Si une commission parlementaire veut m'interroger, je n'ai pas le choix. C'est ainsi que ça se passe depuis des lunes. Pourquoi est-ce différent avec la nouvelle commission sinon pour que certains faits restent cachés? Pense-t-on une minute qu'un membre du crime organisé ira témoigner volontairement? Pense-t-on que celui qui fait des fausses factures ou qui est en collusion ira témoigner? Pense-t-on que celui qui facture continuellement des extras ira témoigner? En fait, Jean Charest n'a jamais voulu d'une vraie commission d'enquête et il a trouvé le moyen de ne pas en avoir.

Gaétan Frigon

Jana Havrankova

Endocrinologue.



LAISSONS TRAVAILLER LA COMMISSION



Jean Charest a pris tellement de temps pour enclencher une commission d'enquête que tout le monde se méfie. Il est en effet vraisemblable que les personnes qui se sentent coupables ou celles qui se mettraient en danger n'iront pas témoigner. Ne pas jouir d'immunité en découragera également plusieurs. Néanmoins, par le passé, des individus courageux ont quand même parlé dans les médias, et nous pouvons espérer qu'ils sauront éclairer la commission. Les enquêtes policières devront bien entendu se poursuivre et servir de complément à la commission. Il est de toute façon illusoire de penser qu'une commission d'enquête publique révélerait TOUT sur la corruption et la collusion dans la construction et sur ses liens avec la politique. Souvenons-nous des pertes de mémoire de certains témoins à la commission Gomery... Si nous voulons comprendre les liens entre le monde de la construction, de la mafia et de la politique, il faut commencer quelque part. Laissons les commissaires travailler. Et suivons leurs oeuvres de très près.

Jana Havrankova

Pierre Simard



Professeur à l'ÉNAP.



STAR ACADÉMIE!



La patente à gosse ou la commission émasculée? On hésite encore sur le titre. Peu importe, on l'aura notre spectacle de téléréalité, notre Star Académie de la corruption et de la collusion dans l'industrie de la construction. L'émission risque d'être la plus coûteuse de l'histoire du show-business québécois: on l'a appris hier, le budget est illimité. À ce jour, seule l'animatrice des galas est connue. Les participants seront invités prochainement à soumettre leur candidature (volontaire, évidemment!). Des auditions préalables serviront à sélectionner ceux qui auront le privilège d'apparaître au petit écran. On ne sait pas encore si les spectateurs auront la chance de voter pour leur coup de coeur, mais les commissaires pourront mettre des candidats en danger pour les forcer à prouver leur honnêteté et leur valeur. Jusqu'ici, peu de choses ont filtré sur l'identité des coanimateurs de l'émission. Dites, vous avez pensé à René comme directeur de l'Académie? Ça prendrait quelqu'un de sérieux pour superviser les cours de chant et de patinage de tout ce bon monde.

Pierre Simard

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



DÉÇU, MAIS...



L'annonce d'une commission d'enquête présidée par la juge France Charbonneau m'a réjoui. Enfin, me suis-je dit, on pourra faire la lumière sur la collusion et certaines pratiques illégales qui ont cours dans l'industrie de la construction. J'ai, cependant, rapidement déchanté lorsque je me suis rendu compte que la commission en question était édentée. Pas de contrainte aucune et sur invitation seulement s'il-vous-plaît. Pas d'assignation. Aucun invité qui a quelque chose à se reprocher n'y assistera. Qui serait assez dingue pour aller s'incriminer? Donnons un minimum d'intelligence aux différents acteurs de la construction qui, pendant des décennies, par toutes sortes de moyens, se sont enrichis aux dépens des payeurs de taxes. Alors, que pouvons-nous espérer d'un machin mis en place par le premier ministre pour, supposément faire la lumière sur nos façons de fonctionner dans ce domaine? Pas grand-chose, même si certaines portions de la commission se dérouleront à huis clos. Mon espoir d'aboutir à quelque chose un tant soit peu tangible et qui permettrait aux corps policiers de creuser davantage se trouve en la juge Charbonneau, qui semble avoir une solide expérience dans les affaires criminelles. Le fait que Mme Charbonneau ait accepté un tel mandat me réconforte, bien que mes attentes soient bien minces. Si Mme Charbonneau arrive à trouver des pistes qui pourraient être creusées davantage, alors tout ne sera pas perdu. C'est à cet espoir que je m'accroche. Je suis déçu du machin mis en place et ce ne sera que dans deux ans que je serai en mesure d'évaluer véritablement la pertinence d'une telle commission.

