Étant donné que Nycole Turmel était récemment membre du Bloc québécois et de Québec solidaire, a-t-elle encore sa place comme chef intérimaire du NPD et chef de l'opposition officielle? Son allégeance à un parti souverainiste jusqu'à janvier dernier mine-t-elle sa crédibilité à la tête du NPD, un parti fédéraliste?

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Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau à Québec

LES BÉVUES DE MME TURMEL

Comme la nature, la politique a ses lois. Ainsi, il serait aussi futile de chercher à empêcher les apparatchiks syndicaux de flirter avec les partis de gauche que d'interdire aux abeilles de butiner dans les massifs floraux. Personne n'a donc été surpris d'apprendre que Nycole Turmel, chef intérimaire du NPD, avait été membre du Bloc québécois et qu'elle avait toujours sa carte de Québec solidaire dans son sac à main au moment où elle a accepté de remplacer M. Layton. D'ailleurs, le Bloc n'était-il pas un débouché naturel pour les permanents syndicaux tandis que QS est une joyeuse troupe d'ONGistes et d'activistes? Mme Turmel s'y trouvait donc dans son élément et nul ne peut lui reprocher d'avoir participé activement à la vie politique de façon démocratique. Toutefois, avant d'accepter la direction du NPD, un parti fédéraliste, elle aurait dû révéler publiquement son passé et son présent de membre de deux partis souverainistes. Ses mauvaises excuses et ses faux-fuyants depuis que ses appartenances ont été révélées au public ne font qu'approfondir le doute sur ses véritables allégeances. À moins d'être un agent double ou un idiot utile, il paraît difficile d'adhérer à deux partis souverainistes tout en étant fédéraliste. Mais il y a pire: en effet, malgré ses convictions sociales-démocrates, elle n'aurait jamais dû accepter ce poste dans les circonstances que l'on connaît maintenant. Bien que constituant l'opposition officielle, le NPD est un parti fragile, avec une base québécoise désormais majoritaire, mais passablement floue et hautement volatile mariée par le mystère électoral à une tradition politique fédéraliste et fortement centralisatrice. Son avenir se jouera dans les prochains mois, au cours desquels il devra faire la preuve qu'il est suffisamment fort et cohérent pour demeurer crédible comme opposition officielle. Les bévues de Mme Turmel viennent de le fragiliser.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

LA CHASSE AUX SORCIÈRES

Nycole Turmel est une femme engagée qui croit profondément à ce qu'elle fait quand elle épouse une cause. Elle est active dans sa communauté et n'a de cesse d'aider les gens dans le besoin. Mme Turmel a un passé qui parle de lui-même. Elle fut, entre autres, présidente nationale de l'Alliance de la fonction publique du Canada pendant six ans. Sa récente nomination à titre de chef intérimaire du NPD est pleinement justifiée. Cette dame possède une vaste expérience et les valeurs qu'elle a défendues sa vie durant sont également celles du NPD. Qu'on lui cherche noise, cela n'est guère surprenant. Que l'on tienne absolument à l'associer à une séparatiste relève de la mauvaise foi. On cherche par tous les moyens à discréditer Mme Turmel avant même qu'elle ait dit ou fait quoi que ce soit. En politique, le discrédit est une arme que l'on ne peut utiliser à la légère. On ne bâtit pas sa crédibilité en minant celle de son adversaire. Cette chasse aux sorcières n'a pas sa raison d'être. Surtout pas de la part du premier ministre Harper lui-même. Il me semble que celui-ci a d'autres chats à fouetter par les temps qui courent. La capacité de Mme Turmel à représenter les siens et à défendre ses dossiers n'est plus à faire. Laissons-la travailler.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal

UN PARTI POLITIQUE N'EST PAS UNE RELIGION

Parfois au Québec, on stigmatise des gens pour des raisons futiles. Est-ce que le fait que Mme Turmel ait des affinités avec le Bloc québécois et Québec solidaire fait d'elle une mauvaise citoyenne canadienne? Arrêtons de prendre le membre d'un parti comme un adhérant à un dogme jusqu'à sa mort. Durant la dernière année, j'ai été membre du NPD, du PLC et du Bloc simultanément: pourtant, je ne suis pas de gauche. De plus, j'ai déjà été membre du Parti québécois et du Parti vert du Québec. Non, je ne suis pas une girouette, j'annule simplement toute affiliation à quelque parti que ce soit en prenant des informations de toutes les sources. Ah oui, j'ai aussi fait un don à la CAQ au cours des dernières semaines. Dans ma tête, je suis probablement un progressiste-conservateur de l'époque Mulroney avec une tendance verte, tout en ayant des valeurs de partage et de distribution de richesse. Eh oui, je suis centriste. Aucune option politique n'est parfaite, il faut être modéré parfois. Alors, Mme Turmel est plus à gauche: le Bloc (de l'époque Duceppe), le NPD et Québec solidaire sont tous à gauche. Il est peut-être temps de mettre une croix sur le débat fédéraliste-souverainiste. Donc, Mme Turmel affiche tout de même une cohérence de gauche. De toute façon, elle est une chef intérimaire. Si Jack Layton ne revenait pas, il y aurait une course à la direction. Quel est le rôle d'un chef intérimaire avant la prochaine session parlementaire? La Terre continuera de tourner. Comme dans une compagnie privée, un chef intérimaire est une ancre que l'on jette à l'eau jusqu'à ce qu'un gouvernail revienne diriger le navire: il le stabilise pour l'empêcher de dériver, rien de plus. Conclusion: on se calme et on arrête de la fausse nouvelle avec un poteau orange intérimaire.

