Le chef de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, recommande la tenue d'une commission publique sur l'industrie de la construction, précédée d'audiences à huis clos. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que ce serait la meilleure façon de faire la lumière sur le système de corruption dont le rapport Duchesneau fait état?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.



Sylvain Lussier

Avocat, il a représenté le gouvernement fédéral devant la commission Gomery.

AU MINIMUM REQUIS

Lorsqu'une commission d'enquête est déclenchée, les procureurs de la commission, sur la foi des informations recueillies par la police, les enquêteurs gouvernementaux, les vérificateurs et reçues du public, rencontrent des témoins qui ont le droit d'être assistés de leur avocat. Ces témoins ne sont pas obligés d'assister à cette rencontre. Leur témoignage n'est pas sous serment et le commissaire n'y assiste pas. Les déclarations peuvent être résumées et communiquées aux procureurs de parties avant le témoignage devant le commissaire. Elles ne peuvent cependant être utilisées contre le témoin, pour le contredire. Le témoignage est ensuite rendu devant le commissaire sous serment. Le témoin peut être contre-interrogé par les parties. Généralement, ce témoignage est donné publiquement. Le huis clos peut cependant être ordonné pour des motifs d'ordre public. Cette exception est appliquée de façon restrictive. Il faut la justifier. Les motifs qui ont déjà été invoqués comprennent : la protection des parties et du public pour assurer un procès juste et équitable; le maintien de l'ordre et l'administration efficace de la justice; la protection de la vie privée; la protection contre la diffamation. La commission sur l'affaire Arar a siégé en partie à huis clos pour des motifs qui touchaient la sécurité nationale. Il appartiendrait au commissaire d'identifier les motifs d'ordre public justifiant des audiences à huis clos. La sécurité des témoins pourrait être un tel motif. Le droit à une défense pleine et entière devant les instances pénales est un autre motif fréquemment invoqué. Pour être acceptable, une telle solution devra être expliquée et limitée au minimum requis. La décision de tenir l'enquête à huis clos pourrait faire l'objet d'une contestation devant la Cour supérieure.

Sylvain Lussier

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien PDG de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec.

JEAN CHAREST A TROP À PERDRE

On tourne vraiment en rond dans ce dossier. D'une part, tout le monde, incluant le parti au pouvoir, sait qu'une enquête publique représente la seule façon de rétablir la confiance publique vis-à-vis l'industrie de la construction et d'apporter les changements structurels nécessaires pour corriger la situation. D'autre part, tout le monde, incluant les partis d'opposition, sait également qu'une enquête publique ne peut que nuire au gouvernement en place, donc aux libéraux. Et le premier ministre Jean Charest le sait trop bien lui aussi. Quoique la recommandation de Jacques Duchesneau, le chef de l'Unité anticollusion, de tenir une commission publique, précédée d'audiences à huit clos, fasse beaucoup de sens en essayant de sauver la chèvre et le chou, il reste que M. Charest sait trop bien que le résultat sera le même, c'est-à-dire la défaite de son gouvernement aux prochaines élections. Et en politicien aguerri, il va fort probablement continuer de s'opposer à une commission publique en espérant que les partis d'opposition s'enfargent dans d'autres dossiers. Cependant, il devra considérer deux éléments qui ne feront qu'accentuer la pression sur lui: la demande d'une enquête publique va continuer à faire les manchettes pour un bon bout de temps et François Legault s'en vient à grande vitesse.

Gaétan Frigon

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.

C'EST LA FAÇON NORMALE DE PROCÉDER

Toute enquête publique sérieuse doit commencer par une phase à huis clos où les commissaires, leurs avocats et leurs enquêteurs montent la preuve qui sera ensuite présentée lors des séances publiques. Lorsqu'elle débute sa phase publique, la commission doit savoir où elle va. Autrement, les travaux de la commission ne seraient qu'une vaste partie de pêche qui non seulement risquerait de ne mener nulle part, mais pourrait entrainer injustement la ruine de plusieurs réputations. C'est d'ailleurs de cette façon qu'ont procédé les grandes commissions qui ont marqué le Québec, dont la commission Cliche sur la construction à la Baie-James, la commission Dionne sur le crime organisé et la commission Gomery sur les commandites. D'ordinaire, on ne sépare pas formellement les deux phases, privée et publique, d'une commission d'enquête. Mais si on veut le faire dans ce cas-ci, de façon à permettre au gouvernement de faire son devoir sans perdre la face, il faudra s'assurer, dès le début, que les deux phases seront confiées à une seule et même commission et que la phase publique suivra obligatoirement la phase privée, à moins que la commission elle-même ne recommande, en en donnant les raisons, que la phase publique n'ait pas lieu. Espérons que le gouvernement saura saisir cette perche que lui a habilement tendue Jacques Duchesneau.


Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.

METTRE FIN À L'ÈRE DES SOUPÇONS

Jacques Duchesneau dresse un sombre portrait des pratiques malhonnêtes qu'il faut combattre dans l'industrie de la construction.  Il estime également que le gouvernement a déjà commencé à poser des gestes en resserrant les lois et les règles d'attribution des contrats publics et en créant des unités d'enquête permanentes. Jacques Duchesneau précise même que réunir les preuves pour traduire les coupables devant les tribunaux et éradiquer la présence du crime organisé dans l'industrie de la construction n'est pas une mince affaire et que pour y arriver, toute enquête publique devrait être précédée d'une enquête à huis clos.  La difficulté dans ce genre de dossier consiste à définir le mandat d'une enquête publique. Selon le rapport Duchesneau, ce mandat devrait englober le secteur de la construction, ce qui est déjà très large, les firmes d'ingénierie, les entrepreneurs, le ministère des Transports, les municipalités, les partis politiques et on commence à parler d'Hydro-Québec et d'autres secteurs.  Peut-être le temps est-il venu de mandater un comité de sages en mesure de définir les paramètres d'une enquête publique réaliste ayant des chances de donner des résultats, pour enfin cesser de soupçonner et d'accuser tout le monde et son père, séparer le vrai du faux et donner du Québec une autre image que celle d'un repaire de brigands.

Francine Laplante

Femme d'affaires.

IL EST URGENT D'AGIR

Ce qui est le plus inquiétant présentement, c'est que même encore aujourd'hui, notre gouvernement refuse de procéder. Nous sommes vraiment pris en otage par l'organisation. Nous avons les poignets attachés et nous sommes impuissants devant ce que nous savons. Je ne suis pas une grande spécialiste de la question politique, cependant ce que je sais, c'est que chaque jour qui passe est un jour perdu qui fait des dommages collatéraux extrêmement importants. Le cynisme augmente, la confiance fond comme neige au soleil, le respect des institutions s'effrite, plus rien n'est crédible. Comment pouvons-nous espérer transmettre à nos adolescents à notre relevé les valeurs d'une société lorsque tous les jours, ils se font répéter que le système est corrompu? Que les criminels ne sont pas accusés et que travailler dans l'illégalité est un procédé normal et toléré? Il y a urgence d'agir, à tous les niveaux. Je n'arrive pas à croire que plusieurs millions de personnes ne puissent se révolter et exiger !

Jana Havrankova

Endocrinologue.

FAISONS-LUI CONFIANCE

Dans le meilleur des mondes, une enquête publique serait l'outil idéal pour détricoter les liens entre la politique, le ministère, les firmes de génie-conseil, les entrepreneurs et le crime organisé. Mais le monde n'est pas idéal : le crime organisé possède les bras longs et les dents acérées. Les gens qui connaissent les pratiques illicites à tous les niveaux risquent d'éprouver de sérieux problèmes de mémoire en commission publique. D'autres personnes, susceptibles d'être menacées par le crime organisé à la suite des révélations qu'elles pourraient faire, seront réticentes à témoigner en public. Par ailleurs, le gouvernement, toujours opposé à une enquête publique, ne pourra pas refuser une enquête à huis clos sans perdre le peu qui lui reste de crédibilité. Tâchons d'abandonner le cynisme et accordons notre confiance à M. Duchesneau. Exigeons que commence de toute urgence une enquête à huis clos et laissons déterminer aux commissaires à quel moment et sur quels sujets les révélations devraient devenir publiques. Nous, les payeurs de taxes et d'impôts, ne voulons pas d'un cirque médiatique, mais d'une enquête qui dévoilera les coupables et mettra fin aux pratiques illicites. Et ça presse.





Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.

POUR CHANGER LE SYSTÈME

Mettre les bandits en prison ne réglera pas le problème. C'est comme un champ de pissenlits: arrachez-en un et il en repoussera dix! Quelle qu'en soit la forme, il faut une commission qui permettra de déboucher sur des changements dans la législation et la réglementation pour changer ce système.  Les causes de la corruption et de la collusion sont nombreuses. On sait que le pouvoir de corruption des riches est décuplé quand l'État est omniprésent, car il leur est relativement peu dispendieux de corrompre un fonctionnaire ou un politicien qui distribue des faveurs en utilisant l'argent des autres (les contribuables).  Le coût pour le politicien ou le fonctionnaire est nul, mais la récompense, elle, est bien tangible.  La corruption devient la réponse capitaliste souterraine à l'étatisme.  En plus, si l'État octroie des faveurs sous la forme de monopoles (agrégats, placement de la main-d'oeuvre sur les chantiers) à certains « chanceux », ceux-ci l'utiliseront pour maintenir leur pouvoir, distribuer des faveurs en échange d'avantages ou pour financer le coût encouru pour obtenir ces monopoles.  Si on veut régler le problème, il faut comprendre ce qui alimente la croissance des racines des pissenlits pour savoir comment les éradiquer plutôt que seulement leur couper la tête.

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.

BESOIN D'UNE STRATÉGIE GLOBALE

La tenue d'une commission publique sur l'industrie de la construction, précédée d'audiences à huis clos, semble une bonne solution. Elle sera un élément essentiel pour poser un diagnostic, pour faciliter l'élimination de certains fraudeurs et pour orienter la recherche de solutions à plus long terme.  Les travaux de cette commission devront être suivis par un processus judiciaire serré et fait de façon indépendante. Cependant, il ne faut pas penser que cette commission publique fera tout le travail.  Il faut que le gouvernement développe dès maintenant une stratégie plus globale qui va entraîner la mise en place d'une série de mesures pour assainir le secteur de la construction, pour le rendre plus efficace et efficient et pour éviter qu'on retombe dans la même situation dans 10 ans. On a besoin de mesures permanentes qui accroissent la concurrence, qui permettent un meilleur suivi des travaux de construction des infrastructures collectives et de leur entretien.   L'accroissement de la concurrence se fera par le biais d'une plus grande utilisation des appels d'offres, un meilleur suivi des règles de celles-ci, par une hausse des participants (incluant une plus grande présence d'entreprises de l'extérieur du Québec) et par un plus grand respect des termes des contrats signés avec les entreprises qui ont remporté ces appels d'offres.  Le gouvernement doit faire en sorte que le ministère des Transports ait les ressources et l'expertise nécessaire pour faire un travail de qualité. On a également besoin de rapports périodiques sur l'état des infrastructures collectives, faits ou au minimum vérifiés par une entité indépendante. Finalement, il faut réduire le plus possible la création de liens entre les entreprises et les caisses électorales.  L'État devra probablement jouer un rôle plus important dans l'allocation de fonds aux candidats et partis politiques. On a également besoin d'un meilleur suivi des dépenses électorales, sous toutes ses formes.

Jean-Pierre Aubry

Agnès Maltais

Député péquiste de Taschereau.

SEULE LA VOLONTÉ POLITIQUE FAIT DÉFAUT

Une enquête publique comporte toujours une partie préparatoire à huis clos. Lors de la mise en place de la commission Gomery, le commissaire a travaillé dans l'ombre pendant plusieurs semaines, avec ses procureurs, afin de planifier ses travaux, entendre certains témoins. C'est le travail qu'on s'attend d'une commission d'enquête publique. C'était aussi le cas avec la CECO dans les années 70. La proposition de M. Duchesneau, nommé par le gouvernement, va dans ce sens. Nous y souscrivons. La gravité des faits énoncés par M. Duchesneau et la tension sociale générée par le désir soutenu et constant de l'opinion publique de tenir cette commission d'enquête publique afin de «faire le ménage» sont des motifs qui justifient amplement et depuis longtemps la tenue de cette commission d'enquête publique réclamée depuis deux ans avec insistance par le peuple. Les commissaires auront les moyens d'agir diligemment.  À ce jour, seule la volonté politique fait défaut.

Agnès Maltais

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford.

À HUIS CLOS ET PUBLIC

L'Action démocratique demandait, il y a 30 mois, la tenue d'une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction. À la suite du témoignage de Jacques Duchesneau hier, on ne peut qu'être conforté dans notre position, puisqu'il a lui-même affirmé qu'une approche policière et judiciaire est nettement insuffisante. Nous croyons que l'idée de tenir un huis clos préparatoire n'entre pas en contradiction avec l'aspect public qui doit guider les travaux. Lors de la mise en place d'une commission d'enquête publique, il y a toujours une première phase qui se déroule à huis clos, avant que ne commencent les auditions publiques. Nous avons pu le constater tant lors de la commission Gomery que lors de la commission Bastarache. Par contre, si nous voulons à la fois faire toute la lumière sur l'ampleur du système de corruption qui a été mis en place et rétablir la confiance de la population envers nos institutions, cette commission d'enquête ne doit pas se tenir derrière des portes closes. Nous ne pouvons pas nous priver de son effet dissuasif sur les criminels et curatif sur la confiance des citoyens.