La croissance des pays industrialisés est anémique, les États-Unis se sont fait retirer leur cote AAA par Standard & Poor's, la glissade des Bourses s'accélère depuis quelques jours. Craignez-vous une nouvelle récession mondiale dans laquelle le Canada serait entraîné?



LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.









Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale



PEUT-ÊTRE PLUS GRAVE QU'EN 2008

Si une nouvelle récession venait à frapper les États-Unis et le monde, on peut prédire que cette rechute aura des répercussions plus importantes que celle de 2008. La mondialisation des économies reste un vecteur de contagion et le Canada, malgré ses performances, ne s'en tirera peut-être pas aussi bien que jusqu'à présent. Pertes financières astronomiques, frilosité de l'investissement, coupes dans les emplois, chute dramatique de la consommation, sans parler de  la précarité dans laquelle risquent de sombrer des millions de ménages surendettés, qui peut prétendre que nous sommes complètement à l'abri? Alors que la marge de manoeuvre des États pour stimuler les économies a été pratiquement tout employée en 2008-2009, il semble que la réduction drastique des dépenses publiques apparaît comme la seule solution restante pour remettre le navire à flot. On voit mal comment les gouvernements, accablés par les dettes et les déficits, pourraient taxer et imposer davantage sans aggraver une récession qu'ils sont censés combattre. Il serait aussi malvenu d'inviter les populations à soutenir la consommation en continuant de s'endetter.  Un nouveau choc économique, combiné à l'incapacité des États de soulager les plus vulnérables, débouchera forcément sur des problèmes sociaux considérables. Il semble que l'économie virtuelle, celle des produits financiers et de la spéculation, toujours plus fiévreuse et risquée, devra pour un temps revenir dans le monde réel en mesurant  les dommages de sa fuite en avant sur la vie bien concrète des populations.  On comprendra peut-être alors, mais à quel prix, que vivre selon ses moyens, que l'on soit un individu ou un État, reste le seul remède pour éviter le chaos économique.



Daniel Landry

Professeur de sociologie au Collège Laflèche, à Trois-Rivières



L'EMPIRE DU COURT TERME



La dévaluation récente de la cote de crédit des États-Unis par la firme privée Standard & Poor's provoque une chute des marchés boursiers de la planète. Des «spécialistes» parlent d'une «correction» boursière temporaire. Rassurant? Non, pas tout à fait. D'abord, l'imprévisibilité de l'économie virtuelle empêche toute spéculation (sans mauvais jeu de mots) sur la durée de cette chute. Mais le fait de parler de «correction» plutôt que de crise structurelle représente un aveuglement éhonté face aux véritables défis planétaires. Les signes de crise ne sont pas à chercher dans des fluctuations boursières, mais plutôt dans l'aggravation des inégalités entre États et entre classes sociales, dans le ravage anarchique de l'environnement au nom de la croissance, dans l'absence de vision politique à long terme. Après avoir frappé les pays les plus pauvres, les conséquences de la privatisation des services publics et de la libéralisation sauvage des marchés frappent aujourd'hui l'Europe (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Irlande) et l'Amérique du Nord. Le mirage de la résolution de la crise de 2008 se dissipe, rappelant qu'aucune véritable réforme ne s'est alors enclenchée. Trois années plus tard, la même crise structurelle resurgit donc sous une forme nouvelle. Mais encore une fois, les scénarios de sortie de crise comportent un horizon lié au prochain trimestre ou à la prochaine élection. Le principal problème de notre monde est qu'il est sous l'empire du court terme.



Jean-Pierre Aubry

Économiste



MOINS D'EXUBÉRANCE, PLUS DE RÉALISME

Certes, il est possible que l'on doive faire face à une récession mondiale qui pourrait être même plus profonde que celle de 2008-2009 puisque les gouvernements ont moins de munitions qu'ils en avaient en 2008. Leur capacité d'accroître leur endettement (politique budgétaire)  et de diminuer les taux d'intérêt (politique monétaire) a été fortement réduite par le sauvetage du secteur financier en 2008 et par la dernière récession suivie d'une lente reprise.  Advenant que cela se produise, l'économie canadienne sera entraînée dans cette récession, mais elle devrait être moins affectée que les économies américaine et européenne. Un des ingrédients qui peut réduire sensiblement cette éventualité est le leadership des gouvernements qui doivent mettre en place des plans crédibles de réduction de leur déficit budgétaire, à moyen terme, et de leur endettement, à plus long terme.  Leur population devra accepter ces plans, sans quoi il y aura sûrement une détérioration du climat social, économique et financier.  De plus, les gouvernements, les analystes financiers et les dirigeants d'entreprises devront accepter de fonctionner pendant plusieurs années  dans un environnement d'une croissance  économique faible  mais positive, le temps que plusieurs ajustements macroéconomiques se fassent.  Ces deux dernières années, les brusques passages d'attentes très optimistes à des attentes très pessimistes, basés sur relativement peu d'information additionnelle,  ont été très néfastes pour l'environnement économique et financier.  En somme,  on a besoin de moins d'exubérance, plus de réalisme et plus de leadership.



Jean-Pierre Aubry

Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau à Québec

GÉNÉRATION DE POLITICIENS INEPTES

Près de 100 ans après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est toujours aussi désolant et effarant de lire sur ses causes, son déclenchement et sa conduite, qui nous révèlent une génération de dirigeants sourds, aveugles et bornés qui ont mené le monde dans une des plus grandes catastrophes de l'histoire et ont ainsi, paradoxalement, détruit le monde aristocratique et hiérarchique qu'ils chérissaient. La chute actuelle des bourses, dont la chaîne de causalité est surréaliste, a déjà provoqué la perte de milliards de dollars et pourrait bien entraîner la planète dans une récession aux conséquences difficiles à mesurer, quoique faire des prophéties en ce domaine relève largement de l'inconscience ou de la supercherie. Si l'avenir demeure incertain par nature, les responsabilités de la situation dans laquelle se trouvent les systèmes financier et économique mondiaux sont plus faciles à cerner, et reposent en grande partie sur les épaules des dirigeants qui ont joué avec le feu. Ceux de quelques gouvernements européens (dont la Grèce, le Portugal et l'Espagne), qui ont pelleté les problèmes en avant plutôt que de gérer de manière responsable. Et qui ont ainsi mis l'Europe et la zone euro en danger d'implosion. Et les politiciens américains, particulièrement ceux du Parti républicain (notamment cette bande d'enragés du Tea Party), qui ont poussé leur pays et le reste du monde au bord de l'abîme par égoïsme, aveuglement idéologique et mesquinerie (sans compter le racisme insidieux qui les amène à faire passer la chute du président Obama avant le bien commun). Ces politiciens font partie d'une génération de dirigeants ineptes et incapables de voir plus loin que le bout de leur nez. Il reste à espérer qu'ils n'auront pas commis l'irréparable.



Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



LE DÉCLIN DE L'EMPIRE CAPITALISTE

La croissance économique des pays industrialisés peut-elle se poursuivre indéfiniment? Il semble bien que non. Le capitalisme basé sur le profit et l'exploitation des richesses naturelles atteint ses limites en ce moment. Il faudrait revoir le modèle économique des pays occidentaux qui ne peut perdurer et s'étendre à l'ensemble de la planète. L'endettement endémique des individus et des pays dits riches est en train de miner l'idéologie de la croissance sans fin des bourses du monde entier. Si aucune mesure planétaire n'est envisagée, nous assisterons lentement au naufrage de la société de consommation en écoutant de la musique commerciale pour nous consoler de la perte du rêve américain. Comme l'envisageait Denys Arcand dans son film Le Déclin de l'empire américain, la déliquescence du capitalisme peut durer des décennies, mais elle est irrémédiablement entamée par les récessions successives qui vont finir par toucher le Canada. Maintenant, nous devons trouver des solutions, de nouvelles façons de faire les choses, de nouvelles manières de vivre ensemble sur une planète de plus en plus petite et ayant de moins en moins de ressources. Pour cela, il faudrait changer les mentalités, et cela ne sera pas une mince tâche.



Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec



FAITES VOTRE CHOIX: V, U, W, L!

Sans doute est-ce dans la nature humaine de prédire l'avenir. Depuis que la crise économique de 2007 nous a frappés, les économistes ont élaboré une multitude de scénarios pour prédire la reprise économique. On a même développé un alphabet de la récession. Vivons-nous une crise en forme de V, de U, de W ou de L? Les plus optimistes voyaient dans leur boule de cristal une récession en forme de V, c'est-à-dire une chute brutale de l'économie suivie d'une remontée rapide et durable. D'autres prédisaient un scénario en forme de U: une récession où nous aurions à vivre une longue phase de creux avant de voir redémarrer l'économie. Il y a aussi ceux qui annonçaient une crise en forme de W, où se succèdent les décrochages et les rebonds. Enfin, les plus pessimistes y voyaient une crise en forme de L: un scénario «catastrophe» où l'économie stagne à tout jamais. Faites votre choix! Quant à savoir si je prévois une nouvelle récession mondiale, je m'abstiendrai de risquer une prédiction, histoire de ne pas avoir à expliquer dans un an pourquoi cette dernière ne s'est pas réalisée. Bref, il faut demeurer critique face aux prophéties des experts... et plutôt croiser les doigts.



Pierre Simard

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



UNE RÉCESSION MONDIALE EST À CRAINDRE

L'économie américaine est passablement amochée par les temps qui courent. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est anémique mais, sûrement, qu'elle fait du surplace. Les consommateurs ont perdu confiance en leurs élus. Et cette crise de confiance est principalement due à un manque total de volonté des politiciens américains à s'entendre et à adopter un train de mesures respectueuses de la société américaine pour pouvoir juguler leur endettement et faire face à la tempête, d'où leur décote. Le bras de fer entre républicains et démocrates a clairement démontré leur incapacité à faire fi de leurs allégeances politiques respectives pour s'occuper « honnêtement » de la santé financière de leurs concitoyens et de leur pays. Les États-Unis sont à risque d'entrer de plain-pied en récession et, ce faisant, l'économie mondiale s'en ressentira. Comme Canadiens, nous exportons plus ou moins 75 % de notre production vers notre voisin du sud. Si celui-ci n'est plus en mesure d'acheter, nous serons également touchés de plein fouet par la récession américaine. Et, comme la zone européenne est aux prises, également, avec de graves problèmes d'endettement et de liquidité, une récession mondiale est à craindre.



Jean Gouin

Françoise Bertrand

PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

DIVERSIFIONS NOS MARCHÉS D'EXPORTATION

À ce moment-ci, il est prématuré de craindre qu'une éventuelle crise économique mondiale puisse se développer et nous affecter. En fait, l'économie québécoise montre des signes encourageants en ce moment. Nous pouvons penser au taux de chômage qui est plus faible que celui de nos voisins du sud, au PIB qui connaît une croissance intéressante cette année ou encore à nos entreprises qui créent des emplois. Ce qui nous inquiéterait advenant une nouvelle crise économique, c'est que le domaine des ressources naturelles serait nécessairement touché et cela pourrait avoir de nombreuses répercussions sur notre économie. Une baisse mondiale de la demande de matières premières signifierait qu'il y aurait des pertes d'emplois au Québec et que des investissements majeurs pourraient être reportés. Alors que le gouvernement du Québec travaille à la mise en oeuvre du Plan Nord, un nouveau ralentissement économique pourrait mener à une réduction des investissements que les entreprises minières veulent faire au Québec. Si cela devait arriver, le Québec subirait la nouvelle crise mondiale, mais à ce jour, rien de laisse prévoir que cette catastrophe se produira. Ce qui nous rappelle néanmoins l'importance de diversifier nos activités économiques et nos marchés d'exportation.

Imacom, Frédéric Côté

Françoise Bertrand

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal



LES TEMPÊTES REVIENNENT TOUJOURS

Une fois pour toutes, comprenons un principe de base : la croissance infinie n'existe pas. Sur une terre aux ressources limitées, il est de l'ordre de la science-fiction de penser que la croissance est un phénomène naturel. Ainsi, oui, nous vivons présentement les conséquences d'un excès de croissance, de consommation, de crédit, mais aussi celles d'une guerre politique entre républicains et démocrates. Les États-Unis ont une position mondiale avantageuse. Ils peuvent dévaluer leur monnaie comme bon leur semble, ce qui fait en sorte que leurs créances diminuent et leurs exportations augmentent. En réalité, s'ils faisaient face à leurs responsabilités, ils imposeraient une taxe à la consommation fédérale (on peut toujours rêver). Doit-on craindre les crises économiques? Non, on doit s'y préparer, car elles reviennent toujours. Tout est une question de temps. Nous devons commencer à comprendre que notre niveau de vie moyen est trop élevé par rapport à nos revenus. À comprendre qu'un taux d'épargne de moins de 5 % nous mettra personnellement et collectivement dans le pétrin. Il faut se mettre dans la tête que de s'endetter pour se payer des biens de consommation, ça ne fait pas de sens. Ainsi, avant de paniquer avec une crise économique éventuelle, il serait sage de commencer par couper dans ses dépenses. Si vous êtes sans emploi durant trois mois, pouvez-vous faire face à la musique? Sinon, il serait peut-être temps de jouer d'autres accords. Je persiste à croire que nous devons, de façon urgente, intégrer des cours de finances personnelles et d'économie dans les études secondaires. Qui plus est, nous devons instaurer un cours de finances personnelles obligatoire pour chaque diplôme postsecondaire menant à une profession. Comment peut-on accepter un taux « d'analphabétisme financier » aussi élevé, alors qu'on demande à chaque citoyen de gérer sa propre sécurité financière?