Jana Havrankova

Endocrinologue

DISCRÉDIT SI SOUPÇON DE SÉPARATISME

Malheureusement, il faudra probablement remplacer Nycole Turmel pour que ses interventions et celles du NPD au Parlement ne soient pas interprétées, parfois avec une mauvaise foi évidente, à l'aune du soi-disant séparatisme de la chef intérimaire. Ce n'est pas pour dire que le mouvement séparatiste est illégitime, mais le NPD n'est pas conçu pour le représenter, ni au Québec, et surtout pas dans le ROC, allergique aux séparatistes québécois. Le NPD est manifestement un parti fédéraliste, mais contrairement à ce qui est véhiculé par ceux qui veulent le discréditer auprès des électeurs québécois, il présente dans son programme plusieurs propositions intéressantes pour ceux qui se soucient de l'autonomie du Québec. Par exemple, il s'engage à maintenir le poids politique du Québec à la Chambre des communes. Il reconnaît le droit du Québec à se retirer des programmes fédéraux avec compensation et à siéger aux organismes internationaux dans les champs relevant de la province. Il promet de défendre les droits linguistiques des francophones dans les entreprises sous juridiction fédérale. Oui, le NPD est et restera fédéraliste, mais il n'est pas indifférent aux revendications du Québec. Le Québec ne peut que souffrir si le NPD fait les frais des soupçons d'allégeance séparatiste de sa chef intérimaire.

Jana Havrankova

Frédéric Mayer

Doctorant en administration des relations internationales à l'ENAP

ET POURQUOI PAS?

Le changement semble radical, de membre d'un parti souverainiste à chef d'un parti fédéraliste; mais nous avons vu plusieurs autres politiciens changer leur fusil d'épaule dans l'histoire, souvent de manière beaucoup plus radicale. Sans aller trop loin, David Emerson, un ex-ministre libéral, est devenu ministre chez les conservateurs. Belinda Stronach, de son côté, fut candidate à la chefferie du Parti conservateur, avant de traverser la Chambre des communes et d'obtenir un poste de ministre dans le cabinet de Paul Martin. Avant qu'elle ne quitte la vie politique, les rumeurs laissaient même entendre qu'elle pourrait se présenter à la chefferie du Parti libéral du Canada. Plusieurs autres politiciens, parmi les plus illustres, ont changé d'option politique. Ne pensons qu'à Winston Churchill. Il fut d'abord député au Parti conservateur du Royaume-Uni avant de passer au Parti libéral pour en devenir ministre. Il est ensuite retourné au Parti conservateur, à nouveau comme ministre, puis premier ministre. Il est probablement resté un des politiciens des plus respectés par ses pairs. Sans vouloir diminuer l'importance des membres des partis politiques - ils devraient en être la principale raison d'être -, ils n'ont pas l'importance et l'influence au sein de leur organisation qu'aurait un député, un ministre et surtout un premier ministre. Avant d'attaquer la crédibilité de Nycole Turmel sur ce point, Stephen Harper devra se rappeler que c'est lui qui a invité David Emerson à traverser la Chambre et qu'il l'a lui-même nommé ministre.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec

MASCARADE RIDICULE

La chef intérimaire du NPD, Nycole Turmel, aurait eu des allégeances politiques avec le Bloc québécois et Québec solidaire. Voilà le drame qui suscite de vives réactions partout au pays. On la somme même de s'expliquer. Ridicule! Comme si, en politique, les cas de transfuge étaient chose rare. En réalité, toute cette mascarade résulte de notre vision angélique des politiciens. On les perçoit comme des êtres vertueux dénués de tout intérêt personnel et motivés exclusivement par le souci du bien commun; des altruistes différents de nous, pauvres citoyens rationnels, matérialistes et mesquins. Aujourd'hui, on exige de Nycole Turmel de prouver qu'elle n'a toujours eu comme ambition que de promouvoir le bien commun des Canadiens, et ce, au détriment de son intérêt personnel. Pourtant, chez l'analyste des choix publics, il n'y a rien de surprenant aux révélations des derniers jours. En réalité, Nycole Turmel a seulement noué, au fil des ans, les relations qu'elle jugeait utiles à l'avancement sa carrière. Elle aspirait à se trouver un job de politicienne, et maintenant qu'elle l'a, il ne lui reste qu'à renier ses allégeances passées pour se maintenir et, surtout, se faire réélire. Comme le disait Coluche, la politique «est une profession où il est plus utile d'avoir des relations que des remords».

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

TRAHISON?

Le passé «souverainiste» de Nycole Turmel fait réagir le Canada anglais. En un sens, on peut le comprendre. Pour les Canadiens anglais, l'indépendance serait une atteinte grave à l'intégrité de la fédération. Il ne sert à rien de le nier. D'ailleurs, une certaine droite canadienne-anglaise venue de l'Ouest a longtemps hésité entre deux manières de traiter la question du Québec: soit en traitant les souverainistes de factieux, soit en en appelant à l'expulsion du Québec de la fédération (à condition de le partitionner et d'en garder de gros morceaux), pour se débarrasser d'une province socialisante entravant le déploiement du conservatisme d'un océan à l'autre. Ne caricaturons pas, toutefois. La tolérance politique du Canada anglais n'est pas illusoire. Ce pays a déjà eu à endurer de 1993 à 1997 une opposition officielle explicitement vouée à sa déconstruction. Ne l'oublions pas. N'empêche que le séparatisme s'exporte difficilement comme une doctrine légitime de l'autre côté de la rivière des Outaouais. Mais cela dit, Nycole Turmel a beau avoir été souverainiste, cela ne l'a pas empêché de se présenter pour un parti centralisateur qui ne s'est jamais formalisé des nombreux empiètements de l'État fédéral dans les champs de compétence provinciale au nom de la construction de l'État social. Elle travaille aujourd'hui objectivement à la construction d'un Canada plus fort, centralisé et multiculturel. De son souverainisme, elle s'est manifestement repentie. On doit donc se demander une chose: est-ce qu'avoir été souverainiste représente un crime imprescriptible et suffit pour transformer quelqu'un en citoyen de seconde zone? Doit-on avoir été inconditionnellement fédéraliste de la naissance à la mort pour être un Canadien honorable? Si oui, il nous faudrait réviser à la baisse notre évaluation de la tolérance canadienne-anglaise.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

CONVICTIONS INCOMPATIBLES

Dans mon ancienne vie de syndicaliste, j'ai eu la chance de rencontrer Nycole Turmel à l'époque ou elle était présidente de l'Alliance de la fonction publique. Mme Turmel, qui militait activement pour ses membres, m'a laissé la nette impression qu'elle occupait ce poste par conviction et non pas pour le pouvoir qui venait avec ce poste prestigieux. La voici aujourd'hui chef par intérim du NPD. En est-elle rendue là par conviction ou simplement parce qu'elle ne pouvait résister à la vague orange qui a failli donner le pouvoir à son chef? Peu importe ses raisons, Mme Turmel aurait-elle été élue si Jack Layton n'était pas si sympathique et charismatique? J'en doute. Quant au fait que Nycole Turmel était jusqu'à tout récemment membre du Bloc québécois et de Québec solidaire, qui sont dans les faits deux partis souverainistes, cela me laisse pour le moins perplexe. Comment une personne peut-elle un jour être souverainiste et l'autre fédéraliste? N'adhérons-nous pas à un parti politique par convictions? Selon moi, les récentes croyances politiques de Mme Turmel ne sont pas compatibles avec les grandes lignes du NPD qui s'affiche comme étant un parti fédéraliste et rassembleur. De plus, la majorité anglophone composant le NPD n'est pas chaude à l'idée que M. Layton aie cédée sa place à une militante souverainiste et dénonce sur toutes les tribunes la nomination de Mme Turmel.

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec

SOYONS OUVERTS

Les partis politiques ne sont pas et ne doivent pas être des blocs monolithiques. On y retrouve une foule d'individus qui partagent certes un certain nombre de valeurs communes, mais qui partagent également des opinions divergentes et des parcours différents. Nycole Turmel ne partage peut-être pas le parcours classique du militant néo-démocrate, mais c'est une femme inspirante qui a grandement contribué à la cause des travailleurs de partout à travers le pays. Est-ce que certains individus ont raison d'être surpris qu'elle n'ait pas mentionné publiquement son appartenance au Bloc? Oui. Devrait-elle démissionner parce qu'elle a osé être membre d'un autre parti politique?  Cela me semble démesuré. Le NPD est un parti qui se veut ouvert et progressiste. En ce sens, Mme Turmel ne devrait pas se faire reprocher d'avoir partagé d'autres opinions que celles actuellement mises de l'avant par le NPD sur la question québécoise. C'est sans compter qu'on ne peut réduire un individu à son opinion sur la question nationale. Si tous les Québécois ayant des allégeances souverainistes devaient s'empêcher de s'impliquer dans un parti ne prônant pas la souveraineté, plusieurs partis perdraient nombre de membres et de députés. Je crois que la contribution de Mme Turmel à la cause politique va au-delà des divisions idéologiques sur l'avenir du Québec. Soyons ouverts et écoutons ce que Mme Turmel a à proposer aux Canadiens.