Jean Gouin

Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse. 



UN ÉCRAN DE FUMÉE



Sans y être contraint, qui va aller témoigner à la commission Charbonneau? Ceux qui veulent redorer leur image et ceux qui voudront dénoncer les stratagèmes ou les méfaits d'autres individus. Mais personne n'ira de son plein gré avouer ses fautes ou ses accointances avec des fraudeurs sous peine d'être poursuivi par la suite. France Charbonneau ne pourra pas forcer quiconque à venir corroborer les dénonciations ou les accusations de malversations. La commission va se transformer en un vaste espace de ouï-dire et de délations de toutes sortes dont on ne pourra jamais étayer les preuves. Les coupables de la collusion et de la corruption dans l'industrie de la construction, et indirectement ceux du financement occulte des partis politiques, vont continuer de se tenir dans l'ombre, bien à l'abri de toute sommation à comparaitre. Nul besoin de se défendre puisqu'il n'y a aucune contrainte possible. Sans pouvoir réel, la commissaire va voir défiler devant elle les bien-pensants, les redresseurs de torts, les personnes au-dessus de tout soupçon, mais pas les Tony Accurso de ce monde. La commission d'enquête Charbonneau ressemble à un écran de fumée derrière lequel se cache de plus en plus mal le premier ministre du Québec.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale. 



LA PAROLE AU JUGE CHARBONNEAU



On pourra se faire une idée plus précise des tenants et aboutissants de la formule retenue par le gouvernement Charest dans le cadre d'une commission d'enquête sur les contrats publics et la construction lorsque la juge Charbonneau fera ses premiers commentaires sur l'interprétation qu'elle donne à son mandat. Sur ce plan, elle aura semble-t-il toute la latitude et la liberté qu'elle souhaite. Son choix fait l'unanimité et d'ailleurs elle n'a pas été recrutée par le gouvernement, mais par un autre juge indépendant. Elle choisira elle-même les deux coprésidents qui l'assisteront dans sa tâche. Et comme son mandat est très large et n'exclut rien, la juge Charbonneau pourra elle-même en préciser les contours. Compte tenu de ses états de services dans le monde judiciaire, on peut supposer facilement qu'elle ne négligera aucune piste. Peut-être nous éclairera-t-elle sur sa décision d'accepter cette mission en toute connaissance de cause du fait qu'elle sera privée du pouvoir de contraindre et devra se replier sur la persuasion? Elle nous dira sans doute quelles sont les vertus du huis clos en comparaison de l'immunité, l'impact des travaux qu'elle entreprend sur les enquêtes policières, etc. Son jugement sur toutes ces questions devrait sans doute éclairer le nôtre.

Francine Laplante

Femme d'affaires.



MME CHARBONNEAU, EXPLIQUEZ-MOI!



Une commission d'enquête? Ça ressemble plus à une «comique-sion» d'enquête! En toute franchise, j'ai espéré jusqu'à la dernière minute que notre chef soit digne du nom qu'il porte. J'ai espéré qu'il ne donne pas raison à tous ses détracteurs et qu'au contraire, il me redonne une certaine confiance... J'ai honte d'avoir été à ce point aussi naïve. La commission d'enquête telle que proposée et décidée par notre gouvernement est une atteinte grave à l'intelligence du peuple, à moins qu'il y ait des éléments et des points importants que nous ne connaissions pas? Mme France Charbonneau, vous qui bénéficiez d'un summum de crédibilité et d'intelligence, je vous en prie, venez nous expliquer pourquoi vous avez accepté de nous faire avaler cette pilule empoisonnée. Qu'avez-vous compris que je n'ai pas moi-même compris? Vous êtes la seule capable de nous expliquer l'inexplicable!

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue.

LA LUMIÈRE DES MEILLEURS BRILLERA



Cette commission fera bien entendu toute la lumière sur les pratiques du monde de la construction, seuls les plus sombres parmi nous pourraient en douter. Parce que tous ceux qui oeuvrent dans cet univers lumineux accepteront dans la joie de s'asseoir devant la juge Charbonneau, sous les flashs des caméras, afin d'ouvrir leur coeur et de partager ainsi d'émouvants moments de leur vie professionnelle. Ils produiront volontairement des liasses de documents variés, contrats, factures, soumissions, coupons de salon de bronzage et cartes d'affaires en couleur, puis essuieront quelques larmes à l'évocation de leur parcours auréolé, soulignant leurs bons coups: telle route brillamment asphaltée, tel rayonnant bétonnage encore debout, tel pont surplombant majestueusement, sous un magnifique arc-en-ciel, une bouillonnante rivière québécoise. Ensuite, ils rentreront chez eux, le regard brillant, s'embrassant au passage dans le corridor, trois fois comme c'est de mise, et retourneront vaquer à leurs dignes occupations, ce sera beau comme un lever de soleil sur Matane. Et dans deux ans, peut-être davantage, en tous cas bien après les prochaines élections, quand la juge aura publié noir sur blanc un rapport clair comme de l'eau de roche, nous pourrons nous féliciter d'avoir encore une fois brillé parmi les meilleurs, ayant courageusement braqué nos projecteurs sur une myriade de pratiques légales sorties de l'ombre et... Pardon? ll fallait plutôt révéler les pratiques illégales? Mais pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt?

Dr Alain Vadeboncoeur

Patrice Garant

Professeur émérite de droit public à l'Université Laval.



MANDAT CONSIDÉRABLE



Sur le portail du gouvernement du Québec, on présente les commissions d'enquête comme des institutions chargées d'enquêter sur «les affaires publiques» qui sont régies par la Loi sur les commissions d'enquêtes. Toute autre commission n'en est pas une vraie, c'est autre chose, soit un organisme d'enquête sans pouvoir de contrainte et n'offrant aux témoins aucune protection et ne comportant pas pour les commissaires l'immunité prévu à l'art 16 de la dite loi. Néanmoins, le décret 1029 -211 permettra à la commission de faire un certain travail même si le mandat est considérable: 15 ans de contrats publics impliquant quelques milliers d'organismes publics pour des sommes de plusieurs milliards.  Même s'il est question de corruption et d'infiltration par le crime organisé, l'objectif ne peur être la chasse aux criminels, ce qui serait inconstitutionnel comme empiètement sur la justice criminelle, de compétence fédérale. D'ailleurs parallèlement, les enquêtes policières se poursuivent de même que celles du commissaire à la lutte contre la corruption. Ce dernier bénéficie d'ailleurs d'immunités de poursuites de mêmes que les dénonciateurs d'actes répréhensibles. Ne pouvant procéder  par contrainte, la commissaire lancera des invitations et les témoins ne seront que des dénonciateurs,  à moins qu'ils se confessent volontairement! Il n'est pas dit dans le décret qu'elle pourra assermenter ces personnes. Que les témoins ne bénéficient  pas de l'immunité  prévue à l'art. 11 de la loi,  au regard de poursuites criminelles, cela peut se comprendre, mais il me semble qu'ils devraient bénéficier de l'immunité à l'égard de poursuites civiles, tout comme la commissaire elle-même. À moins que tout se fasse à huis clos, toute dénonciation ou révélation risque d'affecter des réputations, de causer des dommages. Les dénonciateurs sont  mieux protégés par la Loi sur la lutte à la corruption. Au regard de cette dernière loi, plusieurs peuvent se demander ce que vient faire ce décret 1029-2